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Wright a pris la parole :

— Le général Nielsen l’a déjà fait, il n’est pas nécessaire qu’il se répète. Ce que nous voulons, c’est vous entendre, vous.

J’ai sursauté :

— Prof… excusez-moi, gospodin président. Dois-je comprendre qu’un rapport concernant la Défense nationale aurait été fait, en mon absence, pendant cette réunion du cabinet ?

— Et pourquoi pas ? a répondu Wright. On ne vous avait pas sous la main.

Prof a sauté sur l’occasion. Il avait senti ma nervosité : je n’avais guère dormi depuis trois jours et je n’avais probablement jamais été aussi fatigué depuis notre retour de Terra.

— Rappel à l’ordre, a-t-il dit doucement. Gospodin ministre de la Coordination professionnelle, veuillez avoir l’obligeance d’adresser vos commentaires par mon intermédiaire. Gospodin ministre de la Défense, permettez-moi de rectifier. Aucun rapport concernant votre ministère n’a été fait au cabinet pour la bonne raison que celui-ci ne s’est pas réuni avant votre arrivée. Le général Nielsen a répondu à quelques questions posées sans protocole, au cours d’une conversation informelle. Peut-être n’aurions-nous pas dû procéder ainsi. Si tel est votre sentiment, je ferai de mon mieux pour arranger les choses.

— Il n’y a pas de mal, je suppose. Finn, depuis que nous nous sommes parlé il y a une demi-heure, s’est-il passé quelque chose de nouveau ?

— Non, Mannie.

— Parfait. Je suppose que vous désirez savoir quelle est la situation en dehors de Luna. Vous avez tous vu que le premier bombardement s’était bien déroulé. Il se poursuit d’ailleurs en ce moment puisque nous bombardons leur Q.G. de la Défense spatiale toutes les vingt minutes. Et nous continuerons ainsi jusqu’à 13 heures. Puis, à 21 heures, nous attaquerons la Chine et l’Inde, plus quelques objectifs moins importants. Après cela, jusqu’à 4 heures du matin, nous nous occuperons de l’Afrique et de l’Europe ; nous nous interromprons trois heures, puis ce sera le tour du Brésil et de ses voisins ; nous attendrons trois heures encore, et nous recommencerons, à moins d’un imprévu. Entre-temps, nous avons des problèmes à régler. Finn, il faut évacuer Tycho-Inférieur.

— Un instant ! (Wright a levé la main.) J’ai une question à poser. (Il s’adressait à Prof, pas à moi.)

— Attendez. Le ministre de la Défense a-t-il terminé ?

Wyoh restait assise en arrière-plan. Nous avions échangé un sourire, pas plus. Nous nous comportions toujours ainsi pendant les conseils de cabinet et au Congrès ; on avait en effet protesté contre le fait que deux membres d’une même famille en fassent partie. À ce moment, elle hochait la tête pour m’avertir de quelque chose. J’ai répondu :

— C’est tout pour le bombardement. Des questions à ce sujet ?

— Vos questions concernent-elles le bombardement, gospodin Wright ?

— Certainement, gospodin président. (Wright s’est levé et m’a regardé.) Comme vous le savez, je représente les groupements intellectuels de l’État Libre dont l’opinion, si je puis me permettre, est des plus importantes pour la conduite des affaires publiques. Je pense qu’il n’est que trop juste que…

— Un instant, ai-je interrompu. Je croyais que vous représentiez la 8e circonscription de Novylen ?

— Gospodin président ! Suis-je autorisé, ou non, à poser ma question ?

— Il ne posait pas une question, il faisait un discours ! Moi je suis fatigué, j’ai envie d’aller me coucher.

Prof a dit doucement :

— Nous sommes tous fatigués, Manuel. Mais je reconnais que vous avez raison. Camarade parlementaire, vous ne représentez que votre circonscription. En tant que membre du gouvernement, vous avez été chargé de certaines tâches liées à certaines professions.

— Cela revient au même !

— Pas tout à fait. Veuillez poser votre question.

— Euh… Bon, très bien ! Le maréchal Davis sait-il que son plan de bombardement a complètement échoué, faisant plusieurs milliers de morts inutiles ? Est-il au courant des motions extrêmement importantes qui, à ce sujet, ont été prises par l’intelligentsia de cette République ? Et peut-il expliquer pourquoi ce bombardement sauvage – je répète, sauvage – a été exécuté sans consultation préalable ? Et je voudrais encore savoir s’il se sent maintenant prêt à modifier ses plans ou s’il va continuer à foncer tête baissée ? Est-il exact que nos projectiles étaient munis de ces charges nucléaires interdites par toutes les nations civilisées, comme on nous en accuse ? Et comment espère-t-il, après cela, que l’État Libre de Luna pourra être accueilli dans le concert des nations civilisées ?

J’ai regardé ma montre… la première charge avait atteint son but une heure et demie auparavant.

— Prof, pouvez-vous m’expliquer de quoi il parle ?

— Je suis désolé, Manuel. J’avais l’intention… j’aurais dû ouvrir cette réunion en vous donnant les nouvelles. Mais vous sembliez penser qu’on vous avait court-circuité et… enfin, je ne l’ai pas fait. Le ministre fait allusion à la dépêche d’une agence de presse qui nous est parvenue juste avant votre arrivée. De Reuters, à Toronto. Si ce flash est exact, je dis bien, si… Au lieu de tenir compte de nos avertissements, des milliers de badauds se sont entassés sur les objectifs. Il y a probablement eu des pertes. De quelle importance, nous ne le savons pas.

— Je vois. Et que devais-je faire ? Je devais sans doute les prendre un à un par la main pour les faire partir ? Nous les avions avertis.

Wright m’a interrompu :

— L’intelligentsia estime que d’élémentaires considérations humanitaires auraient dû rendre obligatoire…

— Écoutez-moi, espèce de grande gueule, vous avez entendu le président dire que ces nouvelles viennent juste de nous parvenir ; alors, dites-moi, comment connaissez-vous les sentiments de qui que ce soit à ce sujet ?

Il est devenu cramoisi.

— Gospodin président ! Injures personnelles !

— N’insultez pas le ministre, Manuel !

— Je m’en abstiendrai s’il en fait autant. Il utilise des mots plus élégants, voilà tout. Et c’est quoi, cette histoire de bombes atomiques ? Nous n’en avons pas une seule, vous le savez tous.

Prof paraissait ennuyé.

— J’en suis le premier surpris, moi aussi. Cette dépêche d’agence le prétend. Ce qui m’a le plus surpris, c’est ce que la vidéo nous a montré : cela ressemblait vraiment à des explosions atomiques.

— Alors… (je me suis tourné vers Wright) vos amis si intelligents vous ont-ils dit ce qui se passe quand on libère en moins d’une seconde, en un endroit donné, quelques milliards de calories ? Quelle chaleur se dégage ? Et la puissance du rayonnement ?

— Vous admettez avoir utilisé des armes atomiques !

— Bon Bog ! (Je commençais à avoir mal au crâne.) Je n’ai rien dit de tel. Frappez sur n’importe quoi avec assez de force et vous en ferez jaillir des étincelles. C’est de la physique élémentaire connue de tous, sauf de votre intelligentsia. Nous avons simplement fait jaillir les étincelles les plus grosses jamais produites de main d’homme, rien de plus. Un éclair énorme, de la chaleur, de la lumière, des rayons ultraviolets. Peut-être même des rayons X, je ne sais pas. Certainement pas des rayons gamma, et encore moins des rayons alpha ou bêta. Juste une brusque libération d’énergie mécanique. Des bombes atomiques ? Foutaises !

— Cela répond-il à votre question, monsieur le ministre ? a demandé Prof.

— Ça ne fait que soulever de nouveaux problèmes. Un exemple : ce bombardement dépasse de beaucoup tout ce que le cabinet a autorisé. Vous avez vu ces visages horrifiés quand ces terribles lumières sont apparues sur l’écran. Pourtant le ministre de la Défense nous dit que le bombardement se poursuit à l’heure qu’il est, toutes les vingt minutes. Je crois…