Elle jeta un regard par-dessus son épaule, appela son mari.
Ryan demanda : « Le père Murtagh sait ce qui s’est passé ?
— Non*. Il demande, mais je ne dis rien. Quand vous partez, je lui dis.
— Bravo, dit Skorzeny en pressant l’épaule de Lainé. Vous avez bien fait. Quand vous lui aurez raconté, vous partirez d’ici. Emportez tout, ne laissez aucune trace. Laissez ce Murtagh recevoir la police. Dites-lui qu’il ne doit pas parler de vous. Offrez-lui de l’argent s’il le faut.
— Où je vais ? »
Skorzeny réfléchit. « Vous pouvez prendre une chambre chez moi.
— Merci*. » La voix de Lainé était à peine un sifflement.
« Quel âge avait l’homme au pistolet ? demanda Ryan.
— Je crois, quarante-cinq ans. Les autres, un du même âge, un plus jeune.
— Et ils n’ont pas parlé ?
— Non*.
— On ne sait donc pas s’ils étaient anglais.
— Ils avaient l’air, comment on dit… » Lainé agita la main, paume à plat devant son visage. « Pâle, comme des Anglais. Pas comme des Espagnols ou des Italiens. Pas…
— Pas des Juifs, compléta Skorzeny.
— Non*. »
Ryan reprit : « Le Browning est une arme des forces britanniques.
— Vous pensez au SAS ? Au MI5 ? demanda Skorzeny.
— Je ne vois pas pourquoi les services britanniques vous prendraient pour cible. S’ils voulaient votre mort, ce serait déjà fait. »
Skorzeny sourit, imprimant un pli à sa cicatrice. « Peut-être. Alors, dites-moi, lieutenant Ryan, qui sont ces hommes et que veulent-ils ?
— Je ne sais pas qui ils sont. Et vous êtes le seul à pouvoir dire ce qu’ils veulent. Une chose est claire, cependant.
— Laquelle ?
— Ils ont sûrement un informateur. S’ils en savent autant sur vous et vos… amis, c’est que quelqu’un les a renseignés. Voire travaille pour leur compte. »
Skorzeny alla à la fenêtre, face au noir. « Je vais mener une enquête. Vous aussi. Si vous trouvez cette personne, vous me préviendrez immédiatement.
— Et ensuite ?
— Ensuite, vous me l’amènerez. »
14
Charles J. Haughey était assis à son bureau, devant une tasse de café et un verre dans lequel pétillait un comprimé d’Alka-Seltzer. Ryan avait pris place en face de lui.
« De quoi avez-vous besoin ? demanda Haughey.
— Il me faut les noms et les adresses de tous les anciens nazis ou collaborateurs qui résident aujourd’hui en Irlande.
— Impossible, dit Haughey.
— Monsieur le ministre, sans cela, je ne trouverai pas la personne qui travaille avec ces hommes. »
Haughey but une gorgée d’Alka-Seltzer, éructa et dit : « Il sont plus d’une centaine sur notre sol. À notre connaissance. Il est très probable que d’autres soient entrés clandestinement. Je ne peux pas divulguer ce genre d’information, même si je l’avais en ma possession. Et à votre avis, combien parmi eux connaissent le colonel Skorzeny ?
— Très bien, dit Ryan. Notez tous ceux qui sont en contact direct avec lui. Je commencerai par là. »
Haughey se pencha en avant, bousculant de ses avant-bras la tasse de café qui trembla sur la soucoupe. « Je suis quoi, moi, votre putain de secrétaire ?
— Monsieur le ministre, je dois absolument localiser l’informateur avant Skorzeny.
— Pourquoi ? demanda Haughey. Pourquoi ne pas le laisser s’en occuper ?
— Parce que si Skorzeny met la main sur lui, je crois qu’il le torturera. Et ensuite, il le tuera. »
La secrétaire de Haughey sourit quand Ryan traversa l’accueil. Il s’arrêta à la porte, se retourna et revint vers elle.
« Excusez-moi, dit-il. Hier soir, je vous ai vue parler à une femme. Elle s’appelle Celia Hume. »
Le sourire de la secrétaire se fit narquois. Elle détailla tranquillement Ryan de haut en bas, prenant son temps. « Oui, je connais Celia. »
Ryan sentait la sueur perler à son front et couler dans son dos, il avait les joues brûlantes. « Vous savez où je pourrais la joindre ? »
La secrétaire souriait maintenant de toutes ses dents. « Et qu’est-ce qu’un gentil monsieur comme vous pourrait bien vouloir à notre Celia ? »
Il réprima une montée de colère, courte mais ardente, devant tant d’indiscrétion et répondit aimablement : « Juste la saluer.
— Je vois. » Elle griffonna un numéro de téléphone sur un bloc-notes, arracha la feuille et la lui tendit. « Si elle ne veut pas vous rendre votre salut, vous pouvez toujours venir me voir. »
Ryan lui prit le papier des mains, soutenant son regard qui le mettait en feu.
Tard dans l’après-midi, un messager apporta une grosse enveloppe en papier kraft à Ryan dans sa chambre d’hôtel. À l’intérieur était glissé un mot : Voici votre liste. Soyez prudent et détruisez-la quand vous aurez terminé.
Signé : C.J.H.
Ryan sortit trois feuilles de l’enveloppe et les étala sur le lit. Une douzaine de noms dactylographiés, certaines adresses n’indiquant qu’un lieu-dit. Ryan se représenta de petites maisons basses ou de vastes demeures au bout d’un chemin de terre, des routes sans nom que seul connaissait le facteur.
L’un des noms lui était vaguement familier : Luykx, à la tête d’une fortune constituée par l’exploitation de restaurants et de bars. Au-dessous était griffonné un commentaire.
Ne vous approchez pas d’Albert Luykx. C’est un de mes amis personnels. Je ne veux pas qu’on l’embête.
Haughey fournissait d’autres informations. Nationalités, organisations, grades, relations, professions. Il y avait des hommes d’affaires, un écrivain, un maître d’école, deux médecins, riches pour la plupart.
Ryan s’intéressa à ceux qui ne l’étaient pas.
Catherine Beauchamp, romancière, nationaliste bretonne comme Lainé. Elle travaillait pour une œuvre de charité. Elle touchait un salaire, rien d’extraordinaire, mais elle gagnait sa vie. Désirait-elle plus d’argent ? Suffisamment pour se retourner contre ses amis ?
Et Hakon Foss. Un nationaliste norvégien employé comme jardinier et homme à tout faire, essentiellement au service de Skorzeny et de ses associés. Bien placé pour observer leurs allées et venues, peut-être au point de jalouser un train de vie qui lui était interdit.
Ryan parcourut la liste encore une fois. Les hommes d’affaires s’étaient tous enrichis en Irlande. Gestion de patrimoine, hôtellerie, une imprimerie, un éleveur de chevaux de course.
Autant d’activités qui nécessitaient un capital, de l’argent, et en quantité importante. Ces hommes avaient fui le continent avec assez de liquidités, ou avec la capacité de s’en procurer, pour s’établir confortablement dans la vie. Pourquoi risqueraient-ils de perdre ce qu’ils avaient construit ? Il repensa à Catherine Beauchamp et à Hakon Foss.
Il commencerait par eux.
Ryan consulta sa montre. Presque six heures. Il tira de sa poche le morceau de papier plié. Le nom de Celia, ainsi que les chiffres étaient écrits en caractères fluides.
Assis sur le lit, il souleva le combiné du téléphone, composa le code pour obtenir la ligne, puis les numéros un par un sur le cadran, écoutant après chacun le mécanisme revenir au repos.
La sonnerie retentit cinq fois. Enfin, une femme à la voix rauque répondit.