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J’ai regardé ma montre.

— Une charge vient juste de frapper le mont Cheyenne.

— Vous entendez ça ? a crié Wright. Vous l’avez entendu ? Il s’en vante. Gospodin président, ce carnage doit cesser !

— Grande g… euh, monsieur le ministre, ai-je dit, essayez-vous de nous faire croire que le Q.G. de la Défense spatiale n’est pas un objectif militaire ? De quel côté êtes-vous ? Avec Luna, ou avec les N.F. ?

— Manuel !

— J’en ai marre de ces idioties ! On m’a dit de faire un boulot, et je l’ai fait. Foutez-moi cette grande gueule dehors !

Il y a eu un silence gêné, puis quelqu’un a parlé avec calme :

— Puis-je faire une proposition ?

Prof a regardé autour de lui.

— Si quelqu’un peut faire une proposition censée pour faire cesser ces animosités, je serais ravi de l’écouter.

— Je crois que nous n’avons pas de très bons renseignements sur les effets de nos bombes. Il me semble que nous devrions ralentir la cadence des bombardements. Étirons-la, disons à une bombe toutes les heures… et attendons deux heures pour avoir d’autres renseignements. Alors, il n’est pas impossible que nous décidions de retarder l’attaque contre la Grande Chine d’au moins vingt-quatre heures.

Presque tout le monde a hoché la tête en signe d’approbation, il y a eu des murmures : « Bonne idée !… Da ! Ne nous pressons pas ! »

Prof m’a demandé :

— Manuel ?

— Prof, vous connaissez la réponse ! ai-je aboyé. Ne vous déchargez pas sur moi !

— Je la connais peut-être. Manuel… mais je suis fatigué et j’avoue ne pas m’en souvenir.

Wyoh est alors intervenue.

— Mannie, explique-nous. J’ai besoin de comprendre, moi aussi.

Je me suis ressaisi.

— Il s’agit d’un simple problème de pesanteur. Il me faudrait un ordinateur pour vous donner la réponse précise, mais les six prochains coups sont déjà irrattrapables. Nous pourrions tout au plus les dévier, au risque de bombarder des villes que nous n’avons pas averties. Nous ne pouvons pas les envoyer dans l’océan, c’est trop tard ; la chaîne des monts Cheyenne se trouve à 1 400 kilomètres à l’intérieur des terres. Quant à la cadence de bombardement, c’est tout simplement idiot. On ne peut pas lancer ou arrêter les projections à notre guise, ces rochers tomberont toutes les vingt minutes, qu’on le veuille ou non. Nous pouvons frapper les monts Cheyenne où il n’y a désormais plus trace de vie, ou bien choisir un autre endroit et tuer des gens. Et je trouve l’idée de retarder de vingt-quatre heures l’offensive contre la Grande Chine tout aussi inepte. Il est encore possible, pendant un certain temps, d’annuler les projectiles destinés à la Grande Chine, mais il est impossible de les ralentir. Et si nous les annulons, nous les perdons. Ceux qui pensent que nous pouvons nous permettre de gâcher de l’acier feraient mieux de se rendre sur l’aire de catapultage et d’y jeter un coup d’œil.

Prof a haussé les sourcils.

— Je crois que toutes les questions ont reçu des réponses, à mon jugement du moins.

— Pas au mien, monsieur !

— Asseyez-vous, gospodin Wright. Vous m’obligez à vous rappeler que votre ministère ne fait pas partie du cabinet de Guerre. S’il n’y a plus de question – et je l’espère bien –, je vais ajourner cette réunion. Nous avons tous besoin de repos. Aussi…

— Prof !

— Oui, Manuel ?

— Vous ne m’avez pas laissé finir. Demain, dans la soirée, ou dimanche matin, nous y avons droit !

— Comment, Manuel ?

— Un bombardement. Peut-être un débarquement. Deux croiseurs se dirigent vers nous.

Cela a enfin éveillé l’attention. Prof a dit d’un ton las :

— Le conseil des ministres est ajourné, le cabinet de Guerre demeure en séance.

— Une seconde, encore, ai-je ajouté. Prof, quand nous avons formé le ministère, vous nous avez demandé des lettres de démission non datées.

— Exact. J’espère cependant n’avoir jamais à en faire usage.

— Il va falloir vous servir de l’une d’elles.

— Manuel, est-ce une menace ?

— Prenez-le comme vous voudrez. (J’ai montré Wright du doigt.) Ou ce foutu bavard s’en va… ou c’est moi.

— Manuel, vous avez besoin de dormir.

J’ai refoulé mes larmes.

— Et comment ! Et je vais aller dormir immédiatement ! Je vais trouver un matelas quelque part dans le Complexe et je dormirai… une dizaine d’heures. Après cela, si je suis toujours ministre de la Défense, vous pourrez me réveiller ; sinon, laissez-moi dormir.

Un silence gêné régnait. Wyoh s’est levée pour venir à côté de moi. Sans rien dire, elle a glissé sa main sous mon bras.

Prof a parlé fermement :

— Que tous partent sauf les membres du cabinet de Guerre et le gospodin Wright. (Il a attendu que tout le monde fût parti, puis a déclaré :) Manuel, je ne peux pas accepter votre démission ni vous laisser me forcer à prendre des mesures hâtives à rencontre du gospodin Wright, alors que nous tombons tous de fatigue. Peut-être pourriez-vous échanger des excuses, chacun reconnaissant que l’autre se trouve dans un état d’épuisement qui explique ses débordements ?

— Euh… (Je me suis tourné vers Finn :) Est-ce qu’il s’est battu ? lui ai-je demandé en désignant Wright.

— Lui ? Que non ! Du moins pas dans mes parages. Alors ? Vous êtes-vous battu au cours de l’invasion ?

Wright a répondu avec raideur :

— Je n’en ai pas eu l’occasion. Lorsque j’ai appris les événements, tout était déjà terminé. Mais, étant donné que l’on a mis en doute à la fois ma loyauté et mon courage, j’exige…

— La ferme ! ai-je coupé. Si c’est un duel que vous voulez, d’accord, dès que je serai moins occupé. Prof, s’il n’a même pas l’excuse de s’être battu pour expliquer son attitude, je ne m’excuserai certainement pas car un foutu bavard reste toujours un foutu bavard. Et vous ne paraissez pas voir le problème : vous laissez cette grande gueule m’emmerder sans même essayer de l’arrêter ! Alors, c’est simple, vous le virez, ou bien c’est moi que vous fichez dehors !

Finn m’a interrompu :

— Je suis d’accord. Prof : ou vous mettez ce morpion à la porte, ou vous nous débarquez tous les deux. (Puis il a regardé Wright :) Quant à ce duel, espèce d’imbécile… il faudra d’abord te battre avec moi. Tu as deux bras, pas Mannie.

— Je n’ai pas besoin de deux bras pour celui-là. Merci quand même, Finn.

Wyoh pleurait… je le sentais, même si je n’entendais rien. Prof lui a demandé tristement :

— Wyoming ?

— Je suis dé-dé-désolée, Prof ! Mais moi aussi.

Il restait « Clayton » Watenabe, le juge Brody, Wolfgang, Stu et Sheenie, c’est-à-dire la poignée que comptait le cabinet de Guerre. Prof les a regardés ; je voyais bien qu’ils étaient de mon côté, cela a quand même demandé un gros effort à Wolfgang ; il faut dire qu’il travaillait avec Prof, pas avec moi.

Prof s’est tourné vers moi.

— Manuel, c’est à double tranchant. Vous me forcez à donner ma démission. (Il a jeté un regard circulaire :) Bonne nuit, camarades, ou plutôt, bonjour. Je vais aller prendre un peu de repos, j’en ai fichtrement besoin.

Et il s’en est allé, sans tourner la tête.

Wright avait disparu ; je ne l’avais pas vu s’en aller.