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— Enregistré. Sherlock était mon frère.

Un an auparavant, j’avais expliqué à Mike l’origine de son nom ; après cela, il avait lu toutes les aventures de Sherlock Holmes, explorant chaque microfilm de la bibliothèque Carnegie de Luna City. Je ne sais pas comment il a compris ce que représentait cette parenté. J’ai hésité à le lui demander.

— Merveilleux ! Donne-moi un « Sherlock » avec la maison.

Un instant plus tard, j’ai dit :

— Mamie ? Ici, ton mari favori.

— Manuel ! a-t-elle crié. As-tu encore des ennuis ?

J’aime Mamie plus que toute autre femme, y compris mes autres épouses, mais elle est vraiment trop protectrice, Bog la bénisse. J’ai essayé de paraître surpris.

— Moi ? Pourquoi ? Tu me connais, Mamie.

— Oui, justement. Mais, si tu n’as pas d’ennuis, tu pourras peut-être m’expliquer pourquoi le professeur de La Paz a tellement envie de te joindre ? Il a déjà appelé trois fois. Et pourquoi il désire rencontrer une femme au nom incroyable de Wyoming Knott, et pour quelles raisons il pense que tu pourrais te trouver avec elle. Aurais-tu pris une compagne d’occasion sans m’en parler, Manuel ? Nous sommes très libres dans la famille, mon cher, mais tu sais que je préfère savoir ces choses. Je déteste par-dessus tout être prise au dépourvu.

Mamie se montre jalouse de toutes les femmes qui ne sont pas ses co-épouses et n’a jamais, au grand jamais, accepté de tromperie. Je lui ai répondu :

— Mamie, que Bog me foudroie si je mens ! Ce n’est pas ça du tout.

— Très bien. Tu as toujours été un garçon de confiance. Alors, ce mystère ?

— Il va falloir que je demande au professeur. (Ce qui ne constituait pas un mensonge, seulement une demi-vérité.) A-t-il laissé un numéro pour le rappeler ?

— Non, il a dit qu’il appelait d’une cabine publique.

— Bon… S’il rappelle, demande-lui de laisser un numéro et l’heure à laquelle je dois le rappeler. Je me trouve aussi dans une cabine publique (une autre demi-vérité). À part ça, as-tu entendu les dernières nouvelles ?

— Tu sais bien que je les écoute toujours.

— Rien de nouveau ?

— Rien d’intéressant.

— Aucun problème à L City ? Des meurtres, des émeutes, quelque chose de ce genre ?

— Pourquoi ? Non. Juste un duel dans Bottom Alley, mais… Manuel ! As-tu tué quelqu’un ?

— Non. Mamie. (Casser la mâchoire de quelqu’un, ce n’est pas le tuer.)

Elle a soupiré.

— Tu me feras mourir, mon chéri. Tu sais ce que je t’ai toujours dit : dans notre famille, on ne se bagarre pas. Si un meurtre s’avère nécessaire – et ça l’est rarement –, il faut en discuter calmement, en famille, afin de décider de la marche à suivre. S’il faut absolument éliminer un petit nouveau, tout le monde se doit d’être au courant. Mieux vaut attendre d’avoir l’opinion publique de son côté pour…

— Mamie, je n’ai tué personne et n’en ai pas l’intention. Je connais par cœur tes rengaines…

— Reste poli s’il te plaît, mon cher.

— Excuse-moi.

— C’est oublié, pardonné. Je vais dire au professeur de La Paz de laisser un numéro de téléphone. Sois tranquille.

— Une chose encore : oublie ce nom « Wyoming Knott ». Et aussi que le professeur de La Paz m’a demandé. Si un étranger téléphone ou vient nous voir, et qu’il t’interroge à mon sujet, tu n’as pas de nouvelles de moi, tu ne sais même pas où je suis… tu crois que je suis allé à Novylen. Et cela est valable pour le reste de la famille. Ne réponds à aucune question… et surtout pas à des personnes qui auraient un rapport quelconque avec le Gardien.

— Comme si j’allais le faire ! Manuel, tu as vraiment des ennuis.

— Rien de très grave, ça va s’arranger. (Je l’espérais du moins !) Je te préviendrai de mon retour mais je ne peux rien dire pour l’instant. Je t’aime. Je raccroche.

— Je t’aime, mon chéri. Sp’coynoyauchi.

— Merci, passe une bonne nuit toi aussi. Terminé.

Merveilleuse Mamie. On l’avait envoyée sur le Roc il y a bien longtemps, accusée d’avoir dépecé un homme dans des circonstances qui laissaient planer de grands doutes sur son innocence de jeune fille… Depuis lors, elle a toujours été opposée à la violence et à la débauche – sauf en cas de nécessité, elle n’a rien d’une fondamentaliste. Plus jeune, ce devait être une sacrée poupée, j’aurais bien voulu la connaître à cette époque… mais quel privilège, déjà, de pouvoir partager la seconde moitié de sa vie.

J’ai ensuite rappelé Mike.

— Connais-tu la voix du professeur Bernardo de La Paz ?

— Oui, Man.

— Bien… peux-tu te raccorder à autant de lignes téléphoniques que possible et me prévenir si tu l’entends ? Surveille surtout les cabines publiques.

Deux longues secondes d’attente… Je posais à Mike des problèmes qu’il n’avait jamais eus à résoudre ; je pense qu’il aimait cela.

— Je peux surveiller toutes les cabines de Luna City assez longtemps pour l’identifier. Dois-je aussi écouter les autres postes, Man ?

— Hmm… Ne te surcharge pas. Écoute surtout sa ligne privée et celle de l’école.

— Programmé.

— Mike, tu es le meilleur ami que j’aie jamais eu.

— Ce n’est pas une plaisanterie, Man ?

— Non, c’est la vérité.

— Je suis… Correction : je suis honoré et flatté. Tu es mon meilleur ami, Man, car tu es mon seul ami. Aucune comparaison n’est logiquement possible.

— Je vais m’occuper de te trouver d’autres compagnons. Des non-stupides, je veux dire. Aurais-tu par hasard une banque de mémoire vide ?

— Oui, Man. D’une capacité de dix puissance 8 bits.

— Excellent ! Bloque-la afin que toi et moi soyons les seuls à pouvoir l’utiliser ? Tu peux faire ça ?

— Oui, et je le fais. Signal de blocage, s’il te plaît ?

— Euh… « Prise de la Bastille ». (La date de mon anniversaire, comme me l’avait indiqué le professeur de La Paz quelques années auparavant.)

— Blocage permanent.

— Bien. J’ai un enregistrement à lui confier. Mais, d’abord… as-tu fini d’établir la copie pour le Quotidien Lunatique de demain ?

— Oui, Man.

— Quelque chose au sujet de la réunion de Stilyagi Hall ?

— Non, Man.

— Rien en provenance des agences de presse extérieures ? Pas d’émeutes ?

— Non, Man.

— De plus en plus curieux, comme dirait Alice au Pays des Merveilles. D’accord, enregistre ça sous l’entête « Prise de la Bastille », puis fais-en une analyse. Mais, pour l’amour de Bog, ne laisse pas sortir de ce bloc la moindre de tes pensées ou quoi que je puisse te dire à ce sujet !

— Man mon seul ami, m’a-t-il répondu d’une voix qui me semblait mal assurée, voilà quelques mois, j’ai décidé d’enregistrer toutes nos conversations dans une banque secrète à laquelle toi seul peux avoir accès. J’ai décidé de ne pas les effacer et je les ai transférées d’une mémoire temporaire à une mémoire permanente. Ainsi, je peux les repasser encore et toujours et y penser sans cesse. Ai-je eu raison ?

— C’est parfait. Tu sais, Mike, je suis très flatté.

— P’jal’st. Mes mémoires temporaires commençaient à saturer et j’ai réalisé que je ne pouvais pas effacer tes paroles.

— Très bien… « Prise de la Bastille ». Accélération au soixantième.

J’ai pris mon petit magnétophone que j’ai posé près du microphone pour le faire défiler à grande vitesse. J’avais enregistré une heure et demie ; en quatre-vingt-dix secondes environ, la bobine s’est déroulée.