— Je commence à croire que notre collègue de Kyoto avait raison, répondit Nicole. Tout ceci doit avoir un sens caché. Je suis certaine que Norton et ses hommes ont effectué correctement leur travail et qu’il existe véritablement des dissemblances importantes entre les deux Rama. Mais si nous admettons que ces deux appareils ne sont pas identiques, nous nous retrouvons confrontés à un autre problème. Pourquoi sont-ils différents ?
Richard avait terminé son repas et faisait les cent pas dans le couloir faiblement éclairé.
— Nous avons eu une discussion sur ce thème, peu avant l’annulation de la mission. Le sujet de la téléconférence était le suivant : pourquoi les Raméens ont-ils mis le cap sur la Terre ? Comme son prédécesseur n’avait rien fait de comparable, la manœuvre a été assimilée à une preuve irréfutable que Rama II ne lui correspondait pas. Je précise que les participants à cette réunion ignoraient tout de l’existence des aviens et des octopodes.
— Le général Borzov aurait adoré nos amis ailés, commenta Nicole après une brève pause. Il disait que voler devait être le plus grand des plaisirs. (Elle rit.) Il m’a autrefois avoué espérer que la réincarnation n’était pas un mythe et qu’il renaîtrait sous la forme d’un oiseau.
Richard interrompit momentanément ses allées et venues.
— C’était un brave homme, déclara-t-il. Je ne pense pas que nous l’ayons apprécié à sa juste valeur.
Nicole mit les restes de pastèque-manne dans son sac à dos et s’apprêta à reprendre leur exploration des lieux. Elle fit un sourire.
— Une dernière question, Richard. Croyez-vous que nous ayons déjà rencontré des Raméens ? J’entends par là les constructeurs de ce vaisseau, ou leurs descendants.
Il secoua la tête.
— Certainement pas. Nous avons pu faire la connaissance de certaines de leurs créations ou d’autres espèces originaires de leur planète, mais pas des principaux protagonistes de cette histoire.
Ils découvrirent la salle Blanche sur la gauche d’un tunnel horizontal du deuxième sous-sol. Jusqu’à cet instant leur exploration avait été monotone et presque ennuyeuse. Ils venaient de suivre de nombreux passages conduisant à des salles vides et de trouver quatre de ces ensembles d’étranges commandes qui permettaient de régler l’éclairage et la température, mais rien qui fût vraiment digne d’intérêt.
C’est pourquoi ils furent sidérés lorsqu’ils pénétrèrent en un lieu aux murs blancs, avec dans un angle une pile d’objets qui, examinés de plus près, s’avérèrent très familiers. Ils répertorièrent en effet un peigne et une brosse, un tube de rouge à lèvres vide, des pièces de monnaie, un trousseau de clés et un vieil émetteur-récepteur. Dans une autre pile il y avait une bague et une montre-bracelet, un tube de dentifrice, une lime à ongles et un petit clavier aux touches désignées par des lettres de l’alphabet latin. Ils en restèrent muets de surprise.
— D’accord, génie, dit finalement Nicole en désignant leurs trouvailles. Expliquez-moi quelle est l’origine de tout ça, si vous en êtes capable.
Il prit le tube de dentifrice, dévissa son bouchon et le pressa. Une pâte blanche en sortit. Il en prit sur son doigt et y goûta.
— Beurk ! fit-il en crachant. Apportez votre spectromètre de masse.
Richard examina le reste pendant qu’elle analysait la substance. La montre le fascinait tout particulièrement. Elle marquait l’écoulement des secondes avec une précision absolue.
— Avez-vous visité le musée de l’Espace de Floride ? demanda-t-il.
— Non, répondit-elle, sans réfléchir.
— Il y a une vitrine où sont exposés les objets usuels emportés par les membres de l’équipe de Norton. Cette montre est en tout point semblable à celle que j’ai vue là-bas. Je ne risque pas de me tromper car j’ai acheté sa reproduction à la boutique.
Nicole se rapprocha, déconcertée.
— Ce n’est pas du dentifrice, Richard. J’ignore de quoi il s’agit. Le spectre est sidérant, avec une abondance de molécules superlourdes.
Ils fouillèrent pendant plusieurs minutes dans l’étrange assortiment et essayèrent de trouver un sens à leur découverte.
— Une chose est certaine, dit Richard en tentant vainement de démonter l’émetteur-récepteur. Tous ces objets sont d’origine terrienne, et leur nombre permet de biffer la possibilité d’une extraordinaire coïncidence.
— Mais comment sont-ils arrivés là ?
Elle voulut utiliser la brosse et découvrit que ses poils étaient plus souples que ses cheveux. Elle l’étudia de plus près.
— Ce n’est pas ce que je croyais, dit-elle. Ça ressemble à une brosse mais on ne peut pas l’utiliser pour démêler sa chevelure.
Elle se pencha et prit la lime à ongles.
— Et ce machin ne sert à rien.
Richard vint voir de quoi elle parlait. Il posa avec irritation le talkie-walkie récalcitrant pour prendre l’objet que lui tendait Nicole.
— Ces choses semblent fabriquées par des hommes sans l’être pour autant.
Il fit glisser la lime sur l’ongle de son index, dont la longueur resta inchangée. Il la lui rendit.
— Mais à quoi rime tout ça ?
— Je me souviens d’un roman de science-fiction que j’ai lu quand j’allais à l’université, dit-elle quelques secondes plus tard. Dans cette histoire, des extraterrestres se renseignaient sur notre espèce en captant nos programmes de télévision. Lors du contact, ils nous apportèrent en cadeau des boîtes de céréales, des savons et d’autres articles dont ils avaient vu les spots publicitaires. Mais si les emballages étaient en tout point identiques aux originaux, ils ne contenaient rien ou des choses sans rapport avec la présentation.
Richard ne l’écoutait pas. Il jouait avec le trousseau de clés et regardait l’exposition d’objets.
— Quel est leur point commun ? se demanda-t-il à haute voix.
Ils arrivèrent à la même conclusion quelques secondes plus tard.
— On trouvait tout ceci dans les bagages de nos prédécesseurs, dirent-ils à l’unisson.
— Il en découle que les deux Rama peuvent communiquer entre eux, dit Richard.
— Et que ces choses ont été placées là pour nous informer que l’exploration de Rama I a été observée et enregistrée.
— Les biotes araignées qui ont inspecté les camps et le matériel de Norton devaient être munis de systèmes optiques.
— Et tout ceci a été reproduit à partir des images que Rama I a transmises à Rama II.
Après ce commentaire de Nicole ils se turent pour réfléchir.
— Mais pourquoi se sont-ils donné la peine de nous en informer ? Que sommes-nous censés faire, à présent ?
Richard se leva pour marcher dans la pièce. Soudain, il éclata de rire.
— Ce serait le comble, si David Brown avait raison. Il est possible que les Raméens se fichent complètement des êtres qu’ils rencontrent mais programment leurs vaisseaux pour qu’ils semblent s’y intéresser, en modifiant leur trajectoire et en fabriquant quelques babioles. Quelle ironie ! Étant donné que les espèces immatures sont imbues de leur importance, leurs représentants qui visitent Rama et découvrent ce bric-à-brac n’ont plus d’autre souci que d’essayer de lui trouver un sens.
— Vous vous laissez emporter par votre imagination, l’interrompit Nicole. Tout ce que nous savons pour l’instant, c’est que cet appareil a dû recevoir des images en provenance de Rama I et que cette exposition d’objets usuels emportés par nos prédécesseurs a été organisée afin que nous puissions la voir.