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Il est plus facile d’expliquer les choses du sexe à une vierge que le fonctionnement d’un ordinateur à quelqu’un qui n’est pas du métier. Wyoh ne comprenait pas pourquoi, puisque Mike savait où Alvarez conservait ses archives, il ne pouvait s’y rendre et les rapporter.

J’ai abandonné la partie.

— Mike, peux-tu leur expliquer ?

— Je vais essayer, Man. Wyoh, je n’ai aucun moyen de retrouver des données bloquées sans programmation préalable. Je ne peux me programmer moi-même pour une telle recherche ; ma structure logique ne me le permet pas. Il faut que je reçoive le signal sous forme d’entrée extérieure.

— Alors, nom de Bog ! quel est donc ce précieux signal ?

— « Dossier Spécial Zèbre », a dit Mike avec la plus grande simplicité.

Et il a attendu.

— Mike ! ai-je crié. Débloque « Dossier Spécial Zèbre ».

Tout le matériel s’est mis à bourdonner quand il s’est exécuté. J’ai dû convaincre Wyoh que Mike n’avait pas fait preuve de mauvaise volonté. Au contraire, il nous avait presque suppliés de le sortir d’affaire. Naturellement, il connaissait le signal. Il le fallait bien. Mais ce signal devait venir de l’extérieur, il était ainsi conçu.

— Mike, rappelle-moi de vérifier avec toi tous les signaux de blocage pour les recherches spéciales. Il se pourrait que nous fassions d’autres découvertes.

— J’y ai pensé, Man.

— Très bien, nous nous en occuperons plus tard. Maintenant, étudions attentivement ce fichier et pendant que tu le lis, enregistre-le en parallèle sous le signal « Prise de la Bastille », sans effacement, et étiquette-le « Dossier Mouchards ». Compris ?

— Programmé et en cours d’exécution.

— Et tu feras la même chose avec tout ce qu’il ajoutera.

En cadeau de bienvenue, nous avons obtenu des listes de noms classés par terriers, certaines comportant quelque deux cents individus tous identifiés par un code que Mike a retrouvé grâce aux fiches de paie anonymes.

Mike a entrepris de lire la liste de Hong-Kong Lunaire. Il avait à peine commencé que Wyoh a hurlé :

— Arrête. Mike ! Il faut que j’écrive cela.

— Pas de document écrit, ai-je objecté. Quel est le problème ?

— Cette femme, Sylvia Chiang, c’est la camarade secrétaire, chez nous ! Mais… Mais, cela veut dire que le Gardien connaît tout notre réseau !

— Non, chère Wyoming, a rectifié Prof. Cela signifie que nous connaissons, nous, son organisation.

— Mais…

— Je vois ce que veut dire le professeur, lui ai-je dit. Notre réseau ne comprend que nous trois et Mike. Ce que le Gardien ne sait pas. Alors, chut ! Laissons Mike nous lire la liste. Mais n’écris rien ; tu y auras accès chaque fois que tu lui téléphoneras. Mike, note que cette « Chiang » est la secrétaire du réseau de l’ancien mouvement, à Kongville.

— Noté.

Wyoh bouillait de rage en entendant les noms des indics de sa ville, mais elle s’est contentée d’énoncer quelques faits concernant ceux qu’elle connaissait. Tous n’étaient pas des « camarades », mais il y en avait assez pour l’exaspérer. Les noms de Novy Leningrad ne représentaient pas grand-chose pour nous ; Prof en a reconnu trois, Wyoh un. Quand est venu le tour de Luna City, Prof en a identifié plus de la moitié comme étant des « camarades ». J’en ai reconnu quelques-uns, non pas en tant que personnes subversives mais comme de simples relations. Pas des amis… Je ne sais pas quel effet cela m’aurait fait si j’étais tombé sur quelqu’un en qui j’avais confiance sur la fiche de paie du service de la Sécurité. J’aurais probablement eu un choc.

Wyoh, elle, n’en revenait pas. La liste finie, elle a crié :

— Il faut que je rentre à la maison ! Jamais de ma vie je n’ai participé à l’élimination de qui que ce soit, mais je vais vraiment me réjouir de faire la peau à ces espions !

Avec tranquillité, Prof est intervenu :

— Personne ne sera éliminé, ma chère Wyoming.

— Quoi ? Professeur, vous pourriez supporter cela ? Si je n’ai jamais tué personne, j’ai toujours su qu’un jour il faudrait passer par là.

Il a remué la tête :

— Ce n’est pas en le tuant qu’on manipule un espion, surtout quand il ne sait pas que vous, vous l’avez démasqué.

— Je dois être idiote !

— Non, chère madame. Mais vous faites preuve d’une charmante honnêteté congénitale… c’est là une faiblesse contre laquelle vous devrez vous prémunir. Avec un espion, il faut agir en le laissant respirer, en l’enkystant au milieu de loyaux camarades, et en lui procurant des renseignements inoffensifs pour qu’il puisse continuer de satisfaire ses employeurs. Nous engagerons ces individus dans notre organisation. Allons, ne protestez pas : ils seront tous dans des cellules très spéciales. Le terme de « cages », conviendrait mieux. Ce serait dommage de les éliminer : chaque espion serait remplacé par un nouvel indicateur, sans compter que le seul fait de tuer ces traîtres signalerait au Gardien que nous avons pénétré ses secrets. Mike, mi amigo, tu dois avoir un dossier sur moi. Peut-on le voir ?

Il y avait un gros dossier sur le professeur, où on le désignait comme un « vieux fou inoffensif » – ce qui m’a un peu gêné. On l’avait étiqueté comme subversif, raison pour laquelle on l’avait déporté sur le Roc, et comme faisant partie du mouvement de résistance de Luna City. Un « fauteur de troubles » au sein même du réseau, quelqu’un rarement de l’avis des autres.

Prof semblait très satisfait.

— Je devrais songer à me vendre et à devenir salarié du Gardien.

Wyoh ne trouvait pas cela drôle, surtout quand il est apparu qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie mais seulement d’une éventualité tactique.

— Les révolutions doivent être financées, chère madame, et un révolutionnaire a toujours le moyen, pour cela, de devenir indicateur de police. Il est probable que certains de ces traîtres soient en fait de notre côté.

— Je ne leur ferais pas confiance !

— Ah, oui ! c’est toujours le problème avec les agents doubles, on ne peut jamais s’assurer de leur loyauté – si du moins ils en ont. Voulez-vous voir votre propre dossier ? À moins que vous ne désiriez l’entendre en privé ?

Le dossier de Wyoh ne nous a rien révélé. Les indicateurs du Gardien l’avaient dans leur collimateur depuis des années. J’ai été surpris d’avoir, moi aussi, un dossier : des vérifications de routine faites quand j’avais commencé à travailler pour le Complexe de l’Autorité. On m’avait classé comme « apolitique » et quelqu’un avait ajouté « pas très brillant », ce qui était à la fois désagréable et vrai ; dans le cas contraire, pourquoi aurais-je accepté de participer à cette révolution ?

Interrompant Mike (il y en avait encore pour des heures), Prof s’est penché en arrière, l’air songeur :

— Une chose est claire. Le Gardien en sait beaucoup sur Wyoming et sur moi-même, et ce depuis des années. Mais, vous, Manuel, vous n’êtes pas inscrit sur sa liste noire.

— Et après la nuit dernière ?

— Ah, oui ! Mike, a-t-on enregistré quoi que ce soit dans ce dossier depuis les vingt-quatre dernières heures ?

— Rien.

Prof a continué :

— Wyoming a raison : nous ne pouvons pas rester ici éternellement. Manuel, combien de noms avez-vous identifiés ? Six, n’est-ce pas ? Avez-vous aperçu l’un d’eux la nuit dernière ?

— Non. Mais ils ont pu me voir, eux.

— Il est plus que probable qu’ils ne vous ont pas distingué dans la foule. Moi-même je ne vous ai pas repéré avant d’aller sur l’estrade alors que je vous connais pourtant depuis votre enfance. En revanche, je doute fort que Wyoming ait pu venir de Hong-Kong pour participer à la réunion sans que l’un des sbires du Gardien n’établisse un rapport sur ses agissements. (Il a regardé Wyoh.) Chère madame, accepteriez-vous de jouer le rôle officiel d’un caprice de vieillard ?