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— Et si je refuse ? »

Haughey plissa les yeux. « Je me suis mal fait comprendre, lieutenant. Ce n’est pas une requête de ma part. C’est un ordre.

— Avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre, vous n’êtes pas habilité à m’ordonner quoi que ce soit. »

Haughey bondit sur ses pieds, le visage empourpré. « Non mais je rêve ! Dites donc, mon gars. Vous savez à qui vous parlez ? »

Fitzpatrick leva les mains, paumes tournées vers l’avant. « Je suis désolé, monsieur le ministre. Le lieutenant Ryan veut simplement dire que l’ordre doit émaner des structures internes de la Direction du renseignement. Je suis certain qu’il n’avait pas l’intention de vous manquer de respect.

— Il n’a pas intérêt, répliqua Haughey en se rasseyant. S’il a besoin d’un ordre qui vienne de vous, allez-y, donnez-le. »

Fitzpatrick se tourna vers Ryan. « Comme l’a dit le ministre, ce n’est pas une mission volontaire. Vous vous tiendrez à sa disposition jusqu’à ce que l’affaire soit résolue.

— Très bien, dit Ryan. Il y a des suspects pour ces meurtres ?

— Pas encore, dit Haughey. Mais en toute logique, ce sont forcément des Juifs. »

Ryan changea de position dans son fauteuil. « Pardon ?

— Des extrémistes juifs, reprit Haughey. Des sionistes animés par une volonté de vengeance, je dirais. Ce sera votre première hypothèse pour démarrer l’enquête. »

Ryan songea à discuter, mais se ravisa. « Bien, monsieur le ministre.

— Les Gardaí vous prêteront main-forte, si nécessaire, dit le directeur. Nous préférerions l’éviter, bien sûr. Moins il y aura de gens au courant, mieux ça vaudra. Vous aurez une voiture et une chambre à l’hôtel Buswells pendant que vous séjournerez en ville.

— Merci. »

Haughey ouvrit le dossier qu’il avait sorti du casier. « Il y a une chose qu’il faut que vous sachiez. »

Il prit une enveloppe dans le dossier en la tenant par un coin et la tendit à Ryan. L’autre extrémité portait une tache rouge sombre. Ryan veilla à ne pas toucher la partie souillée. L’enveloppe avait été ouverte au coupe-papier le long du pli supérieur. Il la tourna pour lire les mots dactylographiés au recto.

OTTO SKORZENY.

Ryan lut le nom à voix haute.

« Vous avez entendu parler de lui ? demanda Haughey.

— Évidemment », dit Ryan, en se rappelant les images du visage balafré parues dans les échos mondains. Tout soldat versé dans la tactique des commandos connaissait Skorzeny. Malgré sa consonance autrichienne, le nom suscitait la déférence parmi les cercles militaires. Les officiers s’émerveillaient des exploits de Skorzeny qu’ils racontaient comme l’intrigue d’un roman d’aventure. L’enlèvement de Mussolini au sommet d’une montagne, dans l’hôtel qui lui servait de prison, infiltrait toutes les conversations. Quel culot, quelle audace, ces planeurs atterrissant au bord d’une falaise du Gran Sasso pour emporter ensuite le Duce sur les ailes du vent !

Ryan glissa les doigts dans l’enveloppe, extirpa la feuille de papier et la déplia. La tache rouge s’étalait comme un ange sur la page. Il lut les mots tapés à la machine.

SS-Obersturmbannführer Skorzeny,

C’est bientôt votre tour.

Préparez-vous à recevoir notre appel.

« Skorzeny a vu ça ? » demanda Ryan.

Fitzpatrick répondit : « Le colonel Skorzeny a pris connaissance du message.

— Le colonel Skorzeny et moi devons assister à une manifestation officielle à Malahide dans quelques jours, dit Haughey. Vous nous communiquerez vos premiers résultats. Le directeur vous donnera les informations nécessaires. Compris ?

— Oui, monsieur le ministre.

— Parfait. » Haughey se leva. Puis il déchira une feuille d’un bloc-notes, sur laquelle il inscrivit un nom, une adresse et un numéro de téléphone. « Mon tailleur, dit-il. Lawrence McClelland, Capel Street. Allez le voir et demandez-lui de vous fournir quelque chose. Dites-lui de mettre ça sur mon compte. Vous ne pouvez pas vous présenter devant un homme comme Otto Skorzeny dans un costume pareil. »

Ryan posa l’enveloppe tachée de sang sur le bureau après avoir écouté Haughey d’un air impassible. « Merci, monsieur le ministre. »

Fitzpatrick l’escorta jusqu’à la porte. Alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, Haughey lança : « C’est vrai ce qu’on m’a dit ? Que vous avez combattu pour les Anglais pendant l’Urgence ? »

Ryan s’immobilisa. « Oui, monsieur le ministre. »

Haughey détailla lentement Ryan, remontant de ses chaussures à son visage en l’enveloppant d’un souverain mépris. « Vous n’étiez pas un peu jeune ?

— J’ai menti sur mon âge.

— Hum. C’est ce qui explique sans doute votre manque de discernement. »

3

Le soleil était bas dans le ciel quand Ryan, les fesses douloureuses d’être resté si longtemps assis au volant, arriva à Salthill. Il avait traversé tout le pays d’est en ouest avec une halte près d’Athlone pour soulager sa vessie. À trois reprises, il dut s’arrêter et attendre qu’un fermier finisse de conduire son bétail d’un champ à un autre. Les voitures se faisaient plus rares à mesure qu’il s’éloignait de Dublin, avalant parfois des kilomètres sans croiser quiconque hormis un paysan sur un tracteur ou un cheval tirant une carriole.

Il gara la Vauxhall Victor dans la petite cour près de la maison d’hôtes. Fitzpatrick lui avait remis les clés ainsi qu’une liasse de billets d’une livre et de dix shillings, en lui recommandant de ne pas faire de folies.

Ryan descendit de voiture et s’approcha de l’entrée. Un vent mordant qui soufflait de la côte déposait sur ses lèvres le sel des embruns. Des mouettes tournoyaient en criant. Le muret devant la maison portait la trace de leurs excréments.

La pancarte au-dessus de la porte indiquait Maison d’hôtes St. Agnes, propriétaire Mrs J. D. Toal. Il sonna et attendit.

Une silhouette blanche apparut derrière le verre dépoli, puis une femme lança : « Qui est-ce ?

— Je m’appelle Albert Ryan. J’enquête sur le crime qui a eu lieu ici.

— Vous êtes de la Garda ?

— Pas tout à fait. »

La porte s’entrouvrit et la femme le dévisagea avec méfiance. « Si vous n’êtes pas de la Garda, alors qui êtes-vous ? »

Ryan sortit son portefeuille de sa poche et lui montra la carte d’identification.

« Je n’ai pas mes lunettes, dit-elle.

— Je suis envoyé par la Direction du renseignement.

— La quoi ?

— C’est comme la Garda, dit-il. Mais je travaille pour le gouvernement. Vous êtes madame Toal ?

— Oui. » Elle regarda à nouveau la carte. « Je ne peux pas lire. Il faut que je trouve mes lunettes.

— Vous me laissez entrer pendant que vous les cherchez ? »

Elle hésita, puis ferma la porte. Ryan entendit le bruit d’une chaîne que l’on ôtait. Enfin, le battant s’ouvrit.