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Ryan lui offrit son bras, et ils se frayèrent un chemin parmi la fumée et les hommes au teint échauffé. Il chercha des cheveux noirs, un costume bien coupé, des yeux inquisiteurs dans un visage buriné, mais ne vit partout que des journalistes ivres.

Le rideau du salon trembla quand ils arrivèrent à la porte. Celia posa une main sur la poitrine de Ryan.

« Je vous inviterais bien à entrer, mais je crains que nous ne soyons obligés de subir la compagnie de Mrs. Highland. Alors, à moins que vous n’ayez envie de la regarder tricoter, nous allons devoir nous quitter ici.

— Ici, c’est bien », dit Ryan. Une fois de plus il se trouvait à court de mots, debout les bras ballants, dans le silence qui lui était une torture. Celia le rompit avec un sourire.

« Je me suis beaucoup amusée, dit-elle. J’espère que vous m’appellerez encore.

— Oui. Absolument.

— Le restaurant du Shelbourne n’est pas trop mauvais.

— Bon, je vous y emmènerai. »

Ryan ne put s’empêcher de penser que cela ressemblait à la négociation d’un contrat, avec des promesses et des accords à respecter. Il s’en fichait, du moment qu’il la revoyait.

« Parfait », dit-elle.

Elle s’approcha, se haussa légèrement sur la pointe des pieds et l’embrassa. Un rouge à lèvres tiède, humide, parfumé. Elle lui effleura la lèvre supérieure de sa langue. Quand elle s’écarta, il la sentait encore. Cette chaleur sur lui.

« Pour l’amour du ciel, Albert, ne restez pas planté là comme si vous aviez vu la Sainte Vierge. »

Il rit à demi, toussa à demi. « Pardon. Je ne m’attendais pas… je ne savais pas… »

Elle caressa sa joue du bout des doigts. « Quelle triste figure ! Bonne nuit, Albert. »

Après l’avoir quittée, Ryan regagna sa voiture. Il lui fallut moins de quinze minutes pour revenir de Rathgar jusqu’au centre-ville. Il les consacra à essayer de penser à l’homme aux cheveux noirs qui l’avait mis à terre dans les toilettes, plutôt qu’au contact des lèvres de Celia sur les siennes.

Il n’y réussit pas.

17

Abandonnant son verre de brandy et ses invités assis au salon, Skorzeny suivit Esteban dans le cabinet de travail envahi d’ombres et prit le combiné. Le domestique alluma la lampe qui jeta un rond de lumière tamisée sur le bureau.

« Qui est-ce ? demanda Skorzeny.

— Celia Hume. »

Skorzeny attrapa une cigarette dans l’étui sur le bureau. « Alors ?

— Nous avons passé une excellente soirée. Nous sommes allés au cinéma, puis boire un verre. »

Skorzeny remarqua la voix adoucie, l’énonciation lente et mesurée par laquelle elle dissimulait l’effet de l’alcool.

Esteban se saisit du briquet posé sur le bureau, l’alluma et lui présenta la flamme. Skorzeny perçut le goût de l’essence et du tabac que la chaleur communiquait à sa gorge. Il chassa Esteban d’un geste de la main. Le domestique sortit, referma la porte derrière lui.

« Avez-vous discuté de sujets sensibles ? demanda Skorzeny.

— Non. Du moins, rien qui vous concerne, ni vous ni la mission du lieutenant Ryan pour votre compte.

— Et quelle impression vous a-t-il fait ? »

La fille marqua une pause, puis dit : « Il est très gentil. Comme un enfant, par certains côtés. Mais il y a autre chose chez lui, quelque chose que je n’arrive pas à définir. Je sais que c’est un soldat, mais il ne s’agit pas de cela. Quelque chose dans ses yeux, dans sa manière de se comporter, de parler. Pas dans ce qu’il dit. Quelque chose qui m’effraie, un tout petit peu. »

S’il l’avait voulu, Skorzeny aurait pu mettre des mots sur ce qu’elle éprouvait. Ryan portait les âmes des morts avec lui, comme tous les tueurs. Peu importait le gentleman à l’extérieur, l’apparente bienveillance, ces âmes vous regardaient à travers ses yeux.

« Quand le revoyez-vous ?

— Je ne sais pas, répondit-elle. Bientôt, je pense. Il a promis de m’appeler.

— Bien. Amenez-le à être intime avec vous. Aussi intime qu’il le désire. »

Il y eut un silence. Puis : « Que voulez-vous dire ? »

Skorzeny secoua sa cendre dans le cendrier en cristal. « Est-ce que je ne vous paie pas bien pour ce service ?

— Colonel Skorzeny, je ne suis pas une prostituée.

— Bien sûr que non, dit-il. Au revoir, miss Hume. »

Après avoir raccroché, il retourna à ses invités et au récit qu’il était en train de leur livrer. Le sauvetage de Mussolini depuis l’hôtel du Gran Sasso qui tenait lieu de prison au dictateur. Cette histoire-là captivait tous les invités politiques de Skorzeny.

Il l’avait racontée si souvent, à tant de soirées, de dîners et de banquets, qu’il avait parfois du mal à distinguer la vérité de la fiction. Dans ces moments de doute, il se disait pour se rassurer qu’il n’était pas historien. Si les gens qu’il rencontrait aimaient frémir à l’écoute de ses aventures, qui était-il pour leur refuser ce plaisir ?

Luca Impelliteri ne le leur aurait pas accordé, s’il n’en avait tenu qu’à lui.

Le lendemain du jour où l’Italien l’avait aiguillonné sur ce balcon de Tarragone, il fit porter un message à la chambre de Skorzeny l’invitant à prendre un café. À midi, Skorzeny trouva Impelliteri à la terrasse d’un café de la Rambla Nova, vêtu d’une chemise au col ouvert, lunettes de soleil sur le nez. Il claqua des doigts pour appeler un serveur au moment où Skorzeny approchait.

« Je vous en prie, asseyez-vous », dit-il.

Skorzeny s’exécuta. « Que voulez-vous ?

— Simplement bavarder », répondit Impelliteri, affichant un air cordial. Ses yeux étaient invisibles derrière les lunettes. « Un café ? »

Skorzeny acquiesça.

Impelliteri s’adressa au serveur. « Deux cafés et une assiette de pâtisseries. Je vous laisse choisir.

— Pas pour moi, dit Skorzeny.

— Oh, je vous en prie. Vous devez absolument les goûter. Les pâtisseries ici sont les meilleures que je connaisse, hors d’Italie. »

Le serveur partit chercher la commande.

« Vous vouliez parler, dit Skorzeny. Je vous écoute.

— Colonel Skorzeny, vous êtes un homme impatient.

— Entre autres choses. Ne me provoquez pas. »

L’Italien sourit. « Dans ce cas, inutile de vous faire attendre plus longtemps que nécessaire. Comme nous en avons discuté hier soir, je me trouvais sur le Gran Sasso quand vous avez enlevé le Duce. Je vous ai vu contourner l’hôtel au pas de course en cherchant à entrer. Je vous ai vu détaler devant les chiens de garde — une chance pour vous, ils étaient enchaînés — et je vous ai vu incapable d’escalader un mur d’à peine un mètre et demi de hauteur. Vous avez dû vous servir de l’un de vos hommes comme marchepied. C’était presque comique. »

Le serveur revint, posa les cafés devant eux et une assiette de pâtisseries au milieu de la table. Les gâteaux luisaient au soleil, confiture rouge et crème jaune serties dans une pâte si légère qu’elle aurait pu être soufflée par la brise. Impelliteri offrit l’assiette à Skorzeny.

« Non », dit celui-ci.

Impelliteri haussa les épaules, prit un mille-feuille et fit une mine extatique en y plantant les dents.

Skorzeny frappa quelques coups sur la table pour ramener l’Italien à la conversation. « D’accord. Vous contestez la véracité historique de l’opération Eiche. Vous prétendez que mes Kameraden et moi-même sommes des menteurs, que vous savez mieux que nous ce qui s’est passé. Que peut bien me faire votre opinion ? »