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Elle coupa la communication et mit le téléphone dans sa poche. Le chien se dressa sur ses pattes.

- Viens, Kajsa.

Elle traversa la rue, suivie par le chien. Sibylla demeura sur place, perplexe.

- Ne descendez pas vers les jardins. Sibylla eut un petit sourire.

- Ah bon, pourquoi?

- Ça grouille de flics, là-bas. Seulement on ne les voit pas avant de se retrouver avec un pistolet braqué sur la tempe. Je ne sais pas ce qu'ils font. Mais c'est un véritable scandale.

Sibylla acquiesça de la tête.

- Merci. Je crois que je vais aller ailleurs, alors.

La femme et le chien poursuivirent leur chemin et Sibylla poussa un gros soupir de soulagement.

Uno Hjelm avait fait son petit boulot de judas, le salaud.

Il fallait qu'elle quitte le secteur, et vite.

Combien de temps tiendrait-elle?

Survivre était une chose. Elle en avait l'habitude. Mais fuir, se terrer.

Elle pressa le pas, s'imaginant qu'ils l'avaient déjà repérée et qu'ils étaient sur ses talons.

Comment Hjelm avait-il pu savoir que c'était elle? Il ne pouvait pas l'avoir reconnue d'après la photo des journaux. C'était impossible. Ou alors elle était perdue. Elle ne serait en sécurité nulle part.

Il fallait absolument qu'elle change de coiffure.

Elle approchait du boulevard circulaire et il y avait maintenant beaucoup de monde. Elle fit de son mieux pour disparaître dans la foule.

Est-ce que les gens ne la regardaient pas d'une façon bizarre? Lui, là, cet homme qui arrivait en face d'elle. Pourquoi la fixait-il comme cela? Son cœur se mit à battre. Elle baissa les yeux. L'homme passa à côté d'elle sans rien dire.

Et qui la croirait, si elle disait la vérité? Mais peut-être parviendraient-ils à comprendre qu'elle désirait dormir dans un vrai lit, une fois de temps en temps. Et puis elle avait l'intention de s'acquitter. Plus tard, bien sûr, mais elle le ferait. Il se trouvait seulement qu'elle avait perdu son portefeuille. Et c'était vrai.

La bouche de métro grouillait de monde.

Elle passa sans s'arrêter.

Mais où aller?

Parvenue dans Renstiernasgata, elle monta l'escalier menant au parc de Vitaberg. L'église Sainte-Sophie se dressa au-dessus d'elle comme une citadelle, puissante et sûre. Elle était fatiguée et eut l'idée d'aller s'y asseoir un moment. Elle se retourna pour s'assurer que l'allée descendant vers la rue était déserte et que personne ne la suivait.

Un silence total régnait dans l'église. Un homme était assis dans une cabine en verre, à droite de l'entrée, et il la salua gravement de la tête. Elle lui répondit de la même façon et ôta son sac à dos.

Un homme portant une queue-de-cheval était assis sur l'un des bancs, en dessous de la chaire, mais, à cette exception près, l'église était vide. Elle le reconnut d'ailleurs pour l'avoir vu une ou deux fois à la Mission évangélique. Il dormait, le menton contre la poitrine.

Elle posa son sac sur le banc situé au fond de l'église et ferma les yeux.

Le calme. Son seul désir.

L'homme dans la cabine se mit à tousser et l'écho s'en répercuta dans tout le bâtiment. Puis le silence s'abattit de nouveau.

Dieu entend les prières, était-il marqué sur une affiche apposée à l'entrée.

Elle ouvrit les yeux et regarda le grand retable, devant le chœur. Au cours des siècles, une quantité considérable d'êtres humains avaient remis leur destin entre Ses mains, ils avaient construit ces immenses églises et Lui avaient adressé leurs prières. Elle avait fait de même, étant petite. Chaque soir la même prière demandant à Dieu de protéger les petits enfants et de ne pas faire mourir leur père et leur mère. Peut-être l'avait-Il entendue, d'ailleurs? Après tout, elle était encore en vie et en bonne santé. Mais Il ne l'avait guère protégée, pourtant. Peut-être était-Il du côté des autres?

Les autres. Ceux qui avaient trouvé leur place dans la société.

Mais celui qu'on appelait le Chef de gare, cet homme qui, après quatre tentatives manquées d'empoisonnement, s'était jeté du haut d'un pont, le mois dernier. Ses prières, à lui, qu'en était-il advenu? Ou encore Lena, cette femme qui faisait le tour de la ville à bord de l'autobus de l'Armée du Salut pour distribuer du café chaud et qui avait soudain appris qu'elle avait une tumeur inopérable au cerveau: qu'est-ce qu'elle avait fait pour mériter cela? Ou encore Tova, Jönsson ou Smirre? Ils étaient tous morts, après avoir vécu un enfer pendant des années, sans que leurs prières aient été entendues.

Alors quoi, Dieu?

Et Jörgen Grundberg? Quoi que Tu aies eu à lui reprocher, Tu n'avais pas besoin de me mêler à cela, hein?

À moins que Tu ne veuilles me punir, moi aussi? Dans ce cas, QUAND EST-CE que Tu en auras terminé?

Elle se leva et hissa le sac sur son dos. Ce n'était pas là qu'elle trouverait la paix.

Sans un regard pour l'homme dans sa cabine de verre, elle quitta l'église.

Quand elle se retrouva à l'extérieur, le soleil avait commencé à se coucher. Elle fit un pas de plus pour voir l'horloge. Cinq heures et quart.

Cette nuit, elle voulait vraiment dormir dans un lit. Mais l'hôtel était trop risqué et elle n'osait pas se rendre dans une institution de charité. Il n'y avait jamais assez de place pour tout le monde et, si quelqu'un se voyait refuser l'entrée au profit de quelqu'un d'autre, il pouvait toujours aller trouver les flics - échange de bons procédés.

Elle posa la main sur la pochette contenant son argent. Pour la première fois depuis qu'elle avait pris sa décision, elle fut tentée de procéder à un prélèvement et de s'offrir une bonne cuite, afin d'oublier pendant un moment.

Toute cette merde, bon sang.

Elle prit le raccourci pour regagner Skanegatan. Au bout d'une dizaine de mètres, elle passa devant une porte de couleur verte qui s'ouvrait dans une palissade passée au rouge de Falun. Un monument historique. À droite de cette porte on voyait le pignon, de couleur brune, d'une petite maison en bois en assez mauvais état. Elle s'arrêta. Il y avait une ouverture au niveau du sol, sur le pignon, mais celle-ci avait été bouchée à l'aide de planches. En revanche, celle qui se trouvait un mètre plus haut était simplement fermée à l'aide d'une cheville en bois.

Elle regarda autour d'elle.

Le parc était désert.

Elle ôta rapidement son sac à dos, ouvrit le panneau de bois et se glissa à l'intérieur.

Les jeudis nous appartenaient. Ces jours-là, il venait me retrouver. Il suffit que je ferme les yeux pour le voir devant moi, ouvrir la barrière et remonter l'allée. La chaleur dans ma poitrine. Il faisait attention à essuyer ses pieds sur le paillasson. Puis il était là. Avec ses bras puissants. Ce n'était pas un péché, Seigneur, c'était de l'amour, le genre d'amour que Tu nous as enseigné. Je Te remercie de m'avoir permis de le connaître.

Je faisais toujours le ménage, avant qu'il vienne. Je voulais qu'il sente à quel point j'attendais sa visite. Chaque fois j'espérais qu'il resterait pour de bon, mais, à quatre heures au plus tard, il était forcé de partir. Je savais alors que j'avais sept longues journées et sept longues nuits à attendre avant de le revoir. Et maintenant une vie entière.

Pourtant, je Te remercie, Seigneur, de me montrer le chemin. De m'avoir prouvé que je pouvais l'aider à parvenir dans Ton royaume. Ainsi, je sais qu'il m'attend, là-haut. Merci, Seigneur, de m'avoir permis d'être à Ton service et de faire en sorte que je sois en mesure de redresser les erreurs et les injustices des êtres humains.

Je vous annonce une grande nouvelle: nous ne nous endormirons pas pour l'éternité, nous serons tous métamorphosés, en un instant, lorsque retentira la dernière trompette. Car elle retentira et alors les morts ressusciteront sous une forme impérissable. Car ce qui est périssable doit se revêtir de l'impérissable et la mort se muer en immortalité.