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— Dans quel régiment ?

— Les Royal Ulster Rifles.

— Donc vous avez participé à l’opération Mallard.

— Oui. »

Skorzeny tira de sa poche un étui à cigarettes recouvert d’émail blanc, avec le Reichsadler, l’aigle nazi, perché sur une croix gammée sertie dans une couronne de feuilles de chêne en or repoussé. Il ouvrit l’étui, le présenta à Haughey. Le ministre déclina. Skorzeny alluma une cigarette et rejeta la fumée par la bouche et les narines en s’asseyant.

« À la bataille des Ardennes, aussi ?

— Moins directement.

— Et après la guerre ?

— Quand je suis rentré, j’ai fait des études de lettres à Trinity College. »

Skorzeny sourit. « Ah ! Trinity. Alors, vous avez pratiqué l’escrime ?

— Oui.

— Vous viendrez chez moi et nous nous affronterons.

— Je vous demande pardon ?

— À Martinstown House. Je croise le fer depuis ma jeunesse. J’ai gagné ma Schmiss au cours d’un duel à l’université. » Il désigna sa cicatrice, les yeux froids et brillants comme des billes. « Mais je n’ai trouvé aucun adversaire respectable dans ce pays. Ce sera peut-être vous. Alors, dites-moi… À quoi avez-vous employé ensuite cette belle éducation ?

— À rien. Je me suis réengagé dans les Ulster Rifles et j’ai servi en Corée dans le 29e régiment d’infanterie. Une fois là-bas, j’ai été sélectionné pour recevoir un entraînement spécial.

— Quel entraînement ?

— Les tactiques de commando, dit Ryan. Vous connaissez. »

Skorzeny hocha imperceptiblement la tête en réponse à cet hommage.

« Sous le contrôle du 3e bataillon paracommando, j’ai mené des raids contre des positions ennemies. Nous dormions dans les tranchées le jour et agissions la nuit. »

Skorzeny tira une longue bouffée sur sa cigarette. « Combien d’hommes avez-vous tués ? »

Ryan ne cilla pas sous le regard de l’Autrichien. « Je ne sais pas, répondit-il. Combien en avez-vous tué, vous ? »

Skorzeny sourit et se leva. « Nous sommes des soldats. Seuls les meurtriers tiennent le compte. »

Il prit la carafe et servit un troisième verre, puis s’approcha pour le mettre dans la main de Ryan.

« Alors… Que savez-vous de ces bandits qui utilisent des hommes morts comme messagers ? »

Ryan but une petite gorgée de brandy, plus doux sur sa langue et dans sa gorge que celui qu’il avait commandé au bar. « J’en sais très peu. »

Skorzeny se rassit, croisa ses longues jambes. « Très peu, c’est plus que rien. Continuez.

— Ils sont efficaces, prudents, habiles. Ils n’ont laissé aucune trace dans la maison d’hôtes de Salthill. Je n’ai pas pu examiner les lieux des crimes précédents, mais je présume que tout était aussi propre. »

Haughey prit la parole. « J’ai vu les rapports de la Garda. Les policiers n’ont rien trouvé qui puisse être utile. » Il se tourna vers Ryan. « Et l’hypothèse des Juifs ?

— Rien ne permet de penser que des membres de la communauté juive soient impliqués. »

Haughey se pencha en avant. « Rien ne permet de penser ? Bon sang, tout porte à le croire !

— Nous ne connaissons aucun groupe organisé de Juifs en Irlande, dit Ryan. Notre population juive est très restreinte et l’existence d’un tel groupe paraît hautement improbable. Même s’il existait, il n’aurait sans doute pas les moyens de mener à bien ce genre d’actions.

— Ce que dit le lieutenant Ryan est juste, déclara Skorzeny. Ces meurtres ont été commis par des professionnels. Des hommes entraînés.

— Les Israéliens, alors, dit Haughey. Le Mossad. Ou encore ce type, Wiesenthal, celui qui a fait exécuter votre ami Eichmann l’année dernière. »

Skorzeny le fixa durement, puis tourna les yeux vers Ryan. « Toute spéculation mise à part, vous n’êtes pas plus avancé qu’il y a quarante-huit heures pour retrouver ces hommes. »

Ryan confirma. « En effet.

— Alors que proposez-vous de faire maintenant ? Attendre simplement qu’ils tuent encore ? Ou qu’ils s’en prennent à moi ?

— Je suggère d’enquêter auprès de tous ceux qui ont assisté à l’enterrement à Galway. Selon leur rapport, les Gardaí n’ont questionné que le prêtre. Il a dit qu’il ne connaissait aucun des fidèles, qu’il n’avait parlé à personne, sauf à un homme présent sur place pour organiser la cérémonie. Et cet homme n’a pas encore été localisé.

— Vous allez cuisiner le prêtre ?

— Non, dit Ryan. J’imagine que vous, vous connaissez quelques membres de l’assemblée. Johan Hambro et vous aviez sûrement des contacts en commun. Dites-moi comment les joindre et je les interrogerai. »

Skorzeny secoua la tête. « Il n’en est pas question. Mes amis tiennent à protéger leur vie privée. Même si je vous dirigeais vers eux, je ne peux pas les obliger à vous parler. Ils refuseraient tout simplement.

— Ils ont peut-être remarqué quelque chose, ou quelqu’un, qui pourrait nous aider, dit Ryan. C’est la seule voie possible.

— Alors, il vous faudra en trouver une autre. »

Ryan se leva, posa le verre sur la table basse.

« Il n’y en a pas d’autre, dit-il. Je vais étudier en détail tous les comptes rendus et je présenterai mes résultats dans un rapport. Sans votre coopération, c’est tout ce que je peux faire. Bonsoir. »

Ryan quitta la suite, ferma la porte derrière lui, et se dirigea vers l’escalier. Il avait à peine descendu la première volée de marches que Haughey le rappela.

« Hé là ! attendez… »

Ryan s’arrêta, se retourna.

Haughey descendit vers lui, la foudre sur son visage.

« Nom de Dieu, vous vous prenez pour qui ? On ne parle pas comme ça à un homme tel qu’Otto Skorzeny. Vous voulez me foutre dedans ou quoi ?

— Non, monsieur le ministre. »

Debout une marche plus haut, Haughey se tenait nez à nez avec Ryan. « Alors qu’est-ce vous essayez de faire ?

— Le travail que vous m’avez confié, monsieur le ministre. Pour ça, j’ai besoin de coopération. Sinon je soumets mon rapport et c’est terminé.

— Si vous êtes bien sapé aujourd’hui, c’est grâce à moi, mon gars. Et voilà comment vous me remerciez. Vous avez un putain de culot. »

Ryan tourna le dos au ministre et le laissa tout pantelant dans l’escalier.

11

Otto Skorzeny regarda sa montre. Compte tenu de l’heure tardive, il pouvait bien se servir un autre verre de brandy.

Intéressant, cet Irlandais. Ce Ryan. Un soldat qui avait passé la majeure partie de sa carrière à combattre pour un autre pays, lequel était considéré comme un ennemi par la plupart de ses compatriotes.

Skorzeny se reconnaissait un peu dans l’officier du G2. Il ne s’était jamais senti appartenir à une nation. Jeune homme, en tant qu’Autrichien, il s’était rallié aux Allemands, participant à l’annexion de son propre territoire. Une fois la guerre terminée, il avait dérivé de pays en pays, en Espagne, après un passage par l’Argentine, jusqu’à atterrir ici, sur cette île pluvieuse.

Un nationaliste sans nation.

L’idée lui paraissait curieusement romantique. De nombreux révolutionnaires nationalistes, en vérité, n’étaient pas natifs de la terre pour laquelle ils se battaient. Ainsi le militant égyptien, Yasser Arafat, qui soufflait sur les flammes palestiniennes et poussait à la guerre contre les sionistes. Ou Ernesto Guevara, l’Argentin qui avait pris la tête de la révolution cubaine. Ou encore, tenez, Éamon de Valera, l’ardent nationaliste républicain irlandais qui n’était en fait qu’à moitié irlandais, et qui, à la différence de ses camarades du soulèvement de 1916, avait échappé à l’exécution seulement parce qu’il était citoyen américain en vertu de sa naissance aux États-Unis.