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Ryan retrouva l’usage de sa langue. « J’ai rendez-vous avec quelqu’un.

— Avec qui ?

— Le ministre. »

Elle l’entraîna plus avant dans le salon en naviguant parmi la foule. « Quel ministre ? Nous en avons plusieurs.

— Le ministre de la Justice. »

Elle sourit. « Charlie ? Il donne audience près du bar. Ce qui tombe bien, étant donné qu’on y va pour prendre un verre. »

Ils passèrent ensemble d’une première pièce à une autre, brillamment éclairée. La musique jouait en sourdine, les rires et les conversations fusaient.

Haughey trônait sur un tabouret, entouré d’hommes plus jeunes, le visage échauffé par l’alcool. Il posa sur Ryan son regard de rapace, cligna de l’œil et continua son histoire.

« C’était un sacré spectacle, dit-il en postillonnant de ses lèvres minces. Le canasson galopait comme s’il en allait de sa vie. Il avait raison, d’ailleurs, parce que s’il avait perdu, je l’aurais abattu moi-même. Bref. Il remonte la ligne droite à fond de train, avec son jockey, le petit Turley, qui a l’air d’avoir fait dans son froc tellement il s’accroche pour ne pas tomber. Et l’autre, devant, je ne sais plus comment il s’appelle… Il regarde par-dessus son épaule et en voyant mon gars qui le rattrape, je le jure devant Dieu, il a failli en perdre ses étriers. »

Tout autour de lui, ses vassaux s’esclaffèrent.

Ryan sentit un souffle chaud contre son oreille. Il frémit.

« Pour moi, ce sera un gin tonic, dit-elle. Avec du citron vert. Surtout pas de citron. »

Ryan voulut sortir son portefeuille.

Haughey lança : « Pas la peine de mettre la main à la poche, mon gars. C’est déjà réglé. »

Ryan remercia d’un hochement de tête et fit signe au barman. « Un gin tonic avec du citron vert, et une Guinness. »

Les doigts de la jeune femme glissèrent le long de son bras. Elle lui prit la main et l’attira vers elle jusqu’à frôler sa hanche. « Ce n’est pas un cocktail, ça. »

Les joues de Ryan flambèrent. Il toussota. « Donnez-moi plutôt un brandy gingembre.

— Voilà qui est mieux », dit-elle. Elle étreignit encore sa main, doucement, avant de la relâcher. Puis elle se tourna dos au bar, en appui sur les coudes, exposée dans sa robe en soie comme un livre ouvert.

La chaleur sur les joues de Ryan s’étendit à son cou.

Elle inclina la tête, lui donnant à voir le creux de peau douce niché sous son oreille. « Vous ne m’avez pas demandé comment je m’appelais. »

Ryan s’interrogea : devait-il s’excuser ? Il choisit finalement de mettre les mains dans ses poches et affecta une expression de tranquille confiance. « C’est vrai. Comment vous appelez-vous ?

— Celia », répondit la jeune femme. De ses lèvres arrondies, les consonnes s’écoulaient en un flot de miel. « Et vous ? »

Il déclina nom et prénom, sentant son assurance s’écailler comme de la peinture abîmée par les intempéries.

« Alors, comme ça, monsieur Ryan… Vous venez voir Charles J. Haughey. De quelle affaire s’agit-il ?

— Une affaire privée », répliqua-t-il, plus durement qu’il n’en avait eu l’intention.

Elle arqua un sourcil finement dessiné. « Je vois. »

Le bruit sec d’un verre posé sur le marbre. Le tintement des glaçons. Il tendit à Celia le gin tonic. Elle le regarda droit dans les yeux en buvant une gorgée, puis passa le bout de sa langue sur ses lèvres mouillées.

Ryan goûta son brandy, avala la brûlure et ne parvint pas à relever le défi qu’elle lui lançait. Il ne vit pas le sourire amusé qui étira les coins de sa bouche quand il détourna les yeux.

Haughey faussa compagnie à ses courtisans. Ils le suivirent des yeux quand il s’approcha et détailla Ryan des pieds à la tête. « McClelland s’est bien occupé de vous ?

— Oui, monsieur le ministre. » Ryan salua de la tête, hésitant entre respect et fierté, entre le politicien et la femme à ses côtés.

« Parfait. » Haughey rit. « Vous passerez très bien. N’est-ce pas, miss Hume ? »

Les lèvres de Celia s’entrouvrirent en un sourire conspirateur. « Je n’en doute pas », dit-elle.

Ryan n’aurait su dire de qui elle se faisait la complice, mais il souhaitait l’avoir dans son camp.

« Venez, dit Haughey. Le colonel nous attend. »

Au moment où Haughey se détournait, Celia retint Ryan par un doigt.

« Soyez prudent », dit-elle, son sourire soudain évanoui.

Ryan emboîta le pas à Haughey qui se dirigeait vers un escalier mal éclairé. Le ministre alluma une cigarette, ne lui en offrit pas.

En grimpant les marches, Haughey dit : « Faites attention avec Skorzeny. Il est d’une intelligence redoutable. N’essayez pas de jouer les malins, sinon il vous écrasera comme une merde.

— Oui, monsieur le ministre. »

En haut de l’escalier, ils empruntèrent un couloir recouvert de moquette, le long duquel s’alignaient des portes marquées de numéros. Haughey s’approcha de l’une d’elles, à l’écart des autres. Il frappa.

La porte s’ouvrit et avala Haughey, laissant Ryan seul dans le couloir.

Il s’adossa au mur, sans penser à ce qui l’attendait dans la chambre. Cette femme, Celia, lui occupait l’esprit tout entier. Le souvenir de son odeur, chaude et douce. Il n’eut pas conscience du temps qui s’écoulait.

Haughey ouvrit la porte et s’effaça pour laisser sortir deux hommes en costume qui jetèrent un regard à Ryan. Quand ils se furent éloignés, le ministre dit : « Entrez. »

10

Au moment où Ryan pénétra dans la suite, Skorzeny se leva d’un fauteuil en cuir, emplissant la pièce de son immense stature, autant en largeur qu’en hauteur, épaules déployées comme une poutre en chêne dans son costume clair. Une cicatrice ouvrait un sillon depuis le sourcil jusqu’au coin de sa bouche, poursuivant sa route en travers du menton après avoir croisé une moustache impeccable. Il avait l’œil vif, le front dégagé sous d’épais cheveux gris repoussés en arrière.

Debout entre les deux hommes, Haughey parut soudain plus petit. Le rapace s’envola de son regard.

« Colonel, je vous présente le lieutenant Albert Ryan, G2, Direction du renseignement. »

Skorzeny fit un pas en avant. Il tendit une main si large qu’elle engloutit totalement celle de Ryan et aurait pu la broyer, ainsi se le figura-t-il, si l’Autrichien l’avait souhaité.

« Lieutenant, dit Skorzeny avec un accent dur et râpeux. Le ministre m’assure qu’il n’y a pas meilleur que vous. Est-ce vrai ? »

Il avait relâché la main de Ryan qui sentait un frémissement dans tous ses os. « Je ne crois pas pouvoir répondre à cette question.

— Ah non ? Qui donc vous connaîtrait mieux que vous-même ? »

Pendant que Ryan cherchait une réponse, Skorzeny attrapa une carafe et remplit deux verres d’un liquide ambré. Il en offrit un à Haughey, trempa ses lèvres dans l’autre, ne proposa rien à Ryan.

« Asseyez-vous, je vous prie », dit-il.

Haughey s’installa dans le deuxième fauteuil, laissant le canapé à Ryan.

« Le ministre me dit que vous avez combattu pour les Anglais pendant la guerre. »

Ryan s’éclaircit la gorge. « C’est exact.

— Pourquoi ?

— Je voulais quitter ma ville natale », répondit Ryan, optant pour l’honnêteté. Il sentait que mentir n’était pas envisageable. « Je savais que c’était le seul moyen pour moi de partir d’Irlande. Je ne voulais pas avoir la même vie que mon père. Alors j’ai traversé la frontière et, une fois dans le Nord, je me suis engagé.