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— Très bien. (Et il a ajouté dans un souffle :) Je m’appelle Jock.

— Attends, m’a dit Sidris calmement. Continue de la surveiller.

Et elle a emmené Jock dans une pâtisserie.

Elle m’a rejoint en ressortant. Jock la suivait, une sucette dans la bouche.

— Au revoir, tante Mabel ! Et merci !

Il s’est éloigné en se dandinant, puis s’est approché de la petite rouquine en faisant mine d’admirer la vitrine d’un air solennel. Sidris et moi sommes rentrés à la maison.

Un rapport m’attendait : « Elle est allée au jardin d’enfants Le Berceau et n’est pas ressortie. Devons-nous continuer la surveillance ? »

— Encore un peu.

J’ai demandé à Wyoh si elle se rappelait de la gosse. Réponse affirmative, mais elle n’avait pas la moindre idée de son identité.

— Tu devrais demander à Finn.

— On peut faire mieux.

J’ai appelé Mike.

Oui, le jardin d’enfants Le Berceau avait le téléphone et Mike le mettrait sur écoute. Il lui a fallu vingt minutes pour ramasser assez d’éléments et les analyser : il y avait beaucoup de jeunes voix, en général asexuées à cet âge.

Il m’a enfin déclaré :

— Man, j’ai entendu trois voix qui pourraient convenir à l’âge et au type physique recherchés. Deux d’entre elles répondent à des noms que je suppose masculins, la troisième à quiconque dit « Hazel ». Et il y a une vieille femme qui l’appelle sans arrêt. Sûrement sa patronne.

— Mike, regarde le dossier de l’ancien mouvement. Vérifie Hazel.

— Quatre Hazel répertoriées, m’a-t-il répondu immédiatement, et la voici : Hazel Meade, les Jeunes Camarades, Mouvement Auxiliaire, jardin d’enfants Le Berceau, née le 25 décembre 2063, poids trente-neuf kilos, taille…

— C’est notre petite fusée ! Merci, Mike. Wyoh, rappelle la surveillance. Bon travail !

— Mike, appelle Donna et fais passer la consigne, tu seras un amour.

J’ai laissé aux filles le soin de recruter Hazel Meade, et je ne l’ai pas revue avant le jour où Sidris l’a amenée à la maison, deux semaines plus tard. Wyoh a exigé un rapport avant cela : question de principe. Sidris avait complété sa cellule mais voulait quand même y inclure Hazel Meade. Outre cette entorse au règlement, Sidris hésitait à recruter une enfant. Le mouvement avait pour politique de n’enrôler que des adultes âgés de plus de seize ans.

J’en ai référé à Adam Selene et à la cellule de direction.

— Telles que je conçois les choses, ai-je dit, ce système de cellules ternaires doit nous rendre service, et pas nous lier bras et jambes. Je ne vois aucun mal à ce que la camarade Cecilia accueille un membre supplémentaire. Ni aucun véritable danger pour notre sécurité.

— Je suis d’accord, a dit Prof. Mais je propose que ce membre supplémentaire ne fasse pas partie de la cellule de Cecilia – qu’elle n’en connaisse pas les autres membres, je veux dire, sauf si les missions de Cecilia le rendent nécessaire. Et vu son âge, je ne crois pas judicieux de lui laisser faire du recrutement. Oui, le vrai problème, c’est son âge.

— D’accord aussi, a dit Wyoh. Parlons-en.

— Mes amis, a appelé Mike avec une certaine hésitation (pour la première fois depuis des semaines, il semblait hésiter ; bien plus qu’une machine solitaire, il était maintenant devenu « Adam Selene », un directeur plein d’assurance), peut-être aurais-je dû vous tenir au courant mais il m’est déjà arrivé d’accorder de semblables autorisations. Cela ne semblait pas prêter à discussion.

— Non, Mike, nous ne nous disputons pas, l’a rassuré Prof. Un président doit savoir utiliser son propre jugement. Quel est l’effectif de notre cellule la plus importante ?

— Cinq. C’est une cellule double : trois plus deux.

— Rien de bien grave. Chère Wyoh, est-ce que Sidris propose de faire de cette enfant une camarade à part entière ? Qu’elle lui fasse bien comprendre que nous sommes engagés dans une révolution… avec tout le sang, les émeutes et peut-être même les désastres que cela implique.

— C’est exactement ce qu’elle veut faire.

— Mais, ma chère dame, nous sommes assez vieux pour savoir ce que nous faisons quand nous risquons nos vies. Pour cela, il faut avoir déjà ressenti l’étreinte de la mort. Les enfants sont rarement capables de comprendre que la mort les frappera personnellement. L’âge adulte peut même se définir comme celui auquel une personne apprend qu’elle devra mourir et accepte cette fatalité sans protester.

— Prof, ai-je interrompu, dans ce cas je connais beaucoup d’enfants déjà adultes. Je parie à sept contre deux qu’il y en a au Parti.

— Ne pariez pas là-dessus, imbécile. Il y a de fortes chances pour qu’au moins la moitié d’entre eux n’aient pas les qualités requises. Peut-être nous en apercevrons-nous à nos dépens à la fin de notre folle entreprise.

— Prof, Mike, Mannie, a appelé Wyoh. Sidris est certaine que cette enfant conviendra. Et c’est aussi ce que je pense.

— Man ? a demandé Mike.

— Arrangeons-nous pour que Prof puisse la rencontrer et se forger une opinion par lui-même. C’est surtout sa façon désespérée de se battre qui m’a conquis. Sans cela, je n’aurais pas proposé de la recruter.

Nous avons ajourné la question et je n’en ai plus entendu parler. Peu après, Hazel est venue dîner à la maison, invitée par Sidris. Elle n’a pas fait mine de me reconnaître et je n’ai rien dit non plus, mais j’ai appris longtemps après qu’elle m’avait bien reconnu, pas seulement à cause de mon bras gauche mais parce que la grande blonde de Hong-Kong m’avait embrassé en ajustant mon chapeau. Hazel avait percé à jour le déguisement de Wyoming, reconnaissant ce que Wyoh n’était jamais parvenue à dissimuler : sa voix.

Mais Hazel avait un vrai poids sur la langue ; si elle a jamais supposé que j’appartenais à la conspiration, elle n’en a jamais parlé.

L’histoire de son enfance expliquait son attitude, si l’on peut prétendre qu’un caractère bien trempé découle d’un vécu difficile. On l’avait déportée encore bébé avec ses parents, exactement comme Wyoh ; elle avait perdu son père dans un accident alors qu’il effectuait son temps de travaux forcés et sa mère avait accusé l’Autorité de ne pas se préoccuper des problèmes de sécurité pour les colons bagnards. Hazel avait cinq ans lorsque sa mère était morte. Depuis, elle vivait dans l’orphelinat où nous l’avions trouvée. Elle ne savait pas non plus pourquoi on avait déporté ses parents – peut-être pour subversion, puisque apparemment ils avaient été tous les deux condamnés. Quoi qu’il en soit, sa mère lui avait légué sa haine envers l’Autorité et le Gardien.

La famille qui tenait Le Berceau lui avait permis de rester ; Hazel changeait les couches et faisait la vaisselle depuis qu’elle en avait la force. Elle avait appris toute seule à lire et connaissait son alphabet sans pour autant savoir écrire. Ses notions de mathématiques ne dépassaient pas cette habileté à compter l’argent que les enfants ont dans la peau.

Son départ du jardin d’enfants ne s’était pas passé en douceur, la propriétaire et ses maris prétendant qu’Hazel leur devait plusieurs années d’entretien. Hazel avait résolu le problème en filant, abandonnant derrière elle ses pauvres effets personnels. Mamie était suffisamment furieuse pour demander à toute la famille de déclencher une émeute qui aurait pu facilement dégénérer, mais je l’ai prise à part pour lui rappeler qu’en ma qualité de chef de cellule, je ne voulais absolument pas que notre famille se désigne à l’attention du public ; je lui ai donné du liquide, lui assurant que le Parti paierait pour habiller Hazel. Mamie a refusé l’argent, a dispersé le conseil de famille et emmené Hazel en ville où elle a fait de véritables folies – selon ses propres critères – afin de l’équiper de nouveau.