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Il s’écoulerait nécessairement un certain temps entre le moment où nous jetterions les cailloux et celui où ils tomberaient sur Terra ; ce trajet ne pouvait être inférieur à dix heures mais pouvait durer aussi longtemps que nous le voudrions. La vitesse d’éjection d’une catapulte étant très critique, une variation de l’ordre de 1 % peut soit doubler, soit réduire de moitié la durée de la trajectoire Luna-Terra. Mike devait donc calculer cette durée avec la plus grande précision ; il aurait pu en faire autant avec un ballon, lui faire décrire n’importe quelle courbe ou l’envoyer directement dans les buts. Pourquoi diable ne s’était-il pas chargé de lancer pour les Yankees ? Enfin, de quelque manière qu’il les lance, la vitesse à l’arrivée sur Terra avoisinerait la vitesse de libération d’attraction terrestre, soit environ 11 kilomètres à la seconde. Cette vitesse effrayante serait produite par la masse de Terra elle-même, quatre-vingts fois plus grande que celle de Luna – et ça ne ferait donc pas une grande différence que Mike envoie doucement un projectile selon une trajectoire longue ou qu’il le projette avec force. Ce n’était pas une question de muscle : la seule chose qui comptait, c’était la profondeur.

Ainsi. Mike pouvait programmer les jets de pierres de manière à les synchroniser avec le lancement de la propagande. Avec Prof, ils avaient décidé que le premier projectile devait arriver au bout de trois jours et au moins une rotation de Terra – qui est de 24 heures, 50 minutes, 28 secondes 32 centièmes. Mike pouvait bien sûr expédier un projectile de l’autre côté de Terra sur la face cachée, mais il serait infiniment plus précis en voyant le but et en suivant le projectile pendant sa chute, à l’aide de ses radars, jusqu’aux toutes dernières minutes afin de corriger éventuellement la trajectoire, ce qui lui donnerait une extraordinaire précision.

Nous avions besoin de cela pour provoquer une peur bleue en évitant autant que faire se peut toute perte humaine. Nous allions annoncer le tir, leur dire exactement où nous frapperions, leur annoncer l’heure, à la seconde près, et leur donner trois jours pour évacuer la zone visée.

C’est ainsi que notre premier message à destination de Terra, émis à 2 heures du matin, le 13 octobre 2076, sept heures après la tentative d’invasion, a annoncé la destruction complète de leur Force d’Intervention ; tout en dénonçant cette brutale invasion, il signalait des représailles imminentes en indiquant les lieux et les heures des bombardements ; nous donnions en outre à chaque nation un ultimatum pour condamner l’action des N.F., nous reconnaître et éviter ainsi d’être bombardée. Le délai s’étendait à vingt-quatre heures avant les bombardements respectifs.

C’était plus de temps qu’il n’en fallait à Mike. Le chargement de cailloux serait dans l’espace bien avant de frapper la cible, car la trajectoire était longue, et ils auraient ainsi une grande marge d’action. Il fallait beaucoup moins d’une journée à Mike pour leur faire complètement éviter Terra, pour les dévier et les mettre en orbite permanente autour de la planète. Même s’il ne disposait que d’un délai d’une heure, il pourrait encore les faire tomber dans un océan.

Première cible : le Directoire d’Amérique du Nord.

Toutes les grandes nations des Forces pacifiques, soit sept puissances ayant droit de veto, devaient être frappées : le Directoire d’Amérique du Nord, la Grande Chine, l’Inde, la Sovunion, la Pan-Afrique (sauf le Tchad), la Mideuropa et l’Union brésilienne. Nous avions aussi choisi des objectifs et des horaires de bombardement pour les nations moins importantes, tout en ajoutant que nous n’en bombarderions que 20 %. Nous avions pris cette décision en partie parce que nous manquions d’acier et en partie aussi pour créer un climat de peur : si la Belgique était frappée la première, la Hollande pouvait très bien décider de protéger ses polders en négociant avant que Luna ne s’élève une nouvelle fois dans son ciel.

Nous avions donc choisi nos objectifs de manière à éviter, autant que possible, de tuer qui que ce soit. Le choix avait été difficile pour la Mideuropa, où nous avions dû nous rabattre sur des plans d’eau ou de hautes montagnes : l’Adriatique, la mer du Nord, la Baltique, et ainsi de suite. Pour le reste, Terra est surtout composée d’espaces désertiques, malgré ses onze milliards de géniteurs affairés.

L’Amérique du Nord m’avait paru terriblement peuplée mais son milliard d’habitants s’entasse aux mêmes endroits et il subsiste encore des terres vierges, des montagnes et des déserts. Nous avions quadrillé l’Amérique du Nord pour prouver notre précision de tir. Mike nous avait affirmé qu’une marge de 50 mètres serait, pour lui, une grossière erreur. En examinant les cartes, il avait repéré au radar toutes les intersections équidistantes, 105° Ouest par 50° Nord pour prendre un exemple. Quand il n’y avait pas de ville à cet endroit, nous le choisissions… et tant mieux si une ville se trouvait suffisamment proche de l’impact pour nous assurer des spectateurs bien effrayés.

Nous avons averti que nos bombes auraient la puissance de bombes H mais nous avons bien fait remarquer qu’il n’y aurait pas la moindre retombée radioactive, aucune radiation mortelle – juste une terrible explosion, une forte onde de choc dans l’atmosphère et des répercussions telluriques. Nous avons prévenu que des immeubles même éloignés du point d’impact pourraient s’écrouler et que, en conséquence, nous laissions les Terriens décider eux-mêmes de la distance qu’ils devraient mettre entre eux et le point de chute. Et s’ils se précipitaient sur les routes et provoquaient des encombrements monstres, davantage causés par la panique que par le danger réel, eh bien, tant mieux, c’était ce que nous voulions !

Mais nous avons surtout insisté sur le fait que personne ne serait blessé si l’on tenait compte de nos avertissements, que nous avions toujours choisi pour premiers objectifs des zones inhabitées. Nous avons même proposé d’annuler toute cible pour laquelle une nation nous ferait savoir que nous possédions des renseignements erronés sur ladite zone (précaution inutile : la puissance de vision du radar de Mike était de 5 sur 5).

Mais en taisant ce qui arriverait avec la deuxième série de bombardements, nous laissions supposer que notre patience avait des limites.

En Amérique du Nord, nous avions choisi des sites se situant sur les 35e, 40e, 45e et 50e parallèles Nord et sur les 110e, 115e, 120e méridiens Ouest, soit douze cibles. Pour chacune d’elles nous avons envoyé des messages personnalisés, tel que celui-ci :

« Pour la cible se trouvant par 115° Ouest et 35° Nord, le but choisi est déplacé de 45 kilomètres vers le nord-ouest pour viser exactement le sommet du New York Peak. Citoyens de Golfs, Cima, Kelso et Nipton, veuillez en prendre note. »

« Pour la cible se trouvant par 110° Ouest et 40° Nord, il se trouve exactement 30° à l’ouest de Norton, dans le Kansas, à 20 kilomètres, soit 13 miles anglais. Les habitants de Norton, dans le Kansas, et ceux de Beaver City et de Wilsonville, dans le Nebraska, doivent prendre des précautions. Restez éloignés des surfaces vitrées. Il est préférable d’attendre à l’intérieur au moins trente minutes après l’impact à cause de la possibilité de chutes tardives de débris. Ne pas regarder l’éclair à l’œil nu. L’impact se produira à 3 heures exactement, heure locale, le vendredi 16 octobre, soit à 9 heures, heure de Greenwich… Bon courage ! »

« Cible 110° Ouest et 50° Nord, l’impact sera déplacé de 10 kilomètres vers le nord. Population de Walsh, dans la Saskatchewan, veuillez en tenir compte. »