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Mais il n’était pas pressé de passer aux actes et il longea la côte pour admirer New York, d’autres sites et la falaise de cinq cents mètres de la rive opposée depuis différents points d’observation. Il revint au camp Bêta et décida de récupérer divers objets, dont des mémentos oubliés par ses collègues lors de leur évacuation hâtive. L’ouragan avait épargné peu de choses, mais il découvrit quelques souvenirs coincés dans des recoins, entre des caisses.

Le général O’Toole fit une longue sieste puis repartit en V.L.R. vers le télésiège. Conscient de l’importance de ce qu’il ferait une fois de retour à bord de Newton, il s’agenouilla et récita une ultime prière avant d’entamer son ascension. Il était à cinq cents mètres au-dessus de la Plaine centrale lorsqu’il tourna la tête pour admirer une dernière fois le panorama. Bientôt, il n’en subsistera plus rien, pensa-t-il. Tout sera emporté dans une fournaise solaire libérée par l’homme. Il regarda New York et crut voir un point noir se déplacer dans le ciel raméen.

Ce fut avec des mains tremblantes qu’il porta les jumelles à ses yeux. Seules quelques secondes lui furent nécessaires pour trouver ce qu’il cherchait. Il régla la netteté et la tête d’épingle se scinda en trois éléments distincts : des oiseaux volaient en formation dans le lointain. Il cilla, mais ce n’était pas une illusion. Il y avait vraiment de telles créatures dans le ciel de Rama !

Le général O’Toole poussa un cri de joie. Il suivit les aviens du regard tant que ce fut possible. Le reste du parcours le séparant du sommet de l’escalier Alpha lui parut durer une éternité.

L’officier américain alla aussitôt s’asseoir dans une autre nacelle, pour redescendre. Il voulait désespérément revoir ces oiseaux. Si j’arrivais à les photographier, se dit-il en envisageant de retourner au besoin jusqu’à la mer Cylindrique, je pourrais prouver à la Terre entière qu’il y a aussi des êtres vivants à l’intérieur de ce monde incroyable.

Arrivé à deux kilomètres du sol, il scruta en vain le ciel. S’il fut un peu dépité de ne pas revoir ces créatures volantes, ce qu’il découvrit en reportant son attention vers le bas pour s’apprêter à descendre du télésiège le sidéra. Richard Wakefield et Nicole Desjardins l’attendaient dans la plaine.

Le militaire les étreignit tour à tour puis s’agenouilla sur le sol de Rama, en pleurant de joie.

— Dieu miséricordieux, murmura-t-il en faisant une prière de remerciement silencieuse. Dieu miséricordieux.

57. TROIS COMPAGNONS

Ils discutèrent avec animation pendant plus d’une heure, tant ils avaient de choses à se dire. Quand Nicole parla de sa frayeur lorsqu’elle avait découvert le corps de Takagishi dans le nid de l’octopode, O’Toole resta muet un instant puis secoua la tête et leva les yeux vers le ciel.

— Il reste encore trop de questions sans réponses, marmonna-t-il. Est-il possible que vous soyez malgré tout des êtres malveillants ?

Richard et Nicole furent horrifiés d’apprendre que le C.D.G. avait décidé de détruire Rama et ils félicitèrent O’Toole lorsqu’ils apprirent qu’il avait eu le courage de refuser d’amorcer les bombes.

— Utiliser des armes nucléaires contre ce vaisseau serait impardonnable, commenta-t-elle. Je suis fermement convaincue qu’il ne constitue pas une menace. Si Rama s’est placé sur une trajectoire qui intersecte celle de la Terre, c’est sans doute pour nous transmettre un message.

Richard lui reprocha avec gentillesse de fonder ses déclarations plus sur des émotions que sur des faits.

— Je ne le nie pas, reconnut-elle. Mais il existe désormais un argument logique pour refuser d’exécuter un tel ordre. Nous avons la preuve irréfutable que Rama II reste en contact avec le premier et tout laisse supposer qu’un Rama III pour l’instant très éloigné se dirige vers nous. Si les Raméens sont effectivement animés de mauvaises intentions, la Terre ne pourra en aucune façon leur échapper. Nous détruirons peut-être ce deuxième appareil, mais le suivant en sera informé, et il serait vain d’espérer survivre aux attaques d’une espèce dont la technologie surpasse à tel point la nôtre. Le général O’Toole la dévisagea, admiratif.

— C’est un raisonnement sans faille, dit-il. Je regrette que vous n’ayez pu vous libérer pour participer aux téléconférences avec les responsables de l’A.S.I. Je n’ai à aucun moment considéré…

— Pourquoi ne pas attendre d’être de retour dans Newton pour poursuivre cette conversation ? demanda soudain Richard. Il fera nuit dans une demi-heure, avant qu’un seul d’entre nous n’ait atteint le sommet, et je ne tiens pas à me balancer dans les ténèbres plus longtemps que nécessaire.

* * *

Ils quittaient définitivement Rama et ils mirent à profit les dernières minutes de clarté pour admirer le panorama majestueux. Nicole était ivre de bonheur. Peut-être par superstition, elle ne s’était pas permis de croire qu’elle pourrait à nouveau serrer Geneviève dans ses bras avant cet instant. À présent qu’elle s’élevait dans la nacelle du télésiège elle s’autorisait à penser à la beauté bucolique de Beauvois et à s’imaginer la scène de ses retrouvailles avec son père et sa fille. Dans une semaine, une dizaine de jours tout au plus, se dit-elle. À son arrivée au sommet elle faillit extérioriser sa joie par un hurlement.

Michael O’Toole venait une fois de plus de changer d’avis. Quand les ténèbres engloutirent Rama il savait comment informer la Terre de sa conclusion. Ils contacteraient immédiatement la direction de l’A.S.I. Ses compagnons résumeraient leurs mésaventures et Nicole expliquerait pourquoi la destruction de Rama eût été « impardonnable ». Il ne faisait aucun doute que l’ordre d’amorcer les bombes serait aussitôt annulé.

Il utilisa sa torche juste avant d’atteindre l’extrémité supérieure du télésiège. Il en descendit, en apesanteur, et attendit au côté de Nicole que Wakefield les eût rejoints. Ils s’engagèrent ensuite sur la rampe conduisant au tunnel de la navette qui s’ouvrait seulement cent mètres plus loin. Ils étaient montés dans le wagonnet et s’apprêtaient à traverser la coque de Rama en direction de Newton quand le faisceau de la lampe de Richard se refléta sur une masse de métal installée d’un côté du passage.

— Est-ce une de ces bombes ? s’enquit-il.

Janos avait eu d’excellentes raisons de les appeler des « obus ». Nicole frissonna. Comme c’est étrange, se dit-elle. Les techniciens auraient pu donner à ces machins n’importe quelle autre forme. Je me demande quelle aberration du subconscient les a incités à opter pour celle-ci…

— Et quel est ce truc bizarre qu’on peut voir au sommet ?

C’était Richard, qui s’adressait à O’Toole. Le général fronça les sourcils pour regarder ce que révélait le faisceau lumineux.

— Je ne sais pas, avoua-t-il. C’est la première fois que je vois une chose pareille.

Il redescendit de la navette. Richard et Nicole le suivirent.

Il approcha de la bombe et examina l’étrange système qui avait été installé sur le pavé numérique. Il s’agissait d’une plaque peu épaisse, guère plus large que le clavier lui-même, et fixée sur les côtés par des pattes articulées. Ils voyaient sous ce plateau dix petits vérins télescopiques. Quelques secondes plus tard une de ces tiges s’allongea pour enfoncer la touche « 5 » située juste au-dessous. Le « 5 » fut suivi rapidement par un « 7 » puis par huit autres chiffres et le voyant vert se mit à clignoter pour signaler que la première série était correcte.