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L’estomac vide, j’ai empli mon casque avec le liquide le plus amer et le plus nauséabond qui soit. Après quoi, notre cabine s’est retournée et j’ai eu de la bile dans les yeux, dans les cheveux et même dans le nez. Voilà donc ce que les vers de Terre appellent le « mal de mer », l’une de ces nombreuses horreurs auxquelles ils sont habitués.

Je ne m’appesantirai pas sur le très long remorquage jusqu’au port. Disons seulement qu’en plus du mal de mer, mes bouteilles d’air commençaient à s’épuiser. Elles avaient été calculées pour douze heures, une durée largement suffisante pour les quarante-huit heures pendant lesquelles j’étais surtout resté inconscient et où je n’avais pas fait le moindre exercice ; mais pas tout à fait pour les quelques heures de remorquage qui ont suivi… Au moment où la barge s’est enfin immobilisée, j’étais presque trop abruti pour tenter de sortir.

Autre chose : nous avons été repêchés, puis posés à terre me semble-t-il, la tête en bas. Une position confortable quand on est soumis à une pesanteur de 1 G ; mais absolument impossible pour : a) se détacher tout seul ; b) s’extraire du berceau ; c) se saisir d’un marteau attaché à la paroi par de multiples liens ; d) s’en servir pour défoncer l’écoutille de secours ; e) se frayer un chemin vers l’extérieur et, enfin, f) tirer à sa suite un vieillard revêtu d’une combinaison pressurisée.

Je n’ai même pas réalisé le point a ; je me suis évanoui la tête en bas.

Heureusement qu’il avait été prévu une procédure de dernier ressort : on avait averti Stu La Joie avant notre départ, ainsi que les agences de presse quelques instants avant notre arrivée. Je me suis réveillé alors que des tas de gens se penchaient sur moi, je suis retombé dans les pommes pour me réveiller à nouveau dans un lit d’hôpital, étendu sur le dos, avec une sensation d’oppression dans la poitrine – je me sentais à la fois lourd et faible, mais pas malade, seulement fatigué et courbatu. J’avais faim, soif, j’étais à plat. Je me trouvais sous une tente en plastique transparent, ce qui m’a sans doute aidé à ne pas avoir de troubles respiratoires.

Deux personnes se tenaient près de mon lit : d’un côté une minuscule infirmière indienne aux grands yeux, et de l’autre, Stuart La Joie. Il m’a adressé un large sourire.

— Hello ! mon vieux ! Comment allez-vous ?

— Euh… ! ça va bien. Mais, bon sang ! quelle fichue manière de voyager !

— Prof dit que c’était la seule solution. Il est quand même costaud ce type-là !

— Un instant ! « Prof dit » ? Prof est mort.

— Pas du tout. Mais il n’est pas en très bonne forme. Nous l’avons mis dans une capsule pneumatique avec une surveillance médicale continuelle et on lui a branché plus d’instruments que vous ne pourriez l’imaginer. Enfin, il est vivant et capable de faire son travail. Il ne s’est absolument pas plaint du voyage : il ne s’en est même pas aperçu, nous a-t-il dit. Il s’est endormi dans un hôpital pour se réveiller dans un autre. Je croyais qu’il avait tort quand il m’a ordonné de ne pas vous envoyer de vaisseau, mais il avait bien raison : la publicité a été extraordinaire !

— Vous dites, ai-je répondu lentement, que Prof a refusé qu’on lui expédie un vaisseau ?

— J’aurais dû dire : le président Selene a refusé. N’avez-vous donc pas vu les dépêches, Mannie ?

— Non. (Et il était maintenant trop tard pour en discuter.) Il faut dire que nous avons eu beaucoup à faire ces derniers jours.

— Et comment ! Ici aussi, d’ailleurs… Je ne me rappelle pas quand j’ai fait la sieste pour la dernière fois.

— Vous parlez comme un Lunatique.

— Je suis Lunatique, Mannie, n’en doutez pas.

Mais la sœur le fusillait du regard. Stu l’a prise par le bras, l’a fait se lever et lui a montré la porte ; non, ai-je pensé, il ne se conduisait pas encore en vrai Lunatique. Mais l’infirmière ne paraissait pas offensée le moins du monde.

— Allez jouer ailleurs, ma chère, et soyez tranquille, je vous rendrai votre malade, vivant, dans quelques minutes. (Il a fermé la porte derrière elle puis est revenu au pied de mon lit.) Non, vraiment, Adam avait raison : cela nous a fait une publicité terrible. En outre, c’était plus prudent.

— Pour la publicité, je comprends, mais « plus prudent »… Évitons d’aborder le sujet.

— Si, mon vieux, plus prudent ! Personne ne vous a tiré dessus alors qu’ils ont disposé de deux heures pendant lesquelles vous faisiez une belle cible. Ils savaient exactement où vous vous trouviez, mais ils n’ont pas pu décider de la marche à suivre ; ils n’ont pas encore défini leur politique. Ils n’ont même pas osé ne pas vous laisser amerrir à l’heure prévue ; les journaux ont raconté votre aventure en long et en large, j’avais des histoires en notre faveur qui attendaient d’être publiées. Maintenant, ils n’osent pas s’attaquer à deux héros populaires. Tandis que si j’avais armé un vaisseau pour aller vous chercher… eh bien ! Je n’ose imaginer ce qui serait advenu. Ils nous auraient probablement ordonné de nous mettre en orbite d’attente, et vous (nous, peut-être) auraient mis en état d’arrestation. Pas un seul commandant de vaisseau n’aurait pris le risque de se faire tirer dessus, quel que soit le prix que nous aurions offert. C’est comme ça, mon vieux. Bon, je vous explique : vous êtes tous les deux citoyens du Directoire populaire du Tchad, c’est ce que j’ai pu trouver de mieux en si peu de temps. Notez aussi que le Tchad a reconnu Luna : il m’a fallu acheter un Premier ministre, deux généraux, quelques chefs de tribus et un ministre des Finances… des broutilles, quand on pense au temps dont je disposais. Je n’ai pas pu vous obtenir l’immunité diplomatique mais j’espère y arriver avant que vous ne quittiez l’hôpital. Pour l’instant, ils n’ont pas osé vous arrêter ; ils n’arrivent pas à définir de quoi vous êtes coupables. Ils ont mis des gardes à l’extérieur, dans le seul but d’assurer votre « protection », ce qui n’est pas inutile car sans eux, vous auriez des nuées de journalistes qui vous braqueraient leurs micros sous le nez.

— De quoi, au juste, sommes-nous coupables ? D’après eux, je veux dire. D’immigration illégale ?

— Même pas, Mannie. Vous, vous n’avez jamais été condamné et votre ascendance vous donne la citoyenneté panafricaine par un de vos grands-pères. Pas de problème de ce côté-là. Pour le professeur de La Paz, nous avons brandi la preuve qu’il avait obtenu la naturalisation tchadienne il y a quarante ans. Nous avons attendu que l’encre sèche, puis nous nous en sommes servis. Vous n’êtes donc même pas entrés illégalement en Inde. Non seulement c’est eux-mêmes qui vous ont amenés ici, sachant fort bien que vous étiez dans la barge, mais un officier de l’immigration a même accepté d’apposer un beau coup de tampon sur vos passeports encore vierges. En plus de ça, l’exil de Prof n’a aucune base légale puisque le gouvernement qui l’a proscrit n’existe plus et qu’un tribunal compétent en a pris note… ce qui a coûté plus cher.

L’infirmière est revenue à ce moment, furieuse comme une chatte qui défend ses petits.

— Lord Stuart… Vous devez maintenant laisser mon malade se reposer.