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Wyoh revenait avec mes bras. Je lui ai demandé le numéro six et j’ai ajouté :

— Greg, mets-moi en contact avec Harry.

* * *

Six heures plus tard nous étions prêts à émettre en direction de Terra. C’était un beau bricolage pour lequel nous avions surtout utilisé les sondes à résonance dont on se servait au début des recherches minéralogiques. Il pouvait transmettre sur une fréquence radio et semblait assez puissant. On avait enregistré les versions de mes avertissements, rédigées avec verve par Stu, et Harry se tenait prêt à les émettre le plus rapidement possible : tous les satellites de Terra étaient équipés pour recevoir à une vitesse même soixante fois supérieure à la normale, et nous ne voulions surtout pas faire fonctionner notre émetteur plus de temps que nécessaire : la surveillance à vue avait confirmé nos craintes, il restait au moins deux vaisseaux en orbite autour de Luna.

Nous avons donc dit à la Grande Chine que ses principales villes côtières recevraient chacune un cadeau de notre part, qui tomberait à 10 kilomètres au large des côtes de Pusan, de Tsingtao, de Taïpeh, de Shanghai, de Saigon, de Bangkok, de Singapour, de Djakarta, de Darwin et ainsi de suite. Seule exception : le Vieux Hong-Kong qui recevrait un coup au but au sommet même des bureaux des N.F. pour l’Extrême-Orient ; nous demandions donc avec insistance à tous les habitants de Hong-Kong de s’éloigner. Stu avait ajouté que les membres du personnel des N.F., n’étant pas considérés comme humains, étaient instamment priés de rester à leur poste.

L’Inde recevait les mêmes avertissements concernant ses villes côtières et nous ajoutions que les bureaux centraux des N.F. seraient épargnés pendant encore une rotation de Terra car nous entendions sauvegarder autant que possible les monuments historiques d’Agra. Nous voulions aussi donner le temps à la population d’évacuer les objectifs (J’avais l’intention de prolonger ce délai d’une autre rotation, quand le délai expirerait, par respect pour Prof ; puis d’une autre rotation, et ainsi de suite, indéfiniment. Pourquoi diable avaient-ils construit leurs bureaux officiels si près du plus magnifique tombeau jamais érigé ! Enfin, que voulez-vous. Prof y tenait beaucoup.)

Au reste du monde nous avons dit de rester dans les gradins car nous allions jouer les prolongations. Les gens étaient priés de se tenir éloignés de tous les bureaux des N.F., où qu’ils se trouvent ; nous avions maintenant l’écume aux lèvres et n’allions épargner aucune installation des N.F. Encore mieux : les habitants des villes où se trouvaient les quartiers généraux des N.F. feraient aussi bien de les évacuer complètement, sauf, naturellement, les personnalités et les flics, qui devaient, eux, rester sagement assis.

Puis j’ai passé les vingt heures suivantes auprès du jeunot pour lui apprendre à effectuer des observations éclairs dès que notre ciel se trouverait dégagé de tout vaisseau, ou du moins quand nous le pensions. Chaque fois que je le pouvais, je dormais un peu ; Leonore attendait à côté de moi et me réveillait à temps pour les opérations suivantes. À ce moment, nous avions épuisé les rochers de Mike ; nous nous sommes tous mis en état d’alerte pour lancer les premiers rochers du jeunot, aussi haut et aussi rapidement que possible. Nous avons attendu près de lui pour vérifier qu’il tirait juste, puis nous avons dit à Terra où il fallait regarder et quand se produiraient les prochains bombardements pour que tout le monde sache bien que les prétentions à la victoire des N.F. ne valaient pas mieux que tous les mensonges déversés depuis un siècle au sujet de Luna… tout cela de la plume distinguée, acerbe, précise et vitriolée de ce brave Stu.

Le premier projectile aurait dû être destiné à la Grande Chine mais nous avons préféré frapper la perle du Directoire d’Amérique du Nord – Hawaï. Le jeunot a placé son projectile dans le triangle formé par Maui, Molokai et Lanai. Je n’ai pas eu à faire la programmation, Mike avait tout prévu.

Nous nous sommes ensuite dépêchés de jeter une dizaine de rochers, à une cadence accélérée (j’ai même dû sauter un programme car il y avait un vaisseau dans notre ciel) et nous avons dit à la Grande Chine quand et où regarder, c’est-à-dire toutes les villes côtières que nous avions épargnées la veille.

Nous n’avions plus qu’une douzaine de projectiles mais j’ai décidé qu’il valait mieux épuiser réellement nos munitions plutôt que de donner seulement l’idée qu’elles tiraient à leur fin. J’ai donc averti sept villes côtières de l’Inde, choisissant de nouveaux objectifs… tandis que Stu demandait poliment si Agra avait été évacuée. Dans le cas contraire, que les Terriens aient l’obligeance de nous le dire immédiatement (nous n’y avons finalement pas lancé de rocher).

Nous avons demandé à l’Égypte de dégager la zone du canal de Suez. Pur bluff : il ne nous restait que cinq projectiles.

Puis nous avons attendu.

Bombardement de Lahaina Roads, dans les îles Hawaï. Ça a fait un effet bœuf, Mike pouvait être fier de son élève.

Et nous avons encore patienté.

Il restait encore trente-sept minutes avant le premier impact sur la côte chinoise… quand la Grande Chine a soudain dénoncé les actions des N.F. et nous a reconnus et offert sa médiation. Je me suis même foulé un doigt en appuyant, in extremis, sur le bouton d’annulation.

J’ai continué à appuyer sur des touches, malgré mon doigt qui me faisait souffrir, pour annuler les programmes ; l’Inde nous a reconnus presque immédiatement après.

L’Égypte a suivi. Et les autres pays ont commencé à se presser à notre porte.

Stu a fait savoir à Terra que nous avions suspendu – mais pas annulé – les bombardements. Qu’ils retirent de notre ciel tous leurs vaisseaux, immédiatement, SANS DÉLAI ! et nous pourrons parler. Si leurs vaisseaux ne pouvaient pas revenir à leur base sans refaire le plein de carburant, ils seraient autorisés à se poser, mais à plus de 50 kilomètres des terriers indiqués sur la carte, puis ils devraient attendre que nous acceptions leur reddition. Mais que notre ciel soit évacué IMMÉDIATEMENT !

Après cet ultimatum, nous avons accordé un délai de grâce de quelques minutes pour permettre à un vaisseau de dépasser la ligne d’horizon. Nous ne voulions pas prendre de risques : une seule fusée et Luna serait restée sans défense.

Et nous avons encore attendu.

L’équipe de dépannage envoyée pour réparer le câble est alors revenue. Elle était allée presque jusqu’à Luna City, elle avait trouvé le point de rupture. Malheureusement un éboulis de plusieurs milliers de tonnes de roc empêchait toute réparation ; ils avaient fait ce qu’ils avaient pu, avaient regagné la surface, construit un relais provisoire dans la direction probable de Luna City et envoyé une douzaine de fusées de signalisation à des intervalles de dix minutes, espérant que quelqu’un les verrait, en comprendrait le sens et viserait ce relais. Y avait-il eu un message ?

Non.

Nous avons attendu.

L’équipe de veille à vue est arrivée pour faire son rapport : le vaisseau qui avait traversé notre ciel à dix-neuf reprises avec la régularité d’une horloge ne s’était pas montré à l’heure voulue. Dix minutes plus tard, on nous a signalé qu’un autre vaisseau, lui aussi, avait manqué au rendez-vous.