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— Continue, l’encouragea-t-elle d’une voix douce.

— Sarah se camait à l’adrénaline. Elle avait besoin d’émotions fortes et de diversité. Elle ne supportait pas tout ce qui était terre à terre et répétitif. Faire les courses l’ennuyait à en mourir. Pour elle, mettre la télévision et décider quoi commander était fastidieux. Elle trouvait aussi les horaires fixes trop contraignants.

« Sur le plan sexuel, il fallait toujours trouver de nouvelles positions ou un accompagnement musical différent. Pendant un certain temps, j’ai fait preuve d’une imagination suffisante pour la satisfaire. Et je me chargeais des tâches ménagères afin de la libérer de ces soucis. Mais les journées ne durent que vingt-quatre heures et mes études ont commencé à en pâtir, car je consacrais toute mon énergie à rendre sa vie plus agréable.

« Nous étions mariés depuis un an quand elle a décidé de louer un appartement à Londres, pour ne plus avoir à faire un long trajet après chaque représentation. Elle passait déjà deux nuits par semaine dans la capitale, officiellement avec une de ses amies actrices. Mais sa carrière prenait son essor et nous avions de l’argent, alors pourquoi aurais-je refusé ?

« Des rumeurs sur ses incartades ne tardèrent guère à se répandre, mais je préférais les ignorer. Je devais redouter qu’elle ne les réfute pas si je la mettais au pied du mur. Puis, un soir où je préparais un examen, j’ai reçu un coup de fil d’une femme dans tous ses états. Elle m’a annoncé que son mari – l’acteur Hugh Sinclair qui était à l’époque le partenaire de Sarah dans la comédie dramatique américaine Qu’il pleuve ou qu’il vente – avait une liaison avec mon épouse. « En fait, m’a-t-elle dit, il se trouve chez elle en ce moment. » Sur quoi elle a sangloté et raccroché.

Nicole se pencha pour caresser doucement sa joue.

— J’ai cru que ma poitrine allait exploser, ajouta-t-il en se rappelant sa souffrance. J’étais en colère, terrifié, frénétique. Je me suis précipité à la gare et j’ai pris le dernier train pour Londres. Sitôt que le taxi m’a eu déposé devant chez Sarah, j’ai couru vers la porte.

« Je n’ai pas sonné. J’ai gravi les marches quatre à quatre et les ai trouvés nus dans le lit. J’ai saisi Sarah et l’ai poussée contre le mur – je n’oublierai jamais ce bruit de verre brisé quand sa tête a percuté le miroir – puis je me suis jeté sur l’homme. J’étais fou de rage et je me suis acharné sur son visage jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’une bouillie sanglante. C’était épouvantable…

Il s’interrompit pour sangloter. Nicole le prit dans ses bras.

— Mon pauvre chéri.

— Je m’étais métamorphosé en fauve, un être encore plus violent que mon père ne l’avait jamais été. Je les aurais sans doute tués tous les deux, si des voisins n’étaient pas intervenus.

Il fit une pause de plusieurs minutes. Quand il reprit la parole, ce fut d’une voix étouffée, presque lointaine.

— Le lendemain, après avoir fait un séjour au poste de police, fui les journalistes et écouté les récriminations de Sarah, j’ai voulu me supprimer. Je l’aurais fait, si j’avais disposé d’un pistolet. J’envisageais de recourir à des solutions moins rapides – ingurgiter des pilules, me trancher les veines avec une lame de rasoir, sauter d’un pont – quand un camarade m’a téléphoné pour m’interroger sur un problème se rapportant à la relativité. Après un quart d’heure de discussion sur M. Einstein je ne pouvais plus songer au suicide. Au divorce, certainement. Au célibat, probablement. Mais mourir était désormais hors de question. Ma femme m’avait trahi mais la physique m’était restée fidèle.

Il se tut.

Nicole s’essuya les yeux et prit les mains de Richard dans les siennes. Nue, elle s’allongea sur lui et l’embrassa.

— Je t’aime, lui dit-elle.

* * *

La sonnerie du réveil leur signala qu’une nouvelle aube venait de se lever dans Rama. Dix jours, se dit Nicole après avoir fait un rapide calcul mental. Le moment est venu d’avoir une discussion sérieuse.

Le bourdonnement avait également incité Richard à ouvrir les yeux. Il se tourna vers elle et lui sourit.

— Chéri, il serait grand temps… commença-t-elle.

— De parler de choses et d’autres.

— Ne peux-tu être pour une fois sérieux ? Il faut prendre une décision. Il est évident que nos compagnons ne viendront pas nous chercher.

— Je partage ce point de vue.

Il s’assit et s’étira sur elle pour récupérer sa chemise, avant d’ajouter :

— Je redoute cet instant depuis des jours, mais je suppose qu’à ce stade nous devons envisager sérieusement de traverser la mer à la nage.

— Tu as donc renoncé à fabriquer une embarcation avec ces machins noirs ?

— L’un est trop léger et l’autre trop lourd. Il serait sans doute possible de trouver un hybride qui conviendrait, mais il nous resterait à fabriquer des clous. Et sans voiles nous devrions ramer… Non, mieux vaut encore nager.

Il se leva et s’approcha de l’écran mural.

— Tous mes beaux projets sont tombés à l’eau, pas vrai ? (Il tapota le carré noir.) Et dire que j’espérais obtenir des steaks-frites autant qu’un bateau.

— Les plans les plus élaborés des souris et des hommes peuvent aller de travers.

— Ce vieux Rabbie était un drôle de poète. Je n’ai jamais compris ce qu’on lui trouvait.

Nicole termina de se vêtir et débuta une série de mouvements d’assouplissement.

— Whew, fit-elle. Je perds la forme. Je n’ai fait aucun exercice depuis des jours.

Elle sourit à Richard qui lui adressait un regard explicite.

— Ça ne compte pas, idiot.

— Pour moi, si. C’est la seule activité physique que j’aie jamais aimée. J’avais horreur d’aller au gymnase, quand nous étions à l’Académie.

Il venait de poser de petites portions de pastèque-manne sur la table.

— Il ne nous restera ensuite que l’équivalent de trois repas, dit-il posément. Nous devrons tenter la traversée à la nage avant la tombée de la nuit.

— Tu ne veux pas partir ce matin ?

— Non. Pourquoi ne vas-tu pas jusqu’au rivage pour déterminer l’endroit d’où nous quitterons cette île ? Hier soir, j’ai fait une découverte. Ce n’est pas ce qui nous permettra d’obtenir de la nourriture ou un voilier, mais je crois avoir trouvé l’accès à une structure de type différent.

Après le petit déjeuner, Nicole l’embrassa et remonta à la surface. Il ne lui fallut guère de temps pour effectuer une reconnaissance de la berge. La perspective de devoir traverser cette mer à la nage l’oppressait. Nous risquons de mourir avant la tombée de la nuit, se dit-elle.

Elle pensa aux souffrances de quelqu’un qui se faisait dévorer par un requin biote. La fin était-elle rapide ? Avait-on conscience que ses jambes venaient d’être amputées avant de se noyer ? Elle frissonna. Je devrais peut-être aller demander une autre pastèque aux aviens… Mais elle savait que ce serait sans objet. Il leur faudrait tenter leur chance, tôt ou tard.

Elle tourna le dos à la mer. Au moins ai-je vécu des moments agréables, depuis quelques jours, se dit-elle pour se changer les idées. Richard est un excellent compagnon. Dans tous les domaines. Elle s’offrit le luxe de se rappeler leur plaisir partagé avant de sourire et de repartir vers leur antre.

* * *