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Il y avait de la colère dans sa voix. Elle baissa le regard vers ses mains. Si elle parvenait à dissimuler la chaîne qui les reliait, on pourrait croire qu'elle portait deux bracelets en argent.

L'homme qui s'appelait Roger posa quelque chose sur la table.

- Pourquoi transportais-tu ça dans la poche de ta veste?

Elle leva les yeux et vit que c'était le crucifix. Il était posé devant elle dans une pochette en plastique.

- C'est lui qui me l'a donné, dit-elle à voix basse. Il avait l'intention de me tuer.

- Pourquoi donc?

- Pour faire retomber la culpabilité sur moi.

- La culpabilité de quoi?

Elle poussa un soupir.

- Il avait une liaison avec Rune Hedlund.

Roger Larsson eut un sursaut presque imperceptible.

- Avec qui?

- Rune Hedlund. Il est mort dans un accident de voiture le quinze mars de l'année dernière.

Les deux hommes se regardèrent. Ils ne dirent rien mais elle n'eut aucune difficulté à interpréter ce regard. Ils avaient devant eux une folle. Peut-être n'avaient-ils pas tort, après tout.

Lune ou pas, Dieu n'avait jamais été de son côté.

- Demandez à Patrik. Il sait que ce n'est pas moi.

- Qui ça, Patrik?

- Pat...

Comment s'appelait-il déjà? Elle avait lu son nom sur sa porte, au passage, mais ce souvenir s'était effacé de sa mémoire, pour l'instant.

- Sa mère est dans la police. Elle habite Sagargatan, dans le quartier de Söder.

- Tu veux dire: à Stockholm?

On frappa de nouveau à la porte et la femme apporta un nouveau document. Deux têtes curieuses passèrent par l'ouverture de la porte. L'homme qui s'appelait Roger lut et hocha la tête. Puis il regarda la pendule.

- Fin de l'interrogatoire à neuf heures trois. Sibylla ferma les yeux.

- Nous sommes obligés de nous interrompre. Veux-tu attendre ici ou en cellule?

Elle le regarda: quelle différence?

- Est-ce qu'il y a un lit, dans la cellule? finit-elle par demander, infiniment lasse.

Il hocha la tête.

- Alors je prends la cellule.

Il s'écoula plusieurs heures sans que rien ne se passe. Elle dormit par à-coups, sur la couchette de la cellule. Un sommeil agité de cauchemars portant sur une fuite éperdue, bien qu'au ralenti, devant un poursuivant invisible.

On lui donna également à manger, mais personne ne lui dit ce qu'on attendait. Si elle en avait eu la force, elle l'aurait peut-être demandé.

La porte fermée à clé lui inspirait moins d'inquiétude qu'elle ne l'avait redouté. En fait, il n'était pas désagréable de pouvoir se cacher et d'être dégagée de toute responsabilité. Elle avait fait ce qu'elle avait pu, et même plus que cela, et elle ne pouvait qu'accepter son échec, maintenant.

Ils avaient gagné et elle avait perdu.

Ce n'était pas plus grave que cela.

Au début de l'après-midi, Roger Larsson vint lui dire qu'ils attendaient la brigade criminelle de Stockholm. Elle ne répondit pas et se borna à constater intérieurement qu'on lui envoyait l'équipe première. On ne laissait pas à de minables petits flics de province le soin de s'occuper de redoutables assassins de son genre.

- Tu as droit à l'assistance d'un avocat, ajouta-t-il.

- Je n'ai rien fait.

- Je crois que tu ferais mieux d'en prendre un, dit-il en se dirigeant vers la porte.

Peu après, un homme d'une cinquantaine d'années vint la trouver à son tour. Ou bien il était très nerveux, ou bien il était vraiment stressé.

- Kjell Bergström, se présenta-t-il en posant sa serviette sur la table.

Elle se mit sur son séant avec une grimace. Sa côte aurait préféré qu'elle reste couchée.

- Je suis provisoirement votre avocat. Par la suite, vous serez sans doute transférée à Stockholm et alors vous en aurez un de là-bas. Vous ne savez peut-être pas que votre père est mort.

Elle le dévisagea.

- Quoi?

Kjell Bergström ouvrit sa serviette et en sortit une feuille de papier.

- J'ai reçu un fax d'un collègue de Vetlanda. On venait d'apprendre que vous aviez été arrêtée.

- Je suis innocente, dit-elle très vite.

Il parut un peu perturbé et la regarda pour la première fois.

- D'un arrêt du cœur, ajouta-t-il. Il y a deux ans de cela. Un arrêt du cœur.

Sibylla se demanda ce qu'elle ressentait. Elle dut reconnaître que cela ne lui faisait absolument rien que Henry Forsenström soit mort depuis deux ans. Pour elle, il l'était depuis bien plus longtemps que cela.

- D'après Krister Ek, l'avocat chargé de la succession, Béatrice Forsenström pensait que vous étiez décédée. Quand votre père est décédé, elle a cherché à vous faire déclarer morte et il allait bientôt être accédé à sa requête lorsque les journaux ont annoncé que vous étiez recherchée.

Sibylla ne put s'empêcher de sourire. La commissure de ses lèvres s'incurva vers le haut sans la moindre raison.

- Je suppose que c'est pour cette raison qu'elle m'a envoyé quinze cents couronnes tous les mois depuis quinze ans. Parce que je suis morte.

Ce fut au tour de Kjell Bergström d'être étonné.

- Ah bon?

- Jusqu'à la semaine dernière.

- Étrange. Très étrange, en vérité.

Je sais.

Kjell Bergström continua la lecture du document.

- Naturellement, la succession est assez importante. D'après la loi, l'actif revient, à parts égales, au conjoint survivant et aux descendants éventuels. Il semblerait donc que votre mère a cherché à vous priver de votre part d'héritage.

Sibylla sentit qu'elle était sur le point d'éclater de rire. Que quelque chose se brisait en elle et cherchait à sortir à tout prix. Elle s'efforça de le réprimer et dissimula son visage dans ses mains. Le rire secoua son corps de façon inaudible.

- Je comprends que cela vous cause un choc.

Sibylla le regarda entre ses doigts. Il croyait qu'elle pleurait. Il se tenait là, l'air impuissant, comme s'il ne savait pas comment se conduire vis-à-vis d'une meurtrière qui venait de perdre son père. Elle faillit redoubler d'hilarité. Cela réveilla sa douleur dans sa poitrine et lui fit venir les larmes aux yeux. Lorsqu'elle les sentit déborder, elle parvint à se maîtriser suffisamment pour pouvoir ôter ses mains de son visage.

- Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter, dit-il. La loi vous protège.

Il n'aurait pas dû dire cela. Cette fois, le rire balaya tous les obstacles et elle dut planter ses mains sur ses hanches pour atténuer la douleur.

La loi la protégeait!

Elle venait de devenir millionnaire mais allait devoir purger une peine de prison à perpétuité pour quatre meurtres qu'elle n'avait pas commis.

Si Dieu pouvait la voir, elle espérait qu'il était content. Ingmar et Lui pouvaient se retirer et vivre heureux le restant de leurs jours. Et être fiers de leur coup.

Son rire finit par s'éteindre. Il cessa aussi brusquement qu'il avait commencé, laissant un vide en elle.

- Comment ça va? demanda-t-il prudemment.

Elle le regarda. Les larmes continuaient à couler sur ses joues. Comment cela allait?

Vachement bien. Ou vachement mal. C'est selon.

Elle se rallongea et lui tourna le dos. Il gagna la porte et frappa pour qu'on le laisse sortir. Mais, au bout de quelques minutes, elle entendit la porte s'ouvrir de nouveau.

- J'attends ici, dit-il. Ils ne vont pas tarder à venir vous chercher pour procéder à un nouvel interrogatoire.

En effet.

Une nouvelle fois, elle fit la grimace en se levant de sa couchette. Kjell Bergström s'en aperçut.

- Vous avez mal quelque part?

Elle hocha la tête.

- J'ai pris une chaise dans les côtes.

Il ne posa pas d'autre question. Peut-être était-ce chose courante, à Vimmerby?