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— Comment ?

— Docteur, je ne suis pas familier de ces questions, mais tout le monde sait que vos meilleurs vaisseaux utilisent l’hydrogène comme masse de réaction chauffée par un réacteur à fusion. L’hydrogène, sur Luna, revient cher et pourtant n’importe quelle masse peut servir de masse de réaction ; à cela près que la rentabilité peut n’être pas aussi grande. Imaginez seulement un énorme remorqueur spatial conçu spécialement pour répondre aux conditions lunaires. Il fonctionnerait avec comme masse de réaction de la roche pure vaporisée et il aurait pour fonction d’aller sur l’orbite d’attente, de prendre en charge les expéditions en provenance de Terra et de les ramener sur la surface de Luna. Il serait très sommaire, sans aucun accessoire superflu et pourrait se passer d’un pilotage manuel par cyborg. Il pourrait être dirigé à partir du sol, par l’intermédiaire d’un ordinateur.

— Oui, on pourrait concevoir un tel vaisseau. Mais ne compliquons pas le problème pour l’instant. M’avez-vous indiqué toutes les données essentielles de cette catapulte ?

— Il me semble que oui, docteur. La question cruciale, c’est celle du site. Prenons ce pic de Nanda Devi ; d’après la carte, il me semble présenter une arête très haute, inclinée vers l’ouest, et d’une longueur qui pourrait correspondre à notre catapulte. Si tel est le cas, ce serait parfait ; il y aurait moins à creuser, moins de ponts à construire. Je ne dis pas qu’il s’agit là du site idéal, mais c’est dans cette direction qu’il faut chercher : un pic très élevé, avec une très, très longue arête vers l’ouest.

— Je comprends.

Le docteur Chan nous a alors brusquement quittés.

* * *

Au cours des semaines suivantes, j’ai répété ce scénario dans une douzaine de pays différents, mais toujours en privé et en laissant entendre que ce problème devait rester ultra-secret. Tout ce oui changeait, c’était le nom de la montagne. En Équateur, j’ai fait remarquer que le Chimborazo se trouvait presque sur l’équateur, l’idéal ! En Argentine, en revanche, j’ai insisté sur le fait que leur Aconcagua offrait le pic le plus élevé de l’hémisphère ouest. En Bolivie, que l’Altiplano avait la même altitude que le plateau du Tibet (ce qui est presque vrai), qu’il se trouvait beaucoup plus près de l’équateur et qu’il offrait un grand choix de sites où l’on pouvait construire des routes menant à des sommets vraiment uniques sur Terra.

J’ai discuté avec un Américain du Nord, un adversaire politique du crétin qui nous avait traités de « canailles ». Je lui ai indiqué que si le mont McKinley valait bien de nombreuses montagnes d’Asie ou d’Amérique du Sud, il y avait cependant beaucoup de bien à dire sur Mauna Loa, qui offrait de grandes facilités de construction. Il suffirait peut-être de doubler la force d’accélération et les îles Hawaï deviendraient le Port spatial du monde… que dis-je, de l’univers, car nous avons même parlé du jour où Mars serait exploité et où la « Grande Ile » servirait d’intermédiaire pour des expéditions à destination de trois, voire quatre planètes.

Je n’ai jamais évoqué la nature volcanique de Mauna Loa : au lieu de ça, j’ai insisté sur sa situation qui permettait à une expédition avortée de tomber sans dommage dans l’océan Pacifique.

En Sovunion, nous n’avons parlé que d’une seule montagne : le mont Lénine, qui culmine à plus de 7 000 mètres (un peu trop proche de ses grands voisins).

Le Kilimandjaro, le Popocatepetl, le Logan, El Libertado… ma montagne favorite changeait selon les pays : tout ce que nous demandions, c’était qu’il s’agisse de la « plus haute montagne » dans le cœur des autochtones. J’ai même trouvé à dire du bien des modestes montagnes du Tchad quand nous y avons été invités – j’y ai mis tellement de cœur que je me suis presque cru.

À d’autres moments, à l’aide de questions posées bien à propos par les journalistes que Stu La Joie avait mis dans sa manche, je parlais des usines de produits chimiques (auxquelles je ne connais rien, mais j’ai une bonne mémoire) à la surface de Luna, en cet endroit où le vide toujours disponible, l’énergie solaire et les matières premières illimitées devaient selon toute probabilité autoriser le développement de procédés trop onéreux ou même impossibles sur Terre. Car viendrait certainement le jour où le prix des transports baisserait, dans un sens comme dans l’autre, et il serait alors rentable d’exploiter les ressources encore vierges de Luna. Je trouvais toujours le moyen de faire comprendre que les bureaucrates encroûtés de l’Autorité Lunaire n’avaient pas su voir les immenses possibilités qu’offrait Luna (ce qui était vrai), ce qui amenait toujours une autre question à laquelle je me faisais un plaisir de répondre : oui, Luna pouvait accueillir autant de colons que nécessaire.

Ce dernier point était parfaitement exact, bien que je me sois toujours gardé de signaler que Luna (et parfois les Lunatiques de Luna) tuait environ la moitié des nouveaux venus. Il faut dire que les gens parlaient rarement de partir eux-mêmes ; ils pensaient plutôt à forcer ou à convaincre les autres d’émigrer pour enrayer la surpopulation et réduire leurs impôts. J’ai gardé le silence sur le fait que cet essaim de gens sous-alimentés que nous voyions partout se reproduisait de toute façon beaucoup trop vite pour qu’une catapulte puisse venir compenser cette situation.

Nous ne pourrions pas loger, nourrir et entraîner ne serait-ce qu’un million de nouveaux débarqués par an… et ce million ne représentait qu’une goutte d’eau pour Terra ; toutes les nuits, on concevait davantage de bébés que cela. Nous pouvions certes en accepter beaucoup plus qu’il n’y aurait d’émigrants volontaires, mais s’ils voulaient établir une émigration obligatoire qui finisse par nous submerger… Luna n’a qu’un seul procédé à l’égard d’un nouveau venu : soit celui-ci ne commet pas d’erreur fatale, par son comportement personnel ou dans ses rapports avec un environnement qui frappe généralement sans prévenir… soit il se transforme rapidement en engrais dans un quelconque tunnel agricole.

Le seul résultat d’une telle immigration serait la disparition d’une proportion accrue d’immigrants – trop peu parmi nous les auraient aidé à surmonter les difficultés naturelles.

Cela n’empêchait pas Prof de parler à qui voulait l’entendre du « grand avenir de Luna ». Moi, je parlais de catapultes.

Pendant les nombreuses semaines à attendre que le Comité daigne nous convoquer de nouveau, nous avons beaucoup voyagé. Les hommes de Stu organisaient tout ; la seule question restait de savoir à combien de réunions nous pouvions assister, car il ne fallait pas oublier que chaque semaine passée sur Terra nous ôtait une année de vie – et peut-être même davantage pour Prof ; il ne s’est pourtant jamais plaint ; il se montrait toujours disposé à aller à une nouvelle réception.

Nous avons passé pas mal de temps en Amérique du Nord. La date de notre Déclaration d’Indépendance, exactement trois cents ans après celle des colonies britanniques d’Amérique du Nord, nous a fait une énorme publicité, en grande partie montée par les hommes de Stu. Les Américains du Nord sont en général très sentimentaux en ce qui concerne leurs « États-Unis », même si cela ne signifie plus rien depuis que leur continent a été organisé rationnellement par les N.F. Ils continuent à élire tous les huit ans un président – pourquoi ? je ne saurais dire. Pourquoi les Britanniques ont-ils encore une reine ? – et se prétendent « souverains » ? La souveraineté, comme l’amour d’ailleurs, veut dire ce que l’on veut bien lui faire signifier ; ce n’est jamais qu’un mot qui, dans un dictionnaire, se trouve à proximité de « sobriété » et de « soûlographie ».