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Le discours de Prof a néanmoins été entendu par près de trois millions d’auditeurs car la vidéo a transmis le spectacle à tous ceux qui n’avaient pu s’entasser dans le Vieux Dôme ; câbles et relais traversaient en effet nos mers désertes pour atteindre les terriers isolés. Il en a profité pour parler de l’état d’esclavage que l’Autorité prévoyait pour eux.

Il a agité devant lui le « Livret blanc ».

— Le voici ! a-t-il hurlé. Vos chaînes ! Vos fers ! Allez-vous les porter ?

— NON !

— Ils disent pourtant que vous le devez. Ils disent qu’ils se serviront de bombes H, qu’ensuite les survivants se rendront et accepteront leurs chaînes. Et ça, le voulez-vous ?

— NON ! JAMAIS !

— Vous avez raison ! Ils nous menacent d’envoyer des troupes, toujours plus de troupes pour violer et pour assassiner. Mais nous les combattrons.

— DA !

— Nous les combattrons à la surface, nous les combattrons dans les tunnels, nous les combattrons dans les corridors ! Si nous devons mourir, nous mourrons libres !

— Yes ! Ja ! Da ! On va leur faire voir !

— Et, si nous devons mourir, que l’Histoire nous rende justice et grave sur la pierre : Luna a connu son heure de gloire ! Donnez-nous la liberté… ou donnez-nous la mort !

Certaines de ses paroles m’étaient familières mais semblaient neuves dans sa bouche. Je me suis moi aussi joint aux applaudissements, tout en sachant que nous ne pouvions vaincre Terra. Je suis technicien de métier et je sais bien qu’une fusée à ogive nucléaire se fiche pas mal de votre bravoure ! Mais je me tenais prêt, moi aussi. S’ils voulaient la guerre, ils l’auraient !

Prof les a laissés gronder à leur aise puis leur a fait entonner le « Chant des Soldats de la République », la version de Simon. Adam est revenu sur l’écran et les a entraînés en chantant avec eux, tandis que nous essayions de nous esquiver pour descendre de l’estrade avec l’aide de nos stilyagi sous les ordres de Slim. Malheureusement, les femmes ne voulaient pas nous laisser partir et en général, quand elles veulent quelque chose, elles se débrouillent mieux que nous pour remporter la partie. Il était déjà 22 heures quand, tous les quatre, Wyoh, Prof, Stu et moi-même, nous sommes retrouves dans notre petite chambre L du Raffles où Adam-Mike n’a pas tardé à nous rejoindre par l’intermédiaire de la vidéo. Nous crevions littéralement de faim. J’ai donc commandé à dîner – Prof a insisté pour que nous mangions avant de revoir les plans.

Puis nous nous sommes mis au travail.

Adam a commencé par me demander de lire à haute voix le « Livret blanc », à son intention et pour la camarade Wyoming.

— Mais d’abord, camarade Manuel, si vous avez les enregistrements faits sur Terra, pourriez-vous me les transmettre dans mon bureau ? par téléphone à haut débit ? Je les ferai transcrire pour étude car je n’ai, jusqu’à maintenant, que les résumés codés que le camarade Stuart m’a fait parvenir.

J’ai obtempéré, conscient que Mike les étudierait immédiatement et que ces belles paroles faisaient partie du mythe « Adam Selene ». J’ai alors décidé de parler à Prof pour lui proposer de mettre Stu au courant : s’il devait faire partie de la cellule de direction, continuer à jouer cette comédie me paraissait maladroit.

Transmettre les enregistrements à Mike n’a pris que cinq minutes, la lecture à haute voix une demi-heure. Une fois cela fait, Adam a repris la parole :

— Professeur, la réception a remporté un succès plus grand que je ne l’avais escompté, essentiellement grâce à votre discours. Je pense que nous devrions faire voter l’embargo par le Congrès aussi vite que possible. Je peux envoyer cette nuit des convocations pour une session extraordinaire demain à midi. Qu’en pensez-vous ?

— J’imagine que ces bavards vont en parler pendant des semaines, ai-je répondu. Si nous devons en passer par eux – et je ne comprends pas pourquoi nous le devrions – il faut faire comme pour la Déclaration. Commençons très tard, et prolongeons la séance après minuit, avec nos gens à nous.

— Pardonnez-moi. Manuel, m’a répondu Adam, mais de votre côté il vous faut savoir que la situation a changé ici durant votre absence. Il ne s’agit plus du même groupe au Congrès. Camarade Wyoming ?

— Mannie chéri, nous sommes maintenant gouvernés par un Congrès issu d’élections libres. C’est lui qui doit prendre la décision.

— Vous avez organisé des élections et vous leur avez remis le pouvoir, la totalité du pouvoir ? Que devient notre rôle, dans tout ça ? ai-je lentement articulé en regardant Prof, m’attendant à une explosion. (Mon opposition n’avait sans doute pas les mêmes motifs que la sienne, mais je ne voyais vraiment aucune raison pour avoir remplacé une assemblée de bavards par une autre. La première avait au moins eu l’avantage d’être tellement désorganisée que nous avions pu la manipuler à notre guise ; les nouveaux représentants, eux, resteraient collés à leurs sièges.)

Prof ne semblait pas s’en faire, il avait croisé les doigts et paraissait calme.

— Manuel, je ne crois pas que la situation soit aussi mauvaise que ça. Il faut sans cesse s’adapter à la mythologie populaire : autrefois, les rois régnaient par droit divin, et le problème était de s’assurer que la divinité élise le bon candidat ; à notre époque, le mythe actuel, c’est la « volonté du peuple »… mais le problème n’a pas véritablement changé. Le camarade Adam et moi-même avons longuement discuté des moyens de satisfaire cette volonté du peuple, et j’ose dire que la solution choisie est acceptable par tous.

— Si vous l’affirmez… d’accord ! Mais pourquoi ne nous avoir rien dit ? Stu, étiez-vous au courant ?

— Non, Mannie. Il n’y avait aucune raison de m’en parler. (Il a haussé les épaules) En tant que monarchiste, je ne m’intéresse pas à ces questions. Mais je me range à l’avis de Prof quand il dit qu’à notre époque les élections sont un rite nécessaire.

— Manuel, a dit Prof, il n’était pas nécessaire de nous en parler avant notre retour, vous et moi avions autre chose à faire. Le camarade Adam et la camarade Wyoming se sont occupés de cette question pendant notre absence… ne vaut-il donc pas mieux savoir ce qu’ils ont fait avant de les juger ?

— Excusez-moi. Alors, Wyoh ?

— Nous n’avons rien laissé au hasard. Mannie, vraiment rien. Adam et moi avons établi qu’un Congrès de trois cents membres nous conviendrait. Nous avons passé des heures et des heures à étudier les listes du Parti, et nous avons même examiné le nom des personnalités qui n’y appartenaient pas. Nous avons finalement formé une liste de candidats, dont certains membres du Congrès ad hoc ; tous n’étaient pas des bavards, nous en avons conservé autant que nous le pouvions. Après quoi Adam a téléphoné à chacun d’eux pour demander s’il – ou elle – accepterait de se dévouer… et de garder le secret. Nous avons dû en remplacer quelques-uns.

« Quand nous avons été prêts, Adam a fait un discours-vidéo pour annoncer que le temps était venu d’honorer la promesse du Parti d’organiser des élections libres. Il a fixé la date du scrutin, a déclaré que tous les individus de plus de seize ans auraient le droit de vote et enfin qu’il suffisait pour poser sa candidature – car n’importe qui pouvait être candidat – de réunir une centaine de signatures sur une pétition personnelle et de l’expédier au Vieux Dôme ou, pour les autres termitières, au siège des publications officielles. Oui, nous avons organisé trente circonscriptions électorales, avec dix députés par circonscription. Ainsi, toutes les termitières ont pu être représentées, sauf les plus petites.