« Reculez-vous. » Vandenberg brandit le pied-de-biche, dans l’intention manifeste d’assommer son adversaire.
« Pour la dernière fois, dit Ryan. Lâchez ça. »
Vandenberg balança le pied-de-biche. Ryan leva le bras gauche pour se protéger. Il entendit le bruissement de l’air contre son oreille. Attrapant Vandenberg par le poignet, il le déséquilibra et lui fracassa la mâchoire de son poing droit. Le marin s’écroula sur le pont.
Ryan se pencha et ramassa le pied-de-biche de la main droite. Vandenberg partit à quatre pattes vers la cabine, soufflant et haletant. Ryan le suivit. À la porte, Vandenberg se mit debout, trébucha et s’élança pour chercher quelque chose sous la radio.
Ryan lui abattit la barre de métal sur la main. Il sentit les os craquer sous la violence de l’impact, vit un petit pistolet tomber par terre.
Vandenberg hurla et s’effondra à genoux tandis que Ryan donnait un coup de pied dans le pistolet. Le marin se recroquevilla sur lui-même, serrant sa main écrasée contre sa poitrine.
Ryan appuya l’extrémité du pied-de-biche sur sa mâchoire. Vandenberg le regarda en papillotant des yeux. Il respirait difficilement entre ses dents gâtées.
« Ça suffit, dit Ryan. Maintenant, faites ce pour quoi vous êtes payé. »
Le ciel s’éclaircissait à l’horizon et les étoiles pâlissaient, éclipsées par d’épais nuages. Ryan crut distinguer une vague bande de terre sombre au loin, mais il n’en était pas certain.
Vandenberg ralentit, puis coupa le moteur. Il manœuvrait d’une main, tenant l’autre contre sa poitrine dans une écharpe improvisée. Debout sur le pont, Ryan le vit vérifier ses instruments et ses cartes avant de sortir.
« C’est là, dit Vandenberg. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Ryan s’appuya contre les caisses. « On attend. »
Une infinie lassitude se répandait dans ses membres. Le monde semblait plus silencieux, jusqu’au clapotis de l’eau étouffé par le calme uniformément gris tout autour. Vandenberg posa une lampe à pétrole à une extrémité du bateau, une lanterne à piles de l’autre côté. Ryan luttait pour garder les yeux ouverts et dodelinait de la tête, ballotté par la douce respiration de la mer.
Son esprit dérivait, flottant entre des images de lèvres brillantes et de poignets minces parsemés de taches de rousseur, quand Vandenberg dit : « Ils arrivent. »
66
La main de Ryan sortit le pistolet enfoui dans la poche de sa veste. Parcourant des yeux l’espace gris tout autour, il repéra le bateau, au nord-ouest, qui approchait en décrivant un arc de cercle.
Un trait d’écume blanche marquait le sillage de la vedette, de couleur identique, dont on entendait le puissant moteur par-dessus le bruit des vagues. Ryan distingua la silhouette d’un homme à la barre. Il l’observa longuement, jusqu’à ce qu’il soit sûr que c’était Carter.
Ryan jeta un coup d’œil à sa montre. Sept heures trente-cinq. Il se rappela ses pensées de la veille, le fait qu’il ne pouvait pas se projeter au-delà de ce rendez-vous. Une angoisse sourde lui rongeait les tripes. Il remit la main dans la poche de sa veste, éprouva la dureté du pistolet, la courbe de la détente.
Le bruit du moteur décrut, la vedette ralentissait. Par la fenêtre de la cabine, un homme qui ne pouvait être que Goren Weiss.
Ryan se tourna vers Vandenberg, qui regardait la vedette avec des yeux pleins d’inquiétude. Le marin se frotta les lèvres de sa main valide. Il remarqua l’attention de Ryan fixée sur lui.
« Qu’est-ce qu’il y a dans ces caisses ? demanda-t-il. Quelque chose pour quoi on serait prêt à tuer ?
— Oui, répondit Ryan.
— Vous avez mon pistolet ?
— Oui.
— Alors, faites gaffe. »
Ryan hocha la tête.
Carter vira à bâbord en contournant le bateau de Vandenberg pour l’aborder par tribord, ralentit encore, manœuvra et se rangea contre lui. Weiss sortit de la cabine, fixa une corde à un taquet, puis lança l’autre extrémité à Ryan. Ce dernier tira, amarrant les deux bateaux l’un à l’autre, et attacha la corde de son côté. Le bateau de pêche de Vandenberg était plus haut que la vedette sur sa ligne de flottaison.
Carter braqua un fusil automatique sur Vandenberg. « Restez là où je peux vous voir. »
Vandenberg leva sa main valide. « Où je me mets ? »
Weiss demanda : « Tout est en ordre ?
— Oui, dit Ryan.
— Qu’est-ce qui est arrivé à sa main ? »
Ryan sentit que la vérité n’apporterait rien de bon à Vandenberg. « Il est tombé.
— Merde, dit Weiss. Reculez.
— Pourquoi ?
— Ne discutez pas, Albert. »
Ryan s’écarta de Vandenberg. Weiss se tourna vers Carter et fit un signe affirmatif.
Une déflagration, et Vandenberg s’écroula.
Ryan ferma les yeux, déglutit, rouvrit les yeux. « Vous n’aviez pas besoin de faire ça. »
Weiss grimpa à bord du bateau de pêche. « Je ne l’aurais pas fait s’il avait eu ses deux mains pour nous aider à charger les caisses.
— Moi aussi, quand je ne vous serai plus utile, dit Ryan, vous m’abattrez ? »
Weiss rit. « Vraiment, Albert, c’est l’opinion que vous avez de moi ?
— Oui.
— Je suis blessé, sincèrement. Bon allez, au travail. »
Carter abandonna la barre et Weiss commença à lui passer les caisses qu’il transporta l’une après l’autre dans la cabine. Ryan scrutait l’horizon, en partant de la bande de terre, au nord-est, puis côté ouest, puis au sud.
« La voie est libre, dit Weiss. On sillonne les environs depuis une heure. Il n’y a personne. Aidez-moi, bon sang.
— C’est trop facile, dit Ryan.
— Cessez de vous inquiéter, Albert. On est presque au bout de nos peines. Fermez-la plutôt et bougez-moi ces caisses. »
Le ciel bas et gris avait pris une teinte blanc sale quand ils finirent de transborder les caisses.
Carter passa un bidon en métal à Weiss.
« Si j’étais vous, je ne resterais pas là », dit Weiss. Il versa du liquide sur le pont, aspergea les murs de la cabine, le corps de Vandenberg.
Ryan reconnut l’odeur de l’essence. Il grimpa dans la vedette en faisant un écart pour ne pas être arrosé. Weiss le suivit, tenant toujours le bidon. Il détacha la corde du côté bâbord de la vedette et la lança à Carter pour que celui-ci retienne le bateau de Vandenberg.
Weiss tira un mouchoir de sa poche, le mouilla en renversant le bidon, puis l’enfonça dans le goulot. Il alluma ensuite un briquet Zippo, approcha la flamme du mouchoir, tressaillit quand l’éclair bondit et lança le bidon sur l’autre bateau.
L’essence sur le pont s’embrasa avec un bruit étouffé. « Vous feriez mieux de lâcher », dit Weiss à Carter.
Carter jeta la corde et repoussa le bateau de Vandenberg. Les deux bateaux s’étaient écartés de quelques mètres quand le bidon explosa. Carter retourna à la barre et démarra le moteur. Ryan sentit le plancher trembler sous ses semelles. La vedette s’éloigna et prit bientôt de la vitesse.
Ryan regarda la colonne de fumée noire qui s’épaississait en montant à l’assaut du ciel, léchée à sa base par des flammes ternes. Enfin, il y eut la sourde détonation du réservoir. Il reçut un souffle d’air chaud au visage et vit un jaillissement d’étincelles et de bois.
Weiss s’approcha de lui. « Quel effet cela vous fait d’être riche, Albert ? »
Sa main était froide sur l’épaule de Ryan.