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Notre calendrier nous laissait souffler : il n’y avait alors aucun vaisseau de voyageurs sur Luna et nous n’en attendions pas avant le 7 juillet. Nous aurions naturellement pu nous en occuper en invitant les officiers du vaisseau à « dîner en compagnie du Gardien » ou trouver quelque autre prétexte, puis nous aurions monté la garde près de son émetteur, ou bien nous l’aurions démonté. Un appareil ne pouvait pas décoller sans notre aide : à cette époque, une canalisation de glace fournissait l’eau nécessaire au réacteur. Un vaisseau par mois ne représentait pas grand-chose par rapport aux expéditions quotidiennes de grain. Ça n’aurait donc pas constitué un incident insurmontable. Nous étions cependant heureux de ce répit ; nous nous efforcions de donner à toute chose une apparence normale en attendant de pouvoir nous défendre nous-mêmes.

Les expéditions de grain se faisaient comme par le passé ; on avait même catapulté l’une d’elles presque au moment où les hommes de Finn s’engouffraient par effraction dans la résidence du Gardien. La suivante était partie à l’heure prévue ainsi que toutes les autres.

Ni omission ni retard : Prof savait ce qu’il faisait. Les expéditions de grain représentaient une opération importante (du moins pour un petit pays comme Luna) et elles ne pouvaient être modifiées en un demi-mois lunaire : cela conditionnait la survie de trop de gens. Si notre comité avait imposé un embargo et cessé d’acheter du grain, nous aurions été immédiatement balayés et un nouveau comité nous aurait remplacés, avec d’autres idées.

Prof avait dit qu’une période d’éducation s’avérerait nécessaire. Tandis que l’on catapultait les barges de grain comme à l’ordinaire, la LuNoHoCo tenait les registres et émettait des reçus avec l’aide du personnel du Service civique. On expédiait des dépêches au nom du Gardien – Mike parlait avec l’Autorité en imitant sa voix. L’administrateur adjoint s’est montré raisonnable dès qu’il a compris que sa vie était en jeu. L’ingénieur en chef a également conservé son poste, mais il faut dire que Mclntyre était un vrai Lunatique, devenu flic par hasard. Les autres chefs de service et les cadres inférieurs ne nous ont posé aucun problème. La vie a continué comme auparavant, nous étions trop occupés pour démonter le système de l’Autorité et n’en récupérer que les rouages utiles.

Plus d’une douzaine d’olibrius ont prétendu être Simon Jester ; Simon a écrit quelques vers féroces pour les remettre à leur place et sa photo a paru à la une du Lunatique, de la Pravda et du Gong. Wyoh a recouvré sa blondeur et s’est rendue sur l’aire de la nouvelle catapulte, pour voir Greg ; puis elle a fait un autre voyage long de dix jours vers son ancienne demeure de Hong-Kong Lunaire, emmenant avec elle Anna qui désirait connaître cette ville. Wyoh avait besoin de vacances et Prof lui a ordonné d’en prendre, lui faisant remarquer qu’elle pouvait toujours garder le contact par téléphone et que nous avions besoin d’établir à Hong-Kong des relations plus étroites avec le Parti. Je me suis alors chargé de ses stilyagi, prenant comme adjoints Slim et Hazel, des gosses intelligents et honnêtes en qui je pouvais avoir confiance. Slim a été impressionné de découvrir que j’étais le « camarade Bork » et que je voyais tous les jours « Adam Selene » ; son pseudo dans le Parti commençait par la lettre « G ». Et j’avais une autre bonne raison de me satisfaire de cette équipe : Hazel avait commencé à développer de jolies rondeurs et ne ressemblait plus du tout à la petite pensionnaire des débuts ; elle avait atteint l’apogée de son orbite. Slim était prêt à lui donner le nom de « Stone » dès qu’elle le désirerait. Il était cependant impatient de se mettre au travail pour le Parti et partageait les tâches avec notre féroce petite rouquine.

Mais tout le monde ne montrait pas la même bonne volonté ; beaucoup de camarades se sont révélés des soldats de pacotille. Nombreux ont été ceux qui pensaient que la guerre avait pris fin parce que nous avions éliminé les dragons de la Paix et capturé le Gardien. D’autres se sont indignés de tenir un rang fort inférieur dans la structure du Parti ; ils désiraient élire une nouvelle hiérarchie dont ils auraient pris la tête.

Adam recevait sans arrêt des appels où on lui proposait ceci ou cela. Il écoutait, agréait, assurait que le Parti ne pouvait se priver de leurs services dans l’attente d’une élection… puis il en référait à Prof et à moi. Je ne suis pas certain qu’un seul de ces ambitieux se soit révélé efficace lorsque j’ai essayé de les mettre au travail.

Nous avions un travail monstrueux que personne ne voulait effectuer. Bon, quelques-uns. Certains des meilleurs volontaires étaient des gens que le Parti n’avait jamais remarqués. Mais en général, les Lunatiques, qu’ils aient ou non appartenu au Parti, ne montraient guère d’intérêt pour le travail « patriotique », sauf quand la paie suivait. Un nouveau débarqué qui se prétendait membre du Parti (il mentait) est venu un jour m’ennuyer au Raffles où nous avions installé notre quartier général ; il voulait absolument obtenir un contrat de fourniture pour cinquante mille médailles à décerner aux « vétérans de la révolution ». Il ne prenait qu’un tout petit bénéfice (que j’ai estimé à environ 400 % du prix de revient), ce qui me permettait de gagner une gentille petite commission ; bref, une bonne affaire pour tout le monde.

Quand je l’ai rabroué, il m’a menacé de me dénoncer à Adam Selene.

— C’est un de mes très bons amis, sachez-le ! m’a-t-il déclaré en m’accusant de sabotage.

Voici le genre d’« aide » que nous obtenions. Nous avions pourtant besoin de quelque chose de bien différent : de l’acier sur l’aire de la nouvelle catapulte, une quantité énorme – au point que Prof a demandé s’il fallait vraiment en recouvrir les cailloux constituant nos missiles. J’ai dû lui faire remarquer qu’un champ d’induction serait sans influence sur du roc pur. Nous avions aussi à réinstaller les radars balistiques de Mike sur l’ancienne aire et à installer un radar à variations de fréquence sur la nouvelle ; ces deux travaux étaient de la plus haute importance car nous devions nous attendre à des attaques en provenance de l’espace sur l’emplacement de l’ancienne catapulte.

Nous avons fait appel à des volontaires, pour n’en trouver que deux qui se sont vraiment rendus utiles… alors que nous avions besoin de plusieurs centaines de mécaniciens n’ayant pas peur de travailler avec des combinaisons pressurisées. Nous avons donc dû en embaucher et les payer en conséquence. La LuNoHoCo a été obligée de s’hypothéquer à la Banque de Hong-Kong Lunaire : nous n’avions pas le temps de voler l’argent nécessaire et la plus grande partie des fonds avait été transférée sur Terre pour servir à Stu. Un camarade avisé, Foo Moses Morris, a avalisé énormément de traites pour nous permettre de continuer à fonctionner ; un beau jour, il s’est réveillé complètement ruiné. Il a refait sa vie en ouvrant une petite boutique de tailleur à Kongville. Mais bien plus tard.

Quand les coupures de l’Autorité ont chuté de trois contre un à dix-sept contre un après le coup d’État, les employés du Service civique se sont mis à protester car Mike continuait de les payer avec des chèques de l’Autorité. Nous leur avons dit qu’ils pouvaient rester ou se démettre ; après quoi, nous avons engagé le personnel dont nous avions besoin et l’avons payé avec des dollars de Hong-Kong. Cette opération, malheureusement, a suscité l’apparition d’une forte opposition qui regrettait la vieille époque et se préparait à renverser le nouveau régime.