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Patrik souriait toujours, derrière ses lunettes cerclées de métal.

- Je vais aller dire ça à ma vieille!

- Tu es fou!

- Pourquoi? On a trouvé le mobile, non?

- Ah oui? Et c'est quoi, selon toi?

Patrik ne sut quoi répondre et son sourire se changea en une ride entre ses sourcils.

- Ah oui, merde.

- Tu l'as dit.

Ils s'assirent sur le tapis de sol. Il faisait froid dans ce grenier et Sibylla tira le sac de couchage sur ses épaules.

- Au fait: ta mère est rentrée? demanda-t-elle en tendant la main pour prendre le sandwich et la bière. Je croyais qu'elle ne revenait que ce soir.

Patrik baissa les yeux.

- Elle s'est sentie pas bien, marmonna-t-il.

Les minutes se traînaient. Il lui avait demandé de venir avec elle, mais elle avait refusé. Elle n'avait pas l'intention de pénétrer à nouveau chez lui. Surtout pas avec sa mère couchée dans la pièce d'à côté.

À son retour, il tenait une liasse de papiers entre ses mains.

- J'ai tiré tout ce que j'ai pu, mais je suis à sec de papier, dit-il en venant s'asseoir près d'elle. Tu veux une banane?

Elle la prit et se mit aussitôt à l'éplucher. Une vraie vie de pacha. Elle n'allait pas tarder à être gâtée.

Elle prit la feuille qui se trouvait sur le dessus du tas:

Dons d'organes - réponses à vos questions

Elle lut de près l'ensemble de cette documentation, dans l'espoir de trouver quelque chose. Patrik s'était allongé sur le tapis de sol et elle avait déniché un vieux fauteuil, dans un compartiment du grenier qui n'était pas fermé à clé.

Comment faire don de ses organes à sa mort?

Cette question figurait en tête de l'une des feuilles de papier. Elle poursuivit sa lecture et comprit que bien des choses s'étaient passées depuis qu'elle s'était mise en marge du système. Elle n'avait rempli aucune fiche de donation, mais cela ne visait peut-être pas les personnes qui n'avaient plus d'existence légale. Elle se demanda ce qui arriverait si elle avait un accident. Personne ne réclamerait sa dépouille. Elle n'avait encore pas pensé à cela. Où enterrait-on les gens comme elle? Les gens dont personne ne voulait. Pouvait-on prélever sur elle toutes les parties de son corps dont la société pouvait avoir besoin? Dans ce cas, elle servirait enfin à quelque chose.

Elle prit connaissance du premier paragraphe de l'alinéa trois de la loi sur les greffes d'organes.

Il est légal de prélever du matériau biologique destiné à une greffe d'organe ou à d'autres fins médicales sur une personne décédée si celle-ci a donné son consentement ou s'il peut être prouvé par d'autres moyens qu'un tel prélèvement n'est pas contraire à ses volontés.

Du matériau biologique. Curieuse expression, quand on y pensait. Elle se demanda quelle idée on se ferait des volontés de Sibylla Forsenström quant à son "matériau biologique", le jour où la question se poserait.

Deuxième paragraphe du même alinéa.

Dans les cas autres que cités au paragraphe précédent, il est légal de prélever du matériau biologique si le défunt ne l'a pas expressément interdit, ne s'y est pas déclaré opposé par principe et s'il n'y a aucune raison de penser que cette intervention serait contraire à ses volontés.

Elle posa le tas de papiers et fixa la cloison de bois en face d'elle. On pouvait donc la dépecer, elle aussi. Le malheur des uns... Elle se demanda l'effet que cela faisait de se promener avec le cœur d'un autre. Et d'être, en plus, obligé de prendre des médicaments pour éviter que votre bon vieux corps ne le rejette. Et les membres de la famille? Quel effet cela leur faisait-il de savoir que le cœur de leur cher disparu battait dans la poitrine d'un inconnu?

- T'as trouvé quelque chose?

La voix de Patrik mit fin à ses réflexions.

- Non. Et toi?

Il ne répondit même pas et elle supposa donc qu'il en allait de même pour lui. Elle reprit la lecture de la loi.

Alinéa quatre.

Même si le matériau biologique peut être légalement prélevé en application du 2e paragraphe de l'alinéa 3, aucune intervention ne pourra être pratiquée si un proche du défunt s'y oppose. En cas d'existence de proches, aucune intervention ne pourra être pratiquée tant que lesdites personnes n'auront pas été informées que l'on envisage de procéder à un tel prélèvement et qu'elles ont le droit de s'y opposer. Ces personnes devront disposer d'un délai raisonnable pour déterminer leur position.

Elle relut ce paragraphe et posa ensuite lentement la feuille de papier. Puis elle se leva, resta immobile et laissa travailler son cerveau.

Elle le ressentait dans tout son corps.

Malheur à qui prive l'innocent de son droit.

- Patrik!

- Mmouais.

- J'ai trouvé.

Elle entendit un bruit de papier, de l'autre côté de la cloison et, une seconde après, il se tenait dans l'embrasure de la porte.

- Quoi donc? Comment tu peux savoir?

Mais elle était sûre d'elle.

- C'est quelqu'un qui a changé d'avis.

Comme elle avait désiré le faire, un jour, il y avait longtemps de cela. Mais on ne le lui avait pas permis.

Malheur à qui prive l'innocent de son droit.

Son droit de vivre. Ou de mourir.

- Ou alors, c'est quelqu'un à qui on ne le lui a jamais demandé.

Patrik était redescendu à son ordinateur. Pour sa part, elle faisait les cent pas dans le couloir du grenier pour passer le temps.

Le donateur avait dû mourir le 15 mars 1998 ou juste avant. Mais qui était-ce? Un homme ou une femme?

S'il existait un registre de ce genre, dans ce monde secret auquel Patrik avait accès par son ordinateur, il allait le trouver. Elle en était certaine. Et pourquoi n'existerait-il pas? Puisque tout le reste existait.

Pourvu qu'il ne dise rien à sa mère. Elle le lui avait formellement interdit et avait ajouté qu'elle préférait rester le suspect numéro un. Et elle était bien décidée à résoudre le problème elle-même.

Elle se demandait si la police était sur la même piste qu'elle. Mais pourquoi le serait-elle? Elle croyait déjà tenir l'assassin!

Lorsque Patrik revint, il n'apportait pas de bonnes nouvelles. Il n'existait aucun registre public des personnes décédées. Uniquement des statistiques sur le nombre de décès au cours de l'année. Il y en avait eu 93271, en tout, et cela ne les avançait pas à grand-chose de le savoir.

- J'ai vérifié à la fois dans la rubrique État civil et dans Statistiques nationales. Mais j'ai rien trouvé. Il faut l'autorisation de la commission Informatique et Liberté.

Sa déception le faisait paraître à nouveau très jeune. Sibylla le regarda et ne put s'empêcher de sourire.

- T'es plutôt futé, pour tes quinze ans.

- Bah.

Il se détourna, mais elle avait eu le temps de voir qu'il rougissait.

Ils ne dirent rien pendant un moment.

Ce n'était pas chose facile que de traquer un assassin, quand on était obligé de se cacher dans un grenier.

- Bon sang, finit-elle par dire. Il faudrait pouvoir consulter le fichier des dons d'organes.

- Qu'est-ce que c'est que ça?

Elle en savait plus long que lui sur ce point. Même si ces connaissances étaient de fraîche date, cela lui redonna une certaine estime d'elle-même. Elle n'était pas aussi bête qu'il le pensait peut-être. Elle n'était pas une pauvre fille qu'il pourrait sauver en jouant les héros. Elle avait le double de son âge et entendait bien le lui rappeler.