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— Mike, tu crois réellement qu’ils vont nous bombarder ?

— Tu peux en être certain, Man. Et c’est justement ce qui rend ce voyage tellement important.

Là-dessus, je suis allé voir le cercueil volant. J’aurais dû rester chez moi.

Avez-vous déjà vu à quoi ressemblent ces foutues barges ? Rien d’autre qu’un cylindre d’acier avec des rétrofusées, des fusées de guidage, et un radar. Ça ressemble à un vaisseau spatial comme une paire de pinces à mon bras numéro trois. On avait découpé la coque pour y aménager notre « cabine ».

Pas de cuisine, pas de W.-C., rien. Quelle importance ? Nous n’allions y être enfermés qu’une cinquantaine d’heures…

Comme nous partions à jeun, nous n’avions aucun besoin de tinette. Bar et salle à manger, inutiles ! Nous ne devions pas quitter notre combinaison, sans compter que nous allions être drogués – aussi, rien n’avait d’importance.

Du moins. Prof serait sous l’influence des drogues pendant la plus grande partie du voyage car, moi, j’avais besoin d’être conscient au moment de l’atterrissage pour essayer de nous extraire de ce piège mortel si quelque chose tournait mal, sans personne pour venir à notre rescousse avec un ouvre-boîtes. Ils construisaient une sorte de berceau dans lequel devaient s’insérer nos combinaisons pressurisées ; nous devions être attachés dans ces gouttières et y rester jusqu’au débarquement sur Terra. Il semblait qu’on s’était davantage occupé de calculer le poids de l’ensemble pour le faire correspondre à celui des expéditions normales de grain, déterminer la position du centre de gravité, organiser les procédés pour le rectifier sans cesse… que de notre confort : l’ingénieur en charge m’a dit qu’ils avaient même calculé le poids des rembourrages de nos combinaisons pressurisées.

Je me suis réjoui en apprenant que nous allions disposer de quelques rembourrages – ces sortes de trous ne me paraissaient pas tellement douillets.

Je suis retourné à la maison, pensif.

Wyoh n’était pas là pour dîner, ce qui n’arrivait pas souvent ; Greg si, ce qui se produisait encore plus rarement. Personne n’a commenté mon intention de me transformer le lendemain en caillou projeté sur Terra, même si tous en avaient eu connaissance. Je n’ai rien remarqué d’anormal jusqu’au moment où la jeune génération a quitté la table sans qu’on le lui dise ; j’ai compris alors pourquoi Greg n’était pas retourné sur le site de la Marc Undarum après que le Congrès se fut ajourné ce matin : quelqu’un avait demandé un conseil de famille.

Mamie a regardé toute l’assemblée et a dit :

— Nous sommes tous ici. Ali, ferme cette porte ; c’est parfait. Grand-papa, veux-tu commencer ?

Notre mari-aîné, après avoir humé son café, s’est levé. Il a considéré l’assemblée et a dit d’une voix forte :

— Je vois que nous sommes tous réunis et que les enfants sont allés se coucher. Je vois qu’il n’y a pas d’étranger, ni d’invité. Je nous déclare réunis conformément aux coutumes établies par Jack Davis le Noir, notre Premier Mari, et par Tillie, notre Première Épouse. Si un problème survient concernant la sécurité et le bonheur de notre ménage, que l’on fasse maintenant la lumière. Ne laissons jamais rien s’envenimer. Telle est notre coutume.

Grand-papa s’est tourné vers Mamie et a dit doucement :

— À toi, Mimi.

Et il est retombé dans sa douce apathie. L’espace d’une minute, il avait semblé fort, beau, viril, dynamique, exactement l’homme de l’époque où j’avais été opté… et j’ai eu les larmes aux yeux, tout à coup, en pensant combien j’avais été heureux !

Mais à ce moment, je ne savais pas si je me sentais heureux ou non. Seul le fait que je devais être expédié le lendemain vers Terra comme un ballot de grain pouvait justifier un tel conseil de famille. Mamie avait-elle l’intention de dresser la famille contre ce projet ? Personne n’est jamais tenu par les décisions prises en ces occasions, même si l’on prétend toujours le contraire. Voilà bien toute la force de notre ménage : aux instants critiques, nous nous tenons les coudes.

Mimi continuait :

— Quelqu’un aurait-il un problème qui mériterait d’être discuté ? Parlez, mes chéris.

Greg s’est levé.

— Moi.

— Nous t’écoutons.

Greg est bon orateur, capable d’affronter toute une congrégation et de parler avec la plus grande assurance de sujets sur lesquels j’ai du mal à m’exprimer, même tout seul. Ce soir, il ne semblait pas du tout sûr de lui.

— Bien… Euh… Nous avons toujours essayé de garder un certain équilibre dans notre ménage, avec des vieux et des jeunes, en alternant les sexes avec régularité. Nous avons cependant fait quelques exceptions, pour de bonnes raisons. (Il a jeté un coup d’œil sur Ludmilla.) Nous avons rétabli plus tard l’équilibre. (Et il a levé les yeux sur Frank et Ali, assis en bout de table, flanquant Ludmilla.)

« Au cours des années, comme on peut le voir en consultant nos archives, l’âge moyen des maris a été de quarante ans, celui des épouses de trente-cinq… et c’est exactement avec cette différence d’âge que notre ménage a commencé, il y a maintenant près d’un siècle, puisque Tillie avait quinze ans quand elle a choisi Jack le Noir, qui venait, lui, juste d’en avoir vingt. J’ai découvert qu’aujourd’hui la moyenne d’âge des maris est presque exactement de quarante ans, tandis que celle…

Mamie l’a interrompu avec fermeté :

— Ne nous perdons pas dans les problèmes d’arithmétique, Greg chéri. Au fait.

Je me demandais où Greg voulait en venir. Il faut dire que j’avais souvent été absent durant la dernière année et que la plupart du temps je rentrais à la maison après que tout le monde fut couché. Il parlait manifestement de mariage, or personne ne propose jamais de nouvelles épousailles avant d’avoir d’abord donné à chacun la possibilité d’étudier le projet avec soin. Il est impossible de faire autrement.

Mais suis-je stupide ! – Greg s’est mis à bégayer et a dit :

— Je propose Wyoming Knott !

J’ai déjà dit que j’étais stupide. Je comprends les machines, et les machines s’entendent bien avec moi, mais je ne prétends pas saisir quoi que ce soit aux gens. Quand je deviendrai mari-aîné, si je vis jusque-là, je ferai exactement comme grand-papa fait avec Mamie : je laisserai Sidris commander. De la même manière… Bon ! réfléchissons : Wyoh s’était convertie à l’Église de Greg. J’apprécie Greg, je l’aime et je l’admire, mais il est impossible de faire digérer par un ordinateur la théologie de son Église sans obtenir autre chose que le néant. Wyoh s’en était sûrement rendue compte, vu qu’elle l’avait rencontré adulte… Pour tout dire, j’avais cru que la conversion de Wyoh prouvait sa volonté de faire n’importe quoi pour notre cause.

En fait, Wyoh avait opté Greg avant cela. Elle avait fait de nombreux voyages vers l’emplacement de notre nouvelle catapulte, et il avait toujours été plus facile de l’y envoyer elle, plutôt que Prof ou moi. C’était évident, je n’en revenais pas mais j’aurais dû m’en apercevoir.

— Greg, a dit Mimi, as-tu quelque raison de penser que Wyoming accepterait d’être choisie par nous ?

— Oui.

— Parfait. Nous connaissons tous Wyoming et je suis certaine que nous avons déjà forgé notre opinion à son sujet. Je ne vois aucune raison de nous y opposer… quelqu’un a-t-il quelque chose à ajouter ? Parlez !

Mamie n’était pas surprise. Rien d’étonnant à cela. Personne ne l’était d’ailleurs, car Mamie ne laisse jamais se réunir un conseil de famille si elle n’en connaît pas au préalable l’issue.