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— Ils ne doivent pas pouvoir nous entendre, suggéra-t-elle. Ils ont conservé leurs casques et communiquent entre eux par radio.

Ce fut avec colère que Richard stoppa le V.L.R. à cinq mètres de l’homme de tête, sauta à bas du véhicule et courut vers eux en criant :

— Eh, les gars ! Nous sommes là, juste derrière vous. Vous n’avez qu’à vous retourner…

Et il s’arrêta net en découvrant le visage inexpressif visible derrière la visière du casque. Il l’avait reconnu. Seigneur, c’était Norton ! Une onde glacée descendit sa colonne vertébrale et le fit frissonner. Il s’écarta d’un bond du passage des quatre cosmonautes qui avançaient toujours. Étourdi par la surprise, il dévisagea les trois autres membres de l’équipe d’exploration de Rama I qui ne semblaient pas le voir.

Nicole vint le rejoindre.

— Qu’est-ce qui se passe ? voulut-elle savoir. Pourquoi ne se sont-ils pas arrêtés ? Ça va, chéri ?

Son teint était livide.

— Des biotes, murmura-t-il. Ce sont des humains biotes.

— Quoi ? demanda-t-elle d’une voix faussée par l’angoisse.

Elle courut devant le petit groupe et regarda à son tour à travers la visière de l’homme de tête. Il s’agissait bien de Norton. Elle reconnaissait ses traits, sa petite moustache et la couleur de ses yeux. Mais l’étincelle de la vie n’y était pas présente.

Et à présent qu’elle y réfléchissait, sa démarche manquait de naturel. Ses pas se répétaient selon un rythme immuable, et tous ces personnages se déplaçaient de la même façon. Il a raison, se dit-elle. Ce sont des humains biotes, sans doute fabriqués à partir de simples images comme le dentifrice et la brosse à cheveux. Elle sentit la panique l’envahir. Mais nous n’avons pas besoin d’aide, le vaisseau militaire est toujours à l’appontage près du sas.

* * *

Richard était sous le choc. Il resta assis dans le V.L.R. pendant plusieurs minutes. Il ne désirait pas plus conduire que poser des questions sans réponse.

— Qu’est-ce qui se passe, ici ? ne cessait-il de répéter. Tous les biotes sont-ils des reproductions d’espèces vivantes rencontrées ici et là dans l’univers ? Dans quel but les fabrique-t-on ?

Il insista pour filmer les humains factices avant de repartir en direction du télésiège.

— Les aviens et les octopodes sont fascinants, mais moins que ces androïdes, déclara-t-il en faisant un gros plan de la démarche de « Norton ».

Nicole lui rappela que la nuit tomberait dans moins de deux heures et qu’il leur faudrait peut-être gravir à pied l’escalier des Dieux. Après avoir pris des images de l’étrange cortège, Richard se remit au volant et repartit vers Alpha.

Ils n’eurent pas à effectuer un test pour savoir si le télésiège était utilisable. Il fonctionnait, à leur arrivée.

Richard sauta du V.L.R. et courut jusqu’à la console de contrôle.

— Quelqu’un descend, dit-il en désignant les hauteurs.

— Ou quelque chose, compléta-t-elle, l’air sinistre. Les cinq minutes d’attente leur parurent durer une éternité. Ils s’abstinrent tout d’abord de faire des commentaires, puis Richard suggéra à Nicole de s’installer dans le V.L.R. au cas où il leur faudrait fuir rapidement.

Ils suivirent avec leurs jumelles les longs câbles qui grimpaient jusqu’aux cieux.

— C’est un homme ! cria Nicole.

— Le général O’Toole ! précisa Richard un instant plus tard.

Et c’était effectivement le général Michael Ryan O’Toole, officier des forces aériennes américaines, qui descendait les rejoindre. Il était à plusieurs centaines de mètres et ne les avait pas encore vus. Il utilisait ses jumelles pour admirer la beauté du paysage extraterrestre.

Un peu plus tôt, le militaire remontait vers Newton pour quitter à jamais Rama quand il avait discerné trois oiseaux dans le ciel, loin au sud, et décidé de redescendre pour essayer de les revoir. Il ne s’attendait pas à l’accueil chaleureux qui lui fut réservé lorsqu’il atteignit le sol.

53. TRINITÉ

Quand Richard Wakefield avait quitté Newton pour retourner dans Rama, le général O’Toole était venu l’aborder le dernier. Le militaire attendait patiemment que les autres cosmonautes lui aient fait leurs adieux.

— Vous avez bien réfléchi ? demanda Janos Tabori à son collègue britannique. Vous savez que le comité va interdire toute sortie dans quelques heures.

— Je serai alors en chemin pour Bêta. Dans l’absolu, je n’aurai transgressé aucun ordre.

— Vous dites n’importe quoi, lança l’amiral Heilmann. Le Dr Brown et moi-même sommes les responsables de cette expédition et nous vous avons ordonné de demeurer à bord.

— Et je vous ai répondu que j’avais laissé dans Rama des objets personnels auxquels je tiens, rétorqua Richard. En outre, vous savez aussi bien que moi que nous n’aurons rien à faire à bord au cours des jours à venir. Dès que nos supérieurs décideront d’interrompre notre mission, toutes les activités prévues seront annulées et il ne nous restera qu’à attendre l’ordre d’appareiller pour regagner la Terre.

— Je vous rappelle une fois de plus que vous faites preuve d’insubordination. Dès notre retour, je vous ferai poursuivre…

— Laissez tomber, Otto, l’interrompit Richard avec indifférence.

Il ajusta sa combinaison spatiale et prit son casque. Comme toujours, Francesca filmait la scène. Elle était étrangement silencieuse depuis l’entretien qu’ils avaient eu en privé une heure plus tôt. Elle semblait détachée de tout, comme si son esprit était ailleurs.

Le général O’Toole vint vers Richard, pour lui tendre la main.

— Nous n’avons pas passé beaucoup de temps ensemble, Wakefield, mais sachez que j’admire votre travail. Bonne chance, et évitez de prendre des risques inutiles.

L’électrotech fut surpris par le sourire du militaire. Il avait cru que l’officier américain essaierait de le convaincre de renoncer à ses projets.

— Rama est un monde magnifique, général. C’est une sorte de synthèse du Grand Canyon, des Alpes et des Pyramides.

— Nous avons déjà perdu quatre compagnons. Je veux vous voir revenir sain et sauf. Que Dieu vous protège.

Richard lâcha la main du militaire, se coiffa de son casque et entra dans le sas. Sitôt qu’il fut parti, l’amiral Heilmann critiqua la conduite du général américain.

— Vous me décevez, Michael, lui dit-il. Vous lui avez fait des adieux si chaleureux qu’il a dû en déduire que vous approuviez sa décision.

O’Toole se tourna vers lui.

— Cet homme a du courage et des idées bien arrêtées. Il n’a peur ni des Raméens ni des sanctions que l’A.S.I. prendra contre lui. Une telle confiance en soi force mon admiration.

— Vous dites n’importe quoi. Ce Wakefield est resté un adolescent imbu de lui-même. Savez-vous ce qu’il a laissé là-bas ? Deux de ses petits robots shakespeariens ridicules. Il est tout simplement allergique à la discipline et veut agir à sa guise.

— Comme nous tous, intervint Francesca.

Sa remarque fut à l’origine d’un long silence, qu’elle brisa en ajoutant :

— Richard est très fort, et s’il retourne dans Rama c’est pour des raisons qu’aucun d’entre nous ne peut comprendre.

— J’espère seulement qu’il reviendra avant la nuit, dit Janos. Je ne pourrais pas supporter de perdre un autre ami.

Ils sortaient dans la coursive lorsqu’il demanda à Francesca :