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Un homme mort était étendu par terre, sur le dos. Un trou nettement dessiné au milieu du front, un autre dans son chandail déchiré, brûlé par le projectile. Un fusil ouvert et deux cartouches non utilisées gisaient près de lui.

Des empreintes boueuses marquaient le sol tout autour du corps. Ryan remarqua la terre humide sur les bottes du Français. Les chaussures du mort étaient sales, mais sèches.

Lainé indiqua le corps. « Lui, c’est Murtagh. Ils le tuent d’abord. »

Skorzeny entra dans la maison, Ryan juste derrière.

Un autre homme était assis à la table, la tête basculée, un lambeau de cuir chevelu arraché.

« Lui, c’est Groix », dit Lainé.

Le Français fit le tour de la table, tira une chaise et s’assit. Il frissonna, toussa, les yeux embués. Son maillot de corps était souillé de terre et, visiblement, de sang. Il posa la lampe à pétrole au centre de la table. Ses larmes brillèrent dans la lumière jaune qui dansait autour de la pièce.

« Ils tuent Hervé. Il aboie, c’est tout. Jamais il mord. Et ils le tuent. »

Skorzeny vint placer sa large main sur l’épaule maigre de Lainé. « Racontez-nous ce qui s’est passé. »

Le Français renifla, s’essuya les yeux avec sa manche et commença son récit.

Groix était allé à la fenêtre, et, penché sur l’évier, se dévissant le cou, avait regardé dehors. Il avait exploré tous les recoins du petit jardin que son œil pouvait balayer. La chaîne du chien ne bougeait plus depuis une longue minute.

« Je ne vois rien », dit-il en français.

À la plus grande déception de Lainé et malgré les efforts que Groix avait déployés, il demeurait incapable de s’exprimer en breton.

Lainé s’approcha dans son dos. « Ils sont arrivés par la colline derrière la maison. Tu as une arme ?

— Non. Rien. »

Lainé avait un pistolet, un vieux Smith & Wesson qu’il gardait sous son oreiller. L’arme avait appartenu autrefois à un GI.

Il s’adressa à Murtagh, en anglais : « Des hommes sont là pour nous tuer. » Il désigna le fusil sur la table. « Tu sais tirer avec ça ? »

Murtagh se leva en repoussant sa chaise sur le plancher. « Quoi ?

— Tu sais tirer avec ça ? répéta Lainé.

— Qui arrive ? »

Lainé décida ne pas perdre davantage son temps avec ce jeune crétin. Il recula jusqu’au fond de la pièce, aussi loin que possible de la porte, pendant que Groix restait les bras ballants à la fenêtre.

Murtagh attrapa le fusil, l’ouvrit, vérifia les cartouches avec ostentation. Il fit volte-face au moment où quelque chose heurta violemment la porte, arrachant le verrou au chambranle. Deux bruits secs, comme des ballons qui éclatent, et Murtagh s’effondra.

Les hommes pénétrèrent dans la maison, au nombre de trois, armes dégainées, prêts à tirer.

Lainé se figea. Groix gémit et leva les mains tandis qu’un liquide coulait sous les jambes de son pantalon et formait une flaque à ses pieds.

L’homme qui était entré le deuxième prit la parole : « Bonsoir, Célestin », dit-il.

Groix regarda Lainé sans comprendre.

L’homme dit : « Je ne connais pas ton ami. Qui est-ce ?

— Élouan Groix, répondit Lainé.

— Asseyez-vous tous les deux. »

Groix obéit.

« Toi aussi », dit l’homme à Lainé.

Lainé s’avança dans la pièce, contourna l’urine de Groix et s’assit.

« Les mains à plat sur la table. »

Lainé et Groix s’exécutèrent, doigts écartés sur le bois.

Les trois hommes étaient vêtus de combinaisons sombres, avec bonnets de laine enfoncés jusqu’aux sourcils et gants de cuir. Deux d’entre eux étaient armés de pistolets Browning équipés de silencieux. Le troisième tenait un fusil automatique. Celui-là vint se positionner à droite de Lainé et aligna le canon sur sa tempe. Un autre le mit en joue du côté droit.

Le chef tira la chaise qu’avait occupée Murtagh, posa le Browning sur la table en le gardant à la main.

« Nous y voilà », déclara-t-il. Il avait un accent anglais.

Groix pleurait à chaudes larmes. Il renifla.

« Oui, nous y voilà, dit Lainé. Et maintenant[5] ?

— On va bavarder un peu, répondit l’homme.

— Je ne dis rien. »

Groix parla, avec de la peur dans sa voix, les yeux humides et pleins d’espoir. « Moi, je dis. Vous demandez. Je dis. »

L’homme leva le Browning qu’il tenait sur la table, visa, pressa la détente. La tête de Groix partit en arrière comme celle d’une marionnette dont on tire les fils. Il y eut des éclats d’os et de peau, des cheveux qui prenaient feu. Offre rejetée.

L’homme ramena les yeux sur Lainé. « Tu as mal compris. Je ne cherche pas d’autres informations. Je sais déjà tout ce que j’ai besoin de savoir. Tu n’as rien à me dire. Pas à moi. C’est moi qui parle. Toi, tu écoutes. »

Lainé regarda une coulée sombre qui glissait le long de l’oreille de Groix, sur son cou, vers le col de sa chemise.

« Alors, parlez. »

L’homme reposa le pistolet sur la table. Il avait la joue marbrée. « Tu vas faire passer un message à Otto Skorzeny. »

Lainé sourit, un sourire qui ressemblait plutôt à une grimace. « Comme Krauss ?

— Pas nécessairement. Je préférerais que tu le lui livres en personne. Je veux que tu puisses témoigner que nous ne plaisantons pas. Si tu acceptes, je te croirai sur parole et te laisserai la vie sauve. Lui transmettras-tu le message ? »

Lainé sortit son tabac et son papier de sa poche pour se rouler une cigarette. « D’accord*. »

L’homme hocha la tête. « Parfait. Voici ce que tu répéteras à Skorzeny, exactement comme je te le dis. Trois mots seulement. Tu écoutes ? »

Lainé se pencha vers la lampe à pétrole et alluma sa cigarette. « Ouais*.

— Dis-lui : “Vous allez payer.” »

Lainé lâcha un petit rire, cueillit un brin de tabac sur sa lèvre. « Ça fera peur à Otto Skorzeny, vous croyez ? »

L’homme saisit le Browning et appliqua le silencieux contre la joue de Lainé. La chaleur du métal lui fit cligner de la paupière.

« Répète-lui ces mots, c’est tout. »

Lainé acquiesça.

« Bien. » L’homme écarta le Browning et se mit debout.

Ses deux compagnons reculèrent vers la porte.

« On se reverra. »

Ils refermèrent la porte derrière eux.

Alors survint le tremblement. Lainé pouvait à peine porter la cigarette à sa bouche. Il la fuma malgré tout jusqu’à se brûler les doigts, puis jeta le mégot par terre.

Il partit sans un regard pour les corps de Groix et de Murtagh. La chaîne détendue gisait sur le sol. Il la suivit jusqu’à Hervé, qu’il trouva recroquevillé sur lui-même dans l’obscurité, les yeux troubles, cherchant aveuglément à localiser l’odeur de son maître.

« Là, mon chien », dit-il en s’accroupissant près de l’animal.

Deux trous dans le flanc. Il y posa la main, sentit la chaleur humide et les battements du cœur affaibli. Le chien exhala un râle qui montait du fond de son poitrail. Lainé se coucha sur la terre et le tint dans ses bras, murmura en lui parlant du paradis, jusqu’à ce que le râle cesse et que le cœur ne batte plus. Il l’embrassa, une fois, puis se leva.

Dix minutes plus tard, il atteignait la ferme de Murtagh. Il frappa à la porte. Mrs. Murtagh ouvrit.

« J’ai besoin de téléphoner », dit Lainé.

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5

Tous les mots en italique suivis d’un astérisque sont en français dans le texte original.