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Il reposa le combiné et tourna vers Lainé son sourire de serpent.

« Il semblerait que nous n’ayons plus besoin de l’aide de miss Hume. C’était la secrétaire de Charles Haughey. Le lieutenant Ryan a refait surface. Il souhaite soumettre son rapport au ministre de la Justice demain après-midi. Ensuite, je l’interrogerai moi-même, en privé. J’aimerais que vous m’assistiez. Avez-vous une objection ? »

Lainé répondit : « Non, aucune. »

51

Un coup frappé à la porte de sa chambre d’hôtel tira Ryan de ses rêves et de leur terrifiante spirale. Il s’éveilla en sursaut et la douleur qui le déchirait tout entier lui arracha un cri. La chambre était plongée dans le noir. Combien de temps avait-il dormi ?

« Albert ? appela-t-elle.

— Celia. »

La porte s’ouvrit. Celia, découpée dans un rai de lumière. Elle scruta l’obscurité et le découvrit.

« Mon Dieu, Albert. »

Elle entra, ferma la porte derrière elle.

« Mettez la chaîne », dit-il.

Il écouta le cliquetis des maillons qu’elle glissait maladroitement dans le rail. Le plafonnier s’alluma. Dans la lumière blanche et crue, il la vit, figée près de la porte, une main sur l’interrupteur.

« Seigneur, Albert, qu’est-ce qui vous est arrivé ? »

Il était couché sur les couvertures, nu, avec seulement une serviette autour des hanches. Des hématomes ressemblant à des cartes de pays étrangers, violets, marron, jaunes, flambaient sur son torse. Du sang avait séché dans les replis de sa peau, sous ses bras, autour de son cou. Les cloques et les lésions causées par les brûlures s’étalaient sur sa poitrine, son abdomen, ses cuisses, son visage, surtout près de son nombril où elles s’agglutinaient en une grappe à vif. Il sentait lui-même l’odeur qui suintait de ses plaies.

Celia s’approcha et s’agenouilla à côté du lit. De grosses larmes tombèrent de ses yeux, tièdes et lourdes sur l’avant-bras de Ryan.

« Oh ! mon Dieu, Albert, qu’est-ce qu’ils vous ont fait ?

— Je m’en remettrai », dit-il.

Elle effleura du bout des doigts son ventre et sa poitrine, contournant les endroits meurtris. « Vous devez voir un médecin. On va prendre un taxi pour aller à l’hôpital.

— Non. » Ryan essaya de s’asseoir, mais réussit à peine à détacher sa tête de l’oreiller. « Pas de médecin. Pas d’hôpital.

— Mais vous avez besoin de…

— Non. » Il l’attrapa par le poignet. « Aidez-moi à me lever. »

Celia glissa un bras sous son dos pour le soutenir pendant qu’il se redressait et posait les pieds par terre, luttant contre la nausée, pris d’un étourdissement.

« Ce sont des brûlures ? demanda-t-elle. Il faut les nettoyer. »

Elle remarqua le pistolet posé sur la table de nuit. Weiss avait rendu le Walther à Ryan avant de le pousser hors de la camionnette. Elle ouvrit le tiroir et fit disparaître l’arme.

Ravalant ses larmes, elle alla au lavabo dans le coin, ferma la bonde, tourna les robinets. Elle revint vers lui, mit son bras sous le sien.

« Venez, dit-elle. Levez-vous. »

Ryan se hissa sur ses jambes, le haut du corps soutenu par Celia. Ensemble, ils gagnèrent péniblement le lavabo. Celia vérifia la température de l’eau, puis ferma les robinets.

Elle mouilla un gant et tira sur la serviette qu’il portait autour de la taille. « Enlevez ça. »

Ryan retint la serviette. Elle tira plus fort. Il résista.

« J’ai trois frères et je suis abonnée au National Geographic, dit-elle en affichant un air faussement sévère. Ce qu’il y a là-dessous ne m’est pas inconnu. »

Ryan la laissa faire. Quand la serviette tomba, elle plaqua une main sur sa bouche, horrifiée. Il couvrit de ses mains la peau brûlée de son scrotum pendant qu’elle sanglotait.

« J’ai envie de les tuer », dit Ryan.

Celia essuya les larmes qui roulaient sur ses joues et essora le gant. « Je sais », répondit-elle seulement.

52

Goren Weiss observait Carter, assis en face de lui. À la lumière tremblotante de la lampe à pétrole, il paraissait plus vieux, le visage creusé. Une bouteille de vodka, à demi vide, était posée entre eux sur la table. Weiss remplit leurs deux verres.

Carter prit le sien, le porta à ses lèvres, but d’un trait et toussa.

Dans la pénombre tout autour, des frémissements et des grattements se faisaient entendre. Un parasite quelconque qui avait trouvé refuge dans la vieille maison délabrée. Gracey et Wallace dormaient dans la pièce du fond.

« Vous vous croyez très malin, dit Carter, la voix brouillée par l’alcool.

— Exact », répliqua Weiss.

C’était vrai. Goren Weiss se savait plus intelligent que tous les gens ou presque qu’il avait croisés dans sa vie. Non pas à la manière d’un élève studieux — il ne s’était jamais présenté à un véritable examen —, mais grâce à une acuité d’esprit qui lui venait de l’instinct et de l’expérience.

Son instinct lui disait que Carter, tout bon soldat qu’il était, ne pouvait mener à terme cette mission par lui-même. Wallace et Gracey, bien que remarquablement entraînés, n’étaient que des fantassins. MacAuliffe avait été le meilleur élément de Carter. Weiss regrettait d’avoir dû lui mettre une balle dans la tête.

Carter ricana. « Pas assez malin pour avoir monté le coup.

— Mais suffisamment pour qu’il réussisse. »

Weiss s’était arrêté deux jours à Berlin-Ouest avant de se rendre à Dublin pour rencontrer Thomas de Groot, le Sud-Africain. Chaque fois, la ville lui plaisait. Il aimait l’idée d’un endroit suspendu, une bulle de décadence occidentale prisonnière d’un communisme puissant et hostile. La barrière qui coupait la ville en deux le fascinait. Sa scandaleuse brutalité. Il marchait le long du mur, grossiers blocs de ciment surmontés de barbelés. Des soldats de la RDA le regardaient passer, avec leurs fusils automatiques en travers du ventre.

Laissant son imagination prendre le pas sur la géographie réelle des lieux, il se représentait sa ville natale juste de l’autre côté de la barrière. Zwickau, où l’on fabriquait maintenant les Trabant bringuebalantes pour les Allemands de l’Est privilégiés qui avaient les moyens de s’offrir une voiture. Le père de Weiss était parti en Amérique dès qu’il avait senti arriver la tempête qui devait balayer tant de ses semblables. Il s’installa à Brooklyn. Benjamin Weiss avait laissé derrière lui deux frères et la tombe de son épouse pour recommencer une nouvelle vie de l’autre côté de l’Atlantique.

À une époque, avant la guerre, alors que Goren Weiss n’était encore qu’un jeune incapable qui aidait son père en remplissant des flacons de pilules et de potions, il avait adhéré aux idées socialistes, assistant même à quelques réunions du Parti communiste à l’université de Brooklyn. Il y allait surtout pour lorgner les filles. Leur sérieux et leur sincérité l’excitaient, quand elles plissaient le front en écoutant les discours et livraient de fines analyses sur le coût que le capitalisme faisait porter aux classes ouvrières américaines.

Un jour, rassemblant tout son courage, il avait proposé une sortie à l’une d’elles. Pour aller manger une glace, dit-il. La fille avait des cheveux blonds attachés en chignon et des boutons sur le menton. Melissa, avait-il cru comprendre. Elle répondit poliment, c’est gentil, mais non merci, puis rejoignit son groupe d’amies. Il resta planté là, serrant un paquet de tracts dans ses mains moites, pendant qu’elles s’éloignaient en gloussant.