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On lui a rétorqué avec mépris que cela n’avait aucune importance si d’ex-déportés avaient envie de se battre entre eux au fond de leurs trous. Pourquoi ne pensait-il pas à éteindre l’éclairage comme cela avait été fait, avec grand succès, en 1996 et en 2021 ?

Ces échanges nous ont forcés à modifier notre calendrier, à accélérer certaines opérations et à en ralentir d’autres. Comme un repas gastronomique, une révolution doit se préparer de telle manière que tout arrive à point nommé. Stu avait besoin de temps sur la Terre. Nous, il nous fallait des projectiles, des petites tuyères directionnelles, ainsi que des circuits intégrés pour pouvoir « lancer nos rochers ». L’acier constituait un problème car il fallait l’acheter, l’usiner et surtout le transporter à travers les méandres des tunnels jusqu’à l’aire de catapultage. Nous devions recruter davantage pour parvenir au moins à la lettre « K » – ce qui représentait environ 40 000 membres. Aux bas échelons, nous enrôlions les personnes davantage pour leur esprit combatif que pour leurs talents particuliers, comme nous l’avions fait jusqu’alors. Nous avions aussi besoin d’armes pour repousser d’éventuels débarquements. Il nous fallait encore déplacer les radars de Mike, sans lesquels il était aveugle (Mike lui-même ne pouvait être changé de place, mais il avait des prolongements partout sur Luna ; il y avait un millier de mètres de roche au-dessus de sa partie centrale dans le Complexe, il était recouvert d’acier et possédait une armature montée sur ressorts car l’Autorité avait pensé à l’éventualité qu’il subisse un bombardement nucléaire).

Nous devions faire tout cela sans pour autant trop se précipiter.

C’est pourquoi nous avons mis un frein à ce qui pouvait ennuyer le Gardien, tout en accélérant le reste. Simon Jester a pris des vacances. Nous avons transmis la consigne que les bonnets phrygiens n’étaient plus à la mode, mais qu’il fallait quand même les conserver. Le Gardien n’a plus reçu d’appels téléphoniques exaspérants ; nous avons cessé de provoquer des incidents avec les dragons, ce qui ne les a pas supprimés complètement mais en a réduit le nombre.

Malgré tous nos efforts pour calmer les angoisses de Morti la Peste, un inquiétant symptôme est apparu : bien qu’aucun message (du moins aucun que nous ayons intercepté) ne soit parvenu au Gardien pour lui accorder des renforts de troupes, il a fait sortir des gardes du Complexe. Les membres du Service civique qui y vivaient ont cherché des trous à louer dans L City. L’Autorité a fait procéder à des essais de forage et de sondage aux ultrasons dans un volume proche de L City potentiellement transformable en terrier.

Cela pouvait signifier que l’Autorité avait l’intention d’y envoyer des prisonniers en masse ; ou que l’espace dans le Complexe avait été acquis dans un autre but que celui qui lui était assigné actuellement. Pour servir de casernement ?

— Ne vous faites pas d’illusions, nous a dit Mike. Le Gardien va recevoir ses renforts ; et cet espace leur servira de baraquement. S’il y avait une autre explication, j’en aurais eu vent.

— Mais pourquoi n’as-tu pas entendu parler de ces renforts ? Tu as bien déchiffré le code du Gardien !

— En partie seulement. Les deux derniers vaisseaux ont amené des personnalités de l’Autorité et je ne sais pas ce qu’ils racontent loin des téléphones.

Nous avons donc établi des plans envisageant l’entrée en lice de dix autres phalanges, Mike estimant que le volume libéré pouvait contenir cet effectif. Nous pourrions faire face à ce nombre – avec l’aide de Mike – mais cela signifierait des morts, et aucunement le coup d’État sans heurts que Prof avait prévu.

Nous avons alors porté tous nos efforts sur les autres points.

Quand, tout à coup, nous nous sommes retrouvés au pied du mur…

13

Elle s’appelait Marie Lyons ; elle avait dix-huit ans. Sa mère ayant été exilée avec le Détachement pacifique de 56, elle était née sur Luna. Aucune trace de son père. Elle paraissait tout ce qu’il y a de plus inoffensif. Elle travaillait comme contrôleuse des approvisionnements au service des expéditions et habitait dans le Complexe.

Peut-être haïssait-elle l’Autorité et aimait-elle taquiner les dragons de la Paix ou peut-être cela a-t-il commencé comme une pure transaction commerciale, dans le calme le plus absolu, derrière un tourniquet payant. Comment savoir ? Il y avait six dragons. Non satisfaits de l’avoir violée (car s’il s’agissait d’un viol), ils ont abusé d’elle de plusieurs autres façons puis l’ont tuée. Mais ils n’ont pas su se débarrasser du cadavre : une autre femme du Service civique l’a trouvé avant qu’il n’ait refroidi. Elle a poussé un ultime cri…

Nous avons tout de suite été au courant. Mike nous a appelés tous les trois pendant qu’Alvarez et le chef de corps des dragons de la Paix étudiaient les mesures à prendre dans le bureau d’Alvarez. Le commandant des dragons ne semblait pas avoir eu de la peine à mettre la main sur les coupables. En compagnie d’Alvarez, il les interrogeait un à un et les cuisinait durement. Nous avons entendu une fois Alvarez hurler :

— Vos satanés dragons devraient avoir leurs femmes avec eux, je vous avais averti !

— Ne remettez pas ça sur le tapis ! a répondu l’officier des dragons. Je vous ai répété cent fois qu’ils n’en enverront pas. Maintenant, la question est de savoir ce que nous allons faire pour étouffer l’affaire.

— Êtes-vous fou ? Le Gardien est déjà au courant.

— Ce qui ne résout rien au problème.

— Suffit ! Passons au suivant.

Tout au début de cette affreuse histoire, Wyoh m’avait rejoint dans mon atelier. Toute pâle sous son fond de teint, elle demeurait silencieuse mais voulait s’asseoir à côté de moi et me prendre la main.

La conférence s’est quand même terminée et le dragon a quitté Alvarez. Ils n’étaient pas tombés d’accord : Alvarez voulait que les six dragons soient immédiatement exécutés pour donner toute la publicité désirable à cette affaire (une action avisée mais insuffisante, de son point de vue) ; le chef de corps parlait encore « d’étouffer l’affaire ».

— Mike, a dit Prof, continuez d’écouter, ici et partout où vous le pouvez. Compris, Mike ? Wyoh ? Man ? Une idée ?

Je n’en avais aucune. Je n’étais pas un révolutionnaire posé et lucide ; j’avais seulement envie de les écraser, de leur faire payer.

— Je ne sais pas. Que faut-il faire, Prof ?

— Faire ? Nous y sommes, nous avons débusqué le tigre et il faut maintenant l’attraper par les oreilles. Mike, où est Finn Nielsen ? Trouvez-le.

— En appel, a répondu Mike.

Il nous a mis en contact avec Finn ; j’ai entendu : «… à la station Sud. Les deux gardes sont morts, ainsi que six de nos gens. Je dis des gens, pas obligatoirement des camarades. Des bruits courent sur les dragons ; ils seraient devenus fous, violeraient et tueraient toutes les femmes du Complexe. Adam, je préférerais parler à Prof. »

— Je suis ici, Finn, a répondu Prof d’une voix forte, confiante. Il nous faut bouger, à tout prix. Cesse le travail, prends les pistolets laser et les hommes qui y sont entraînés, tous ceux que tu peux ramasser.

— Da ! D’accord, Adam ?

— Faites ce que dit Prof. Puis rappelez.

— Un instant, Finn ! Ici, Mannie. Il me faut un de ces pistolets.

— Tu n’es pas entraîné, Mannie.

— Si c’est un laser, je sais m’en servir.