L’indifférence est plus impitoyable que la haine.
On ne doit pas pleurer la mort d’un suicidé mais sa vie. Sa mort, il l’a voulue. Tandis que sa vie, il l’a refusée parce qu’elle était trop moche.
Les hommes n’ont aucun pouvoir sur les femmes indifférentes.
La vie: un truc de papier qui se déplie, fait un peu de vent et se replie.
Elle avait souffert durant toute son existence je ne sais pas de quoi, peut être de la vie, simplement?
Le temps de presser un bouton peut être aussi long que celui nécessité par la construction d’une cathédrale lorsqu’il est pensé à l’infini.
J’adore ce qui est apparemment définitif, c’est ce qui me donne le mieux l’impression que j’existe.
Rien de plus appauvrissant qu’une conscience nettoyée. Livrer ses secrets, c’est s’appauvrir en se soulageant.
Le silence des individus est leur véritable éloquence.
On se poursuit vaille que vaille. De temps à autre on se permet une gambade dans le champ du voisin, mais nous restons les vassaux de notre passé.
Quand on rejoint une femme, en principe c’est pour toujours; mais le «toujours» des hommes a ses limites.
On finit toujours par fermer les yeux.
Pourquoi les hommes s’ingénient-ils à embellir leur vie puisqu’ils vivent? N’est ce pas suffisant?
Les souvenirs, c’est ce qui reste quand l’oubli vous a guéri d’un malheur.
Les vraies détresses n’ont pas le courage de s’exprimer. Se confier dénote encore des ressources d’énergie.
Pour bien vivre, il ne faut pas se rendre compte qu’on vit. C’est tellement vrai qu’on a inventé des distractions pour les oisifs.
Si la plupart des hommes chantent en se rasant, ils ne se rendent pas compte qu’en même temps ils rasent les autres en chantant.
On ne refait pas sa vie. On ne peut que la poursuivre en essayant de la corriger comme on corrige sa vue défaillante au moyen de verres.
La méchanceté n’est tolérable que lorsqu’on est en état de crise.
À partir de la quarantaine, les petits souvenirs commencent à lever le doigt pour vous demander la permission de sortir.
Le temps joue avec nous; il faut bien que nous jouions avec lui.
Les vrais adieux sont solitaires. On ne quitte vraiment un être aimé que lorsqu’il n’est plus là.
On ne peut jamais se résoudre à être absent des autres.
Le cynisme, c’est la santé de l’intelligence.
Il faut tout apprendre sur cette planète: à mourir, à être cocu.
Les regrets sont faits pour ceux qui échouent, pas pour ceux qui réussissent.
L’expression est une trahison latente; elle contourne la pensée sans jamais la traduire parfaitement.
L’on ne tue vraiment que soi-même; tuer les autres constitue une répétition générale.
Le silence, on n’a rien trouvé de plus éloquent dans les cas graves.
Le merveilleux est un mastic qui nous sert à boucher les petites fissures de l’existence.
Pour s’engager dans l’ascétisme, il faut subir les langueurs de la pré-cirrhose.
Quand la viande est rigolarde, la conscience ne se pose pas de problèmes.
Il convient de ne jamais craindre nos défauts. Ils sont la suprême récompense de nos qualités.
À vouloir connaître le pourquoi des choses, on en arrive à vouloir aussi savoir le comment et, dès lors, tout se complique.
Les chênes les plus costauds ne sont pas à l’abri de la foudre, car leur force provient de la terre alors que la foudre tombe du ciel.
Comme si l’on conquérait jamais quelqu’un ou quelque chose; les «quelqu’un» vous quittent et le jour vient où l’on quitte les «quelque chose».
Le présent nous appartient. Et peut-être l’avenir également si on y met du nôtre.
C’est en restant immobile et en réfléchissant qu’on va le plus loin.
Le futur, c’est du présent qui se précipite à ta rencontre.
Plus tard, ça n’existe pas. Quand nous réalisons nos «plus tard», ils ne sont plus que des aujourd’hui transformés.
Le noir s’écrit sur le blanc, et le blanc sur le noir.
Si on veut très fort les choses, les obtenir représente une victoire sur le destin.
L’éternité est dans le mouvement insensible des plantes et des insectes.
Il vaut mieux s’efforcer de penser que l’on est, que d’être parce que l’on pense.
Les cons ont une philosophie à longue portée, missile connerie-connerie! Moi c’est juste missile terre à terre.
On ne s’enferme pas dans une génération comme dans un blockhaus.
Entre un grand homme et un petit, il ne peut guère y avoir en fin de compte que vingt centimètres d’écart.
On fait pousser des fleurs et des tours Eiffel. On peint la Joconde. On chope le SIDA. On aime, on meurt, on rit, on boit du Château-Pétrus. On s’encule, on s’atomise, se décore. On devient Gaston Dunœud ou Victor Hugo. On va vérifier que la Lune est bien déserte. On croise en Dieu, on découvre l’Amérique, le four à micro-ondes, le couteau Opinel, le théorème de Pythagore, la pénicilline. On bâtit les Pyramides, le pont de Brooklyn, des châteaux en Espagne. On fait des guerres, et puis des guerres et encore des guerres, sans réfléchir qu’on est désespérément seuls. On oublie cet inconcevableenvironnement de cailloux au centre duquel nous dérivons, pauvres naufragés élus. Dérivons à corps complètement perdus.
San-Antonio
Réflexions croustillantes sur nos semblables
MORCEAUX CHOISIS recueillis par Raymond MILÉSI
Je ne sais pas ce que j’ai fait au Seigneur pour qu’il m’affuble d’une tête comme la vôtre.
C’est un puissant quinquagénaire qui n’aurait aucune peine à mesurer deux mètres s’il avait vingt-huit centimètres de mieux. Il est puissant, noir de poil, débordant de tout, avec un air de vouloir paraître gentil qui mettrait sur ses gardes un mendiant aveugle. Ses joues tremblotantes ressemblent à des fesses. Il porte de grosses lunettes à monture d’écaille et jouit de sourcils touffus. Il débute chacune de ses phrases par une sorte de barrissement chargé, dirait-on, de «faire un tympan» à ses interlocuteurs. Il apostrophe, tonitrue. Affirme. Assène. Partout, il est en chaire. Sa vie est une tribune du haut de laquelle il se dit au monde médusé.