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Peut-être avait-il été sensible à un accent de sincérité dans sa voix, car il arbora soudain un air sérieux.

- Tu t'es payé une nuit à l'œil, quoi? Elle opina.

- Et c'est ce type qu'a casqué? demanda-t-il en montrant le journal.

Nouveau hochement de tête.

- Sacré manque de pot. Et Västervik, alors?

Elle renversa la tête en arrière et ferma les yeux.

- Ça, j'en ai pas la moindre idée. J'ai jamais mis les pieds là-bas de ma vie. Je comprends pas ce qui se passe.

Elle le regarda à nouveau en secouant la tête.

- Sale coup.

- Ça, tu peux te le dire.

Il se gratta la barbe et secoua à nouveau la tête.

- Bon. De quoi est-ce que t'as besoin?

- Le fric de ma mère. J'ose pas aller à ma boîte postale.

Ils se regardèrent par-dessus la table. Il était au courant de cette affaire de mensualités. Et, pendant le temps qu'ils avaient vécu ensemble, il avait même contribué à les convertir jusqu'au dernier centime en produits liquides. Il se leva pour aller chercher le café et, en revenant, prit une tasse au passage. Elle n'avait plus d'anse et semblait ne pas avoir été lavée depuis la première fois qu'elle avait servi.

- T'as bouffé quelque chose, aujourd'hui?

- Non.

- Y a du pain et de la pâte à tartiner dans le frigo.

Elle se leva pour aller les chercher. Elle n'avait plus très faim mais il aurait été stupide de ne pas profiter de l'occasion. Quand elle regagna la table, il avait servi le café. Il se gratta à nouveau la barbe tandis qu'elle posait le morceau de pain et le tube de pâte.

- Je te demanderais pas ça si je pouvais faire autrement. Mais, sans ce fric, je m'en tirerai jamais.

- D'accord, dit-il en hochant la tête. Avant de continuer, il but une gorgée de café.

- Bon, je vais aller voir ce que je peux faire. Entre vieux copains...

Ils s'observèrent à nouveau. Tant qu'il serait sobre, elle pourrait compter sur lui. Et ils n'étaient pas tellement nombreux, les gens dans ce cas-là.

Mais, s'il se mettait à boire, il faudrait qu'elle y passe.

Entre vieux copains...

Aussitôt sortie de la salle, elle avait pris le chemin de l'association de Micke. Personne ne l'en avait empêchée. Sa mère devait être en train d'essayer de sauver les meubles de sa si précieuse soirée.

Elle n'avait pas mis de manteau et il faisait froid. Mais ce n'était pas grave. De légers flocons tombaient du ciel tels des confettis et elle renversa la tête pour tenter d'en gober au vol.

Elle se sentait très bien, maintenant. Toute inquiétude avait disparu. Rien n'avait plus d'importance. Elle allait retrouver Micke, rien d'autre ne comptait.

Sur le chemin, des gens en blanc lui firent des signes. Comme dans le film qu'elle avait vu à la télé le samedi précédent. Elle marchait dans un halo de lumière, un cône qui tombait du ciel et la suivait partout. Elle répondit aux signes que lui faisaient ces gens en fête et se mit à danser au milieu des flocons de neige.

La De Soto était parquée devant le garage. L'idée que Micke puisse ne pas être là ne l'avait même pas effleurée.

Maintenant, c'était elle qui contrôlait la situation.

Bien sûr qu'il était là.

Elle s'inclina devant le public qui l'avait suivie, ouvrit la porte et entra. Elle perçut aussitôt cette odeur d'huile de moteur qu'elle aimait tant et sentit la joie se répandre dans son corps.

- Micke!

Le cône de lumière la suivait toujours. Quelque chose bougea derrière les piles de pneus et elle n'eut pas le temps de s'en approcher avant que la tête de Micke ne fasse son apparition.

- Salut... Qu'est-ce que tu fais là?

Elle eut l'impression qu'il n'était pas très content de la voir et même plutôt contrarié.

- Je suis venue, dit-elle avec un sourire.

Il baissa les yeux vers quelque chose qui se trouvait hors de son champ de vision et elle eut l'impression qu'il rajustait, son pantalon.

- Euh, c'est pas vraiment le moment, tu vois. Tu peux pas revenir demain?

Demain? Pourquoi ça?

Elle avança de quelques pas. Sur le sol, derrière les pneus, était étalée la couverture à carreaux. Et, sous la couverture, était couchée Maria Johansson.

Le cône de lumière s'éteignit.

Tout entier à elle, toute entière à lui.

Rien qu'eux deux, enchaînés pour toujours l'un à l'autre.

N'importe quoi pour une seconde de ce sentiment d'intimité.

N'importe quoi.

Elle le regarda. Son visage avait disparu. Elle s'éloigna à reculons.

- Sibylla...

Elle se cogna le dos contre le mur. La porte, sur la droite. La poignée à abaisser.

Les gens en fête étaient partis et l'avaient laissée seule. Devant elle se trouvait la De Soto Firedome et ses 305 chevaux. Pas plus de quatre pas à faire, la porte n'était pas fermée à clé.

Partir de là, vite, très vite.

Elle était seule sur le bateau depuis près de deux heures, quand il revint. Elle avait passé son temps à errer comme une âme en peine, dans la coque de ce rafiot, oscillant entre la confiance et l'inquiétude, l'espoir et le désespoir.

Et s'ils surveillaient la boîte postale? Thomas saurait-il se montrer suffisamment prudent pour éviter de les amener droit vers l'endroit où elle se cachait?

Mais il n'était pas né de la dernière pluie, lui non plus. Bien sûr qu'il ferait ce qu'il fallait.

Et s'ils l'avaient arrêté? Etait-ce pour cette raison qu'il tardait tant?

Chacune des fibres de son corps attendait le bruit de ses pas et pourtant elle fut prise de panique en les entendant résonner sur le pont, au-dessus de sa tête.

Puis l'écoutille s'ouvrit.

Elle alla se dissimuler derrière la scie mécanique et ferma les yeux. Elle était prise au piège, comme dans une souricière.

Les salauds.

Mais il était seul. Il descendit l'échelle en la cherchant du regard.

- Sibylla?

Elle sortit de sa cachette.

- Pourquoi est-ce que t'as mis aussi longtemps?

Il s'avança vers la machine à café, qui était toujours allumée. Il jeta dans la corbeille à papier la goutte qui restait au fond de la tasse.

- J'ai voulu m'assurer que j'étais pas suivi.

- Et alors?

Il secoua la tête et se versa un peu de café.

- Non. Tout paraissait normal, là-bas.

Il lui tendit la cafetière sans même lui poser la question, mais elle secoua la tête. Il prit une profonde respiration qui ressemblait à s'y méprendre à un soupir et dit:

- Mais l'argent était pas là.

Elle le dévisagea, incrédule. Il reposa la cafetière.

- Qu'est-ce que tu veux dire, bon sang?

Il écarta les bras.

- La boîte était vide.

C'était sûrement un mensonge.

Pendant quinze ans, une somme de mille cinq cents couronnes avait atterri dans sa boîte postale au plus tard le 23 de chaque mois. Elle se retourna et le regarda.

- Salaud! Et moi qu'avais confiance en toi!

Ce fut à son tour d'avoir l'air incrédule.

- Qu'est-ce que tu veux dire, au juste?

Elle reconnut son regard. C'était celui qu'il avait quand il se mettait en colère, une fois ivre. Mais elle n'avait plus la force d'avoir peur.

- Il est à moi, ce fric. Il me le faut absolument!

Il se contenta d'abord de la regarder sans bouger. Puis il jeta contre la paroi la tasse de café à moitié pleine, qui fit tomber divers outils et laissa derrière elle une tache noire.

Le bruit la fit sursauter mais elle ne le lâcha pas du regard. Il prit une profonde respiration, comme s'il tentait de se concentrer, et alla regarder à l'extérieur par l'un des hublots. Puis il se mit à lui parler, le dos tourné.

- Je sais que j'ai fait des choses qu'étaient pas toujours très réglo. Mais, si tu m'accuses de t'avoir piqué ton fric, tu te fourres le doigt dans l'œil.