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Borringer se détourna et entraîna Hussein et Ryan à l’intérieur. Habib et Munir leur emboîtèrent le pas. Le vestibule, moderne mais décoré avec goût, s’organisait autour d’un imposant comptoir d’accueil qui faisait face à l’entrée. Les portes des bureaux, de part et d’autre, étaient flanquées chacune de deux gardes. Des portraits d’hommes aux cheveux grisonnants garnissaient les murs, tous arborant le même visage sévère, avec un long nez et des yeux bleu pâle. Huit au total, habillés selon la mode de plusieurs époques comprises entre le dix-huitième et le vingtième siècle.

Au-dessous, sur de petites plaques en cuivre, Ryan lut partout le nom Heidegger.

« Suivez-moi, je vous prie, dit Borringer.

— Attendez ici », ordonna Hussein à ses gardes du corps. Il se retourna ensuite vers Borringer. « Mr. Ryan vient avec nous. »

Borringer regarda d’abord les chaussures de Ryan, puis sa montre, et s’arrêta enfin sur son visage. Ses yeux comptaient, mesuraient, évaluaient.

« Comme vous voudrez », dit Borringer sans tenter de dissimuler son mépris. Il se dirigea vers un ascenseur, écarta la grille et d’un geste invita Hussein et Ryan à entrer avant de les suivre et de refermer la grille derrière lui.

Ayant ôté une chaîne en argent qu’il portait autour du cou, Borringer choisit une clé parmi le trousseau qui y était attaché, l’inséra dans le panneau de contrôle de l’ascenseur, la tourna, et appuya sur l’unique bouton.

L’ascenseur descendit dans une cage en brique. Quand la cabine s’immobilisa, Borringer retira la clé, remit la chaîne autour de son cou, puis ouvrit la grille.

Un garde était assis à un petit bureau au centre de la pièce. Il se leva, les bras raides le long du corps, regardant droit devant lui. Neuf portes en acier, trois sur chaque mur, chacune équipée d’une serrure à combinaison et d’une lourde poignée.

Borringer s’approcha de la porte du milieu, face à l’ascenseur. Il fit écran avec son corps quand il tourna le cadran. Ryan entendit le cliquetis des gorges qui se levaient une à une, puis le déclic de l’ouverture. Borringer recula pour laisser le garde tirer la porte.

« Messieurs, votre chargement. »

Les murs de la chambre forte étaient tapissés de tiroirs à double serrure, scellés à la cire pour un grand nombre d’entre eux. Sur un chariot à plate-forme, des caisses en bois qui ne dépassaient pas vingt centimètres de côté avaient été disposées par dizaines.

Borringer toussota avant de parler. « Quatre-vingt-neuf caisses, chacune contenant quinze lingots d’un kilo, pour une valeur totale d’un million cinq cent six mille cinquante-six dollars. »

À bout de souffle, il put à peine achever sa phrase. Il inspira profondément et poursuivit : « Monsieur Hussein, veuillez inspecter les caisses avant que l’on ne ferme les dernières. »

Hussein et Ryan s’avancèrent. De loin, Ryan vit briller le contenu des cinq caisses ouvertes sur le dessus de la pile, il lut les mots Crédit Suisse gravé dans le métal. Son cœur s’accéléra.

Borringer leva une main. « Monsieur Hussein seulement, s’il vous plaît.

— Attendez ici », dit Hussein sur le seuil de la chambre forte.

Ryan obéit.

La peau sous le menton d’Hussein se teinta d’un reflet jaune. Il doit aimer le beurre, pensa Ryan, se rappelant le jeu du bouton d’or. Une pensée qu’il chassa rapidement de son esprit. Hussein examina chaque caisse tour à tour pendant que Ryan écoutait le discret bourdonnement de l’aération. Il sentait un courant d’air frais sur son cou.

« C’est bon, déclara Hussein. Vous pouvez fermer. »

Sur un signe de Borringer, le garde prit le marteau posé près du tas de couvercles restants et entreprit de les clouer, six pointes pour chaque caisse.

Ryan eut l’impression étrange d’assister à une cérémonie, une communion obscène dans une église de béton et d’acier, le sang du Christ changé en or.

Habib et Munir chargèrent les caisses dans le fourgon, sous les yeux de Borringer qui se tenait les mains croisées derrière le dos. Debout à ses côtés, Ryan se retenait de bâiller.

Hussein discuta avec le chauffeur de la première voiture de l’escorte, traçant un itinéraire sur une carte avec un crayon. Deux véhicules, un devant, un derrière, les accompagneraient jusqu’à la frontière française. À partir de là, le fourgon blindé et son chargement ne seraient plus gardés que par les hommes de Hussein. Deux autres voitures les doubleraient de temps à autre au long des routes françaises, expliqua Hussein, juste pour s’assurer que personne ne les suivait.

Quand les caisses furent chargées, Habib et Munir grimpèrent à l’arrière du fourgon et fermèrent les portes.

Borringer serra la main de Hussein, puis l’Arabe s’installa au volant. Ryan prit place sur le siège passager sans qu’aucune forme d’adieu ne soit échangée.

Les étoiles scintillaient au-dessus du mur d’enceinte. Avant que Hussein ne démarre, Ryan perçut le silence qui enveloppait le monde. Il frissonna et regarda sa montre. Deux heures du matin.

Le convoi franchit la porte de la Heidegger Bank et s’enfonça dans la nuit. Ryan fixait la lueur tremblotante des feux de la voiture de tête, les oreilles emplies par le ronronnement régulier du moteur Citroën. Ses paupières tombèrent. Il s’éveilla en sursaut au moment où sa tête s’affaissait sur sa poitrine.

Hussein rejeta la fumée de sa cigarette par les narines. « Dormez, monsieur Ryan. Nous avons une longue route devant nous. »

Ryan se rencogna contre la portière, l’esprit bercé par le moteur. Il rêva d’or volé sur des cadavres squelettiques et arraché aux bouches d’hommes morts, il en éprouva le poids dans sa main.

Le bruit de la portière du conducteur qui se refermait en claquant le tira d’un sommeil troublé. Le ciel était passé du noir au bleu foncé, mais le soleil restait caché à l’horizon.

Le fourgon était arrêté sur le bord d’une route étroite, derrière la première voiture de l’escorte. Ryan distinguait à peine le conducteur appuyé contre le capot. La deuxième voiture s’était sans doute rangée à la suite du fourgon. Tout autour, la forêt s’étendait à perte de vue.

Les gardes rejoignirent Hussein sur le bas-côté. Chacun des trois hommes portait un tapis roulé. Habib ou Munir — Ryan les confondait — posa un bidon en plastique par terre. Ils ôtèrent leurs chaussures et leurs chaussettes, retroussèrent leurs manches, coiffèrent des bonnets en laine. Ils se rincèrent les mains avec l’eau du bidon, mouillèrent leurs visages, leurs têtes, leurs bras jusqu’aux coudes et enfin leurs pieds.

Ryan les regarda dérouler leurs tapis par terre, et, debout, les mains levées vers les cieux, entonner un chant. Il avait assisté à ce rituel en Libye quand il était jeune soldat. Là-bas, quand il n’y avait pas d’eau, les ablutions se faisaient avec du sable.

Il écouta les voix monocordes qui priaient. À l’horizon, un rayonnement orangé dissipait la nuit.

Un froid vif avait envahi l’air quand la voiture de tête s’arrêta sur le bord de la route. Son conducteur agita le bras pendant que le fourgon Citroën le doublait. Hussein répondit par un signe de la main et ils entrèrent en France.

La brume voilait les flancs des montagnes tout autour. Ryan n’avait pas vu d’autre voiture depuis le dernier village qu’ils avaient traversé. Çà et là, entre les chalets épars et les bâtiments de ferme, des chèvres et des vaches les avaient regardés passer. Enfin un véhicule apparut plus loin, roulant lentement, de sorte que Hussein le rattrapa.