Rafferty écarquilla les yeux quand Weiss le saisit par le poignet. Il voulut dégainer son revolver de son autre main, mais les dés étaient jetés pour lui.
72
Le réceptionniste, un homme squelettique d’âge moyen, accueillit Ryan d’un air presque apeuré quand celui-ci s’approcha de l’accueil.
« Vous désirez ?
— Je cherche David Hess, dit Ryan. C’est un de vos clients. »
Le réceptionniste parcourut une à une les pages de son registre. « En effet, Mr. Hess. Mais il est absent depuis quelques jours. Vous voulez lui laisser un message ? »
Ryan lut le numéro de la chambre à côté du nom et du jour de l’arrivée.
« Non, merci », dit-il.
Il se détourna, attendit un peu plus loin qu’un autre client sollicite l’attention du réceptionniste et fila vers l’escalier.
Après avoir jeté un regard autour de lui dans le couloir, Ryan inséra la pointe du tournevis entre la porte et le chambranle au niveau de la serrure. Il appuya de tout son poids sur la poignée de l’outil, plusieurs fois. Le bois se fendilla, puis céda.
La porte s’ouvrit. Ryan pénétra dans la suite, mit le tournevis dans la poche intérieure de sa veste et referma derrière lui.
Un canapé et deux fauteuils, de part et d’autre d’une table basse. Une desserte contre un mur, un secrétaire de l’autre côté. Pas un seul grain de poussière, aucune trace de l’occupant des lieux. Il fit le tour de la pièce, inspecta les tiroirs, souleva les coussins. Rien.
La chambre aussi était d’une propreté immaculée, les couvertures et les draps tirés au cordeau sur le lit.
Ryan alla ouvrir la grande armoire. Un costume enveloppé dans le plastique du teinturier et une demi-douzaine de chemises étaient suspendus sur des cintres. En bas, une boîte en métal. Il la prit et la posa sur le lit.
Sortant à nouveau son tournevis de sa poche, il fit sauter la serrure, puis rangea l’outil. La boîte contenait tout un assortiment de dossiers, de pochettes et de documents en vrac. Il les examina un à un. Il y avait aussi deux passeports, l’un allemand, l’autre américain, au nom de David Hess.
Dans le fond de la boîte, il trouva ce qu’il cherchait : une chemise renfermant les relevés de comptes de Skorzeny. Suivant du doigt les colonnes de chiffres, il nota les transferts de fonds d’un compte à un autre, les intérêts accumulés. Ici, quelques dizaines de milliers disparaissant, là, un approvisionnement de cent mille.
Ryan plia les documents, les glissa dans sa poche, ferma la boîte et la replaça dans l’armoire. Il avait les jambes et les bras endoloris quand il gagna la porte de la chambre pour retourner au salon.
Goren Weiss se tenait au milieu de la pièce, un revolver à la main, canon pointé vers le sol.
« Qu’est-ce que vous faites ici, Albert ? » demanda-t-il.
73
Weiss tenait le revolver le long de sa jambe. Inutile de faire du grabuge. Pas encore.
Ryan resta impassible. « Je venais chercher les documents dont vous m’avez parlé.
— Vous les avez trouvés ? »
Ryan glissa lentement sa main droite dans la poche de sa veste. « Oui.
— Laissez tomber, dit Weiss. Ils ne me servent plus à rien maintenant. Vous allez essayer de coincer Skorzeny ? »
Ryan retira sa main. « Peut-être.
— Bonne chance », dit Weiss.
Toujours debout sur le seuil de la chambre, Ryan ne répondit pas.
« Mais vous avez autre chose à me donner », reprit Weiss. Il avança d’un pas, le revolver toujours plaqué le long du corps.
Ryan se raidit. « Quoi ?
— On vous a remis une sacoche. Que contenait-elle ?
— Je crois que vous le savez.
— Exact. Où est-elle ? »
Ryan secoua la tête. « Elle n’est pas ici. »
Weiss rit. Il leva le revolver et visa Ryan en plein cœur. « Je m’en doute bien, Albert. Je ne vous demande pas où elle n’est pas. Je vous demande où elle est. Ce n’est pas le moment de jouer les imbéciles, mon ami.
— Elle n’est pas ici. » Ryan écarta les bras. « Je ne l’ai pas. »
Weiss fit deux pas en avant. La gueule de l’arme n’était plus qu’à trente centimètres de la poitrine de Ryan. Il arma le chien.
« Il me faut cette sacoche, Albert. Combien y avait-il à l’intérieur, à votre avis ? Assez pour couvrir le plomb dans les caisses. Quinze, seize mille, j’imagine. Qu’est-ce que vous en pensez ?
— Je ne sais pas.
— Je suis un homme mort sans cette sacoche, Albert. Mes supérieurs savent ce que j’ai fait. Ils me pinceront pour trahison. Je dois m’enfuir, et pour ça, j’ai besoin de cet or. Si je vous explique combien c’est important pour moi, Albert, c’est pour que vous compreniez que je ne renoncerai pas. Alors, dites-moi où elle est.
— Non », dit Ryan.
Encore un pas, le viseur de l’arme aligné sur le front de Ryan. Presque à le toucher.
« Je parie qu’elle est dans votre chambre au Buswells. Je me trompe ? Elle est là-bas avec votre copine, la rousse. S’il le faut, je vous mettrai une balle dans le cerveau. Ensuite, j’irai à votre hôtel, je monterai dans votre chambre et je la lui prendrai. Et vous savez que je ne pourrai pas la laisser en vie. Ne m’obligez pas à faire ça, Albert. S’il vous plaît. »
Ryan fit un pas de côté en s’abritant le visage de sa main gauche, le bras droit toujours écarté.
« Je ne peux pas vous obliger à quoi que ce soit, dit-il. Si vous appuyez sur la détente, ce sera votre propre choix.
— Allez au diable, Albert. » Weiss pressa plus fort sur la détente. Un millimètre de plus et le coup partirait. « Allez au d… »
Un geste infime de Ryan, à peine une tape sur le poignet de Weiss, et la balle, déviée, se ficha dans le mur.
Et la brûlure, la douleur déchirante dans le ventre de Weiss.
Tandis que ses jambes se vidaient de toute force, il baissa les yeux et vit le tournevis dans la main de Ryan. Si son esprit avait été plus rapide, il aurait pu encore lui tirer une balle dans la tête, mais la pointe du tournevis le transperça à nouveau, plus haut cette fois, sous le sternum.
Weiss s’effondra à genoux, les mains crispées sur son abdomen et sur la chaude coulée qui l’inondait. Le revolver tomba par terre, inutile, hors d’atteinte. Ses jambes ne le soutenaient plus, il roula sur le flanc.
Ryan recula. Il alla à la fenêtre et essuya l’extrémité du tournevis sur le rideau avant de le ranger dans sa poche.
« Albert », dit Weiss.
En chemin vers la porte, Ryan s’arrêta.
« Appelez un médecin. S’il vous plaît, Albert. »
Ryan revint vers lui. Il s’immobilisa au bord de la flaque rouge qui s’étalait sur la moquette et s’accroupit.
« Vous les avez laissé me torturer, dit-il. Vous avez regardé sans rien faire.
— Albert. » Weiss voulut parler encore, mais les mots se perdaient dans la tempête qui se déchaînait derrière ses yeux. Sa tête devenue trop lourde retomba sur le tapis.
Il regarda Ryan remettre de l’ordre dans ses vêtements, puis sortir de la chambre et fermer la porte.
74
Personne ne vit Ryan quitter la chambre de Weiss, personne ne s’aventura dans le couloir en entendant le coup de feu. Dehors, il longea le parc de St Stephen’s Green, les oreilles encore emplies du bruit de la détonation, jeta le tournevis dans la première poubelle venue.