Elle se sentit un peu mieux. Elle avait repris le commandement des opérations.
Ils passèrent devant un hangar à bateaux vide, puis un parking sur lequel des embarcations tirées au sec attendaient l'arrivée du printemps, recouvertes de bâches et de housses en plastique. Puis ils pénétrèrent à nouveau dans la forêt et, au bout d'environ un kilomètre, le paysage s'ouvrit en direction de l'eau, sur leur gauche. À l'ouest, le soleil était en train de disparaître et coloriait le ciel en rose.
- C'est à la ferme que vous allez?
Le chauffeur désigna de la tête un groupe de maisons. Sibylla regarda Patrik qui, lui, observait le paysage par la fenêtre. Il était clair qu'il n'avait pas l'intention de lui apporter la moindre aide. Elle se pencha vers le conducteur du taxi.
- Je ne sais pas exactement. Nous allons voir Gunvor Strömberg. Il paraît qu'elle a une maison de campagne ici.
- Je ne sais pas, moi, maugréa-t-il. Vous n'avez pas d'adresse plus précise?
Il franchit lentement les piliers d'entrée d'une propriété et, après un brusque virage vers la droite, une petite maison rouge apparut. Le compteur affichait 260 couronnes.
Sibylla avala sa salive et préleva un nouveau billet sur sa réserve. Patrik l'observait du coin de l'œil, mais elle ne croisa pas son regard.
- Arrêtez-vous ici.
Le chauffeur se rangea de son mieux et ils descendirent de voiture. Il la laissa prendre elle-même son sac à dos dans le coffre. Elle n'avait pas cru bon de laisser de pourboire.
La voiture alla faire demi-tour un peu plus loin. Quand elle disparut derrière le virage, Sibylla s'avisa qu'ils n'avaient rien prévu pour le retour. Elle poussa un soupir, hissa le sac sur ses épaules et se retourna. Devant eux se trouvait une barrière, assez large pour laisser passer une voiture, et l'une des bornes portait une boîte aux lettres verte en métal.
Strömberg.
Elle se retourna et regarda Patrik.
- C'est là. Au bord de l'eau.
- Ahah, fit-il.
- Tu vas continuer longtemps à me faire la tête?
Il ne répondit pas mais avança vers elle.
Une fois la barrière franchie, l'allée descendait et, au bout de quelques mètres, ils virent le toit et l'arrière d'une maison. Ils en étaient séparés par un gros buisson, dont ils durent faire le tour. Sibylla marchait en tête et Patrik derrière. Une fois le buisson contourné, ils se retrouvèrent au bord de l'eau. Devant eux, un ponton s'avançait dans l'eau.
La vue était magnifique. Comment pouvait-on être assassiné dans un endroit pareil?
- Vous désirez?
Sibylla se retourna rapidement et vit une femme, un peu au-dessus d'eux, sous le balcon de la maison dont ils avaient vu l'arrière.
Elle chercha quelque chose d'intelligent à dire. Patrik ne comptait pas s'en mêler, elle le vit sur son visage quand elle se tourna vers lui. Cette fois, il lui faudrait se débrouiller seule.
La femme posa le râteau qu'elle tenait à la main et avança vers eux. Patrik, lui, se dirigea vers le ponton. Sibylla avala sa salive et fit quelques pas vers la femme. Elle avait dans les soixante-cinq ans et boitait un peu. Elle resta un instant sans rien dire, tandis que Sibylla sentait son cœur battre la chamade.
- Vous êtes intéressés par l'achat de la maison?
Magnifique.
- Oui, c'est ça.
Sibylla eut un sourire de gratitude. Bien sûr qu'ils voulaient acheter la maison.
- Ah bon, dit la femme avec un sourire. Excusez-moi d'être méfiante, mais il y a tellement de curieux qui viennent rôder par ici.
Elle se racla la gorge, puis il y eut un instant de silence.
- Vous avez de la chance de me trouver. L'agence ne m'a pas prévenue.
- Non, nous passions par hasard.
La femme ôta ses gants de jardin et lui tendit la main.
- Gunvor. Gunvor Strömberg.
Sibylla hésita un moment avant de répondre:
- Margareta Lundgren.
Elle prit la main de la femme. Celle-ci était moite, après le temps passé dans le gant en caoutchouc.
- C'est votre fils, je suppose?
Sibylla suivit son regard et vit le dos de Patrik.
- Oui, se hâta-t-elle de répondre. C'est ça.
Patrik s'était mis à faire des ricochets. Sibylla, elle, avait le cœur qui battait. Elle se demandait à quel point elle avait pu le vexer pour qu'il se comporte de la sorte. Peut-être allait-il même tenter de lui faire payer cela?
- Ce ponton ne nous appartient pas, mais nous avons un droit d'usage, c'est marqué dans l'acte de propriété. Mais, le plus souvent, on était seuls à s'en servir.
Elle se tut et regarda vers le large. Puis elle reprit ses esprits.
- Je suppose que vous voulez voir l'intérieur?
- Eh bien oui, merci, répondit Sibylla avec un sourire.
- Et lui, ça l'intéresse? demanda-t-elle en montrant de la tête Patrik, toujours en train de jeter des pierres.
- Patrik, est-ce que tu veux voir l'intérieur de la maison? cria-t-elle.
Il ne se pressa pas et jeta une nouvelle pierre avant de se retourner. Gunvor Strömberg regarda Sibylla avec un sourire.
- C'est l'âge difficile. Je sais ce que c'est. On n'y peut rien, malheureusement.
Sibylla s'efforça de montrer, en souriant, qu'elle partageait cette opinion. Mais en se disant intérieurement que, âge difficile ou pas, il allait en entendre parler, après.
La femme remonta l'allée et Sibylla attendit Patrik, qui arrivait sans se presser. Quand il fut à sa hauteur, elle lui siffla à l'oreille:
- Arrête de faire l'imbécile. Elle croit qu'on veut acheter la maison.
Il la regarda en haussant les sourcils.
- Eh bien, achète-la. Puisque t'as de l'argent.
Il passa alors devant elle.
C'était étrange. C'était la deuxième fois en l'espace d'une semaine que deux personnes étaient déçues de constater qu'elle avait de l'argent. Comment était-ce possible?
Gunvor Strömberg était déjà sur le pas de la porte et Sibylla pressa le pas pour la rejoindre. Patrik tendit la main et se présenta poliment et correctement.
- Entrez et allez regarder. Je vous attends ici.
Ils échangèrent un regard, puis montèrent le petit perron de pierre et ouvrirent la porte.
- Ce n'est pas bien grand, mais il y a à peu près tout ce dont on a besoin, leur lança Gunvor Strömberg. Le chauffe-eau est un peu vieux et il faudra sans doute bientôt le changer.
Sibylla opina de la tête et franchit le seuil.
L'assassin avait fait de même, peu auparavant.
Elle regarda autour d'elle. Au bout de deux pas, elle se retrouva dans une petite cuisine. Tout était bien rangé. C'était une maison où on avait pris ses habitudes et qui en portait la trace. Les chaises de cuisine avaient laissé des marques sur le plancher, après avoir été tirées des centaines de fois. L'émail de la poignée du four était écaillé, lui aussi, pour avoir été saisi année après année par des mains impatientes.
On respirait une légère odeur de peinture.
Patrik s'était enfoncé un peu plus loin et avait ouvert la porte d'une autre pièce. Il se tenait maintenant sur le seuil de celle-ci et lui faisait signe d'approcher.
La chambre était peinte en blanc mais vide de meubles.
Il sortit alors les papiers qu'il avait rangés dans sa poche intérieure, trouva celui qu'il cherchait et le lui tendit.
- C'est ce mur-là, dit-il à voix basse.
Sibylla regarda la photo du lit ensanglanté et lut une nouvelle fois l'inscription que l'assassin avait laissée sur le mur en la signant de son nom.
Elle n'avait qu'un désir: sortir de là.
Gunvor Strömberg s'était éloignée jusque sur le ponton. Elle tournait le dos à la maison et regardait le large. Sibylla hésita une seconde. Patrik sortit et vint se placer à côté d'elle.