Выбрать главу

Avec mes sincères salutations,

Monseigneur Jean-Luc Pridieux, évêque

Suivait une adresse en Bretagne. Ryan survola les autres lettres, toutes vantant les qualités d’Helmut Krauss. Les dernières étaient des réponses du ministère de la Justice. Il releva quelques phrases.

Le ministère ne s’oppose pas…

Un homme de bonne réputation…

À la condition que Mr. Krauss ne…

Ryan remit l’enveloppe dans la boîte, la recouvrit de la croix gammée. Il contempla les deux pistolets luisants et noirs sur le dessus-de-lit. Le Luger était très apprécié des collectionneurs ; Ryan connaissait de nombreux soldats qui en avaient rapporté du front, trophées de leurs combats sur le continent. Le Walther aussi était une arme élégante, comparable au Luger du point de vue de ses performances, mais doté d’un design de trente ans plus moderne.

L’une après l’autre, il inséra les armes dans l’étui. Le Walther s’ajustant mieux, il se décida en sa faveur. Il dépouilla un oreiller de sa taie et y fourra l’arme, l’étui et les cartouches, puis fit un nœud. Le Luger retourna dans la boîte qu’il glissa à nouveau sous le lit.

En quittant la maison, Ryan remercia le Gardaí à la porte.

« Je prends juste deux ou trois choses pour les examiner », dit-il en désignant la taie d’oreiller.

Le Gardaí ne fit aucune objection.

7

« Allô, qui est à l’appareil ? répondit un homme avec un fort accent d’Europe de l’Est.

— Je m’appelle Albert Ryan. J’aimerais parler au rabbin de votre congrégation. »

Ryan était assis sur le lit dans sa chambre au Buswells. Il avait le cou irrité par le rasoir. Le soleil du matin lui chauffait le dos.

« Lui-même. Je suis le rabbin Joseph Hempel. En quoi puis-je vous être utile ? »

Il lui fallut moins de quinze minutes pour gagner la synagogue de Rathfarnham Road, au sud de la ville. Celle-ci se dressait en retrait de la rue, derrière un haut mur et une haie d’arbustes, au milieu de jardins bien entretenus. C’était une construction massive, au toit plat, avec cinq fenêtres en forme d’étoile de David surmontant un alignement de vitres carrées. À cause de ses lignes robustes et de l’enceinte qui en protégeait l’accès, le bâtiment paraissait en état de siège.

Ryan s’engagea dans l’allée carrossable après avoir franchi le portail. Le rabbin Hempel l’attendait à la porte. Un homme d’âge moyen, portant des lunettes à monture rectangulaire et simplement vêtu : gilet en laine à manches courtes, chemise à col ouvert, kippa en daim sur la tête. Sa barbe descendait presque jusqu’au bas de son encolure en V. Il tendit la main à Ryan qui était descendu de voiture et s’approchait.

« Monsieur Ryan ? » demanda-t-il.

Ryan lui serra la main. « Merci de me recevoir.

— Il n’y a pas de quoi. Venez dans mon bureau. »

Les vitraux des fenêtres filtraient la lumière du matin qui entrait dans la synagogue, baignant les rangées de chaises d’une paisible chaleur. Le rabbin entraîna Ryan à l’arrière du bâtiment et le fit entrer dans une pièce modeste aux murs tapissés de livres, comportant un bureau d’une grande sobriété.

« Asseyez-vous, je vous en prie », dit le rabbin Hempel. Il proposa une boisson fraîche à Ryan, qui refusa. « Vous êtes policier ? demanda le rabbin lorsqu’ils eurent pris place.

— Pas tout à fait, répondit Ryan. Je travaille pour la Direction du renseignement.

— Mais vous voulez me parler d’un crime ?

— De trois crimes. Trois meurtres, pour être exact. »

Inquiet, le rabbin pinça les lèvres. « Oh, mon Dieu. Croyez bien que je ne suis pas au courant. »

Ryan sourit pour le rassurer. « Évidemment. Mais si je vous explique la nature de ces meurtres, vous comprendrez peut-être pourquoi je viens vous voir. »

Le rabbin Hempel se renversa contre le dossier de sa chaise. « Je vous écoute. »

Ryan lui parla de Renders et de Hambro, de Helmut Krauss et du sang sur la moquette de la maison d’hôtes à Salthill. Il évoqua le message adressé à Skorzeny.

Le rabbin Hempel garda le silence un moment, l’œil fixé sur Ryan, avant de prendre la parole. « Je ne sais pas ce qui m’inquiète le plus : que ces gens soient autorisés à vivre en paix en Irlande ou le fait que vous présumiez que seul un Juif pourrait commettre un geste pareil.

— Je ne présume rien », dit Ryan.

Le rabbin se pencha en avant. « Pourtant, vous êtes ici.

— C’est une hypothèse d’enquête qui m’a été imposée par mes supérieurs.

— Un ordre.

— Oui. Un ordre. »

Le rabbin Hempel sourit. « Tant d’hommes se sont contentés d’obéir à un ordre. Les hommes qui ont abattu mes parents et ma sœur aînée, devant une tranchée qu’on les avait obligé à creuser eux-mêmes, ils obéissaient à un ordre. Est-ce que cela les absout pour autant ?

— Non, répondit Ryan. En tout cas, vous devez bien imaginer pourquoi on m’a demandé de suivre cette piste.

— Je vois la raison, en effet. Ce n’est probablement pas celle à laquelle vous pensez, mais je vous en prie, continuez.

— Merci. Selon vous, y a-t-il des groupes au sein de votre communauté, des hommes plus jeunes peut-être, qui sont fortement troublés par la guerre ? »

Ryan comprit trop tard à quel point sa question était stupide et sentit une chaleur lui monter au visage.

« Je peux vous assurer, monsieur Ryan, que tout le monde au sein de ma communauté est fortement troublé par la guerre.

— Oui, bien sûr, dit Ryan. Excusez-moi. »

Le rabbin concéda un hochement de tête. « Cela mis à part, il n’existe pas de groupes organisés, à ma connaissance. Il reste moins de deux mille Juifs sur cette île aujourd’hui, peut-être même à peine mille cinq cents. J’ai déjà du mal à maintenir une congrégation. Croyez-moi, il n’y a pas de jeunes hommes en colère, assoiffés de sang.

— À votre connaissance », dit Ryan.

Le rabbin Hempel haussa les épaules. « Quel serait le motif ? Nous avons été relativement à l’abri des persécutions ici. Le terrible épisode de Limerick au début du siècle, certains le qualifient de pogrom… Mais les expulsés ont été accueillis ensuite à Cork. Les bureaucrates du ministère de la Justice faisaient tout pour limiter le nombre de réfugiés juifs en Irlande avant et après la guerre, mais les Affaires étrangères ont poussé de Valera[2] à intervenir. Si l’Irlande n’a pas toujours été bienveillante, elle ne s’est pas montrée ouvertement hostile. Ce ne sont pas des conditions qui nourrissent la haine dans le cœur des jeunes hommes. »

Ryan retint un rire. « La haine n’est pas une denrée rare dans ce pays.

— Les Irlandais n’oublient pas vite, dit le rabbin. Je vis en Irlande depuis plus de dix ans et je l’ai tout de suite compris. S’ils n’avaient pas la rancune aussi tenace, les Anglais auraient peut-être eu un autre allié contre les Allemands. Au lieu de quoi, l’Irlande n’a pas bougé le petit doigt pendant que l’Europe partait en flammes. »

Ryan voulut tout d’abord s’abstenir de commentaire, mais après réflexion, il dit : « L’Irlande tenait à peine debout en tant que nouvel État. En moins d’une décennie, elle avait connu la Première Guerre mondiale, la guerre d’Indépendance et la Guerre civile. Elle n’avait pas la force de mener une autre guerre. Malgré tout, nous sommes cent mille à avoir combattu. »

вернуться

2

Éamon de Valera (1882–1975) : homme politique irlandais considéré comme le père de la Nation libre d’Irlande ; chef du gouvernement de 1937 à 1948, il parvint à tenir l’Irlande à l’écart de la Seconde Guerre mondiale.