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Elle tendit docilement les mains à l'agent qui vint la chercher, pour qu'il ait moins de mal à lui passer à nouveau les menottes, mais il secoua la tête.

La salle d'interrogatoire était vide quand ils entrèrent. Elle prit place sur la même chaise que la fois précédente et Kjell Bergström alla se poster entre l'un des murs.

Une minute plus tard, ils arrivèrent. Un homme et une femme aussi inconnus d'elle l'un que l'autre. Bergström alla les saluer mais Sibylla ne bougea pas, supposant qu'elle n'avait pas besoin de leur être présentée.

Trois paires d'yeux la dévisagèrent.

- Comment allez-vous? demanda l'inconnu.

Elle eut un petit sourire, mais pas la force de répondre.

- Je m'appelle Per-Olof Gren et je suis de la brigade criminelle de Stockholm. Voici Anita Hansson.

Bergström reprit place près du mur et les deux autres s'assirent en face d'elle. Mais ils ne mirent pas en marche le magnétophone.

- Si vous en avez la force, nous aimerions savoir ce qui s'est passé hier soir.

Si elle en avait la force? Pourquoi tant de prévenance?

Sibylla poussa un soupir et se pencha en arrière. Les pensées se bousculaient dans sa tête et elle ne savait pas par quel bout commencer.

- Je suis allée au cimetière, finit-elle par dire en baissant les yeux sur la table. J'ai rencontré la veuve de Rune Hedlund et ensuite je suis revenue avec ce Ingmar.

- C'est lui qui vous a frappée?

Elle leva les yeux et hocha la tête.

- Oui. Avec une chaise. Je crois qu'il m'a cassé une côte.

- Et ces traces sur votre visage?

- C'est moi qui me les suis faites en m'enfuyant dans la forêt.

L'homme hocha la tête et regarda Anita.

- Vous avez eu de la chance, malgré tout, dit-il.

Ah, ça oui. Une sacrée veine.

- Vous connaissez Patrik, n'est-ce pas? dit soudain la femme.

Sibylla la regarda. Une lueur d'espoir réussit à se frayer un chemin en elle.

- Vous l'avez trouvé!

- C'est mon fils.

Sibylla la dévora des yeux. La mère de Patrik? Mais oui, bon sang: elle était dans la police!

Rien sur le visage de la femme ne révélait si c'était une bonne chose ou une mauvaise.

- Il nous a tout raconté, ce matin, quand nous avons appris les nouvelles.

Sibylla crut un instant qu'elle rêvait.

- Dès que j'ai compris qu'il disait la vérité, j'ai appelé la Criminelle. Mais le nom de Thomas Sandberg les a quelque peu induits en erreur.

- Je ne voulais pas que Patrik soit mêlé à cela. Je trouvais qu'il m'avait bien assez aidée comme cela.

La mère de Patrik hocha la tête. Elle semblait partager cet avis.

- Nous avons fouillé la maison d'Ingmar Eriksson, ce matin. Les organes étaient dans son réfrigérateur.

Ah, c'est vrai. J'ai oublié de faire les provisions. Je crains de ne pouvoir vous offrir autre chose qu'une tasse de café.

- Ce n'est pas moi qui les ai mis là, dit-elle très vite.

- Inutile d'avoir peur, Sibylla, dit l'homme qui s'appelait Per-Olof. Nous savons que ce n'est pas toi.

Elle n'osa pas en croire ses oreilles. Ce ne pouvait pas être vrai. Plus maintenant, alors qu'elle avait enfin accepté son sort.

- Il a avoué, poursuivit Per-Olof. Il a craqué quand nous avons trouvé ces bocaux dans son réfrigérateur. Il avait l'intention de les enfouir dans la tombe.

Le silence retomba. Sibylla fit de son mieux pour s'adapter à la situation, mais elle était beaucoup trop épuisée pour y parvenir.

- Il aurait mieux valu prendre contact avec nous plus tôt. Cela aurait évité bien des ennuis.

C'était à nouveau la mère de Patrik qui parlait. Sibylla comprit à quoi elle faisait allusion. Elle imaginait assez facilement l'engueulade qu'avait dû prendre Patrik.

- Vous ne m'auriez pas crue, dit-elle à voix basse. N'est-ce pas?

Ils ne répondirent ni l'un ni l'autre.

- Patrik, si, reprit-elle. Je crois qu'il a été le seul à le faire. Le seul depuis toujours.

Il s'ensuivit un long silence.

- Eh bien, finit par dire Per-Olof. Vous êtes libre. Qu'allez-vous faire?

Sibylla haussa les épaules.

- Je le sais, moi, dit Bergström en se détachant du mur. Nous allons nous rendre à Vetlanda. Et dire deux mots à votre mère.

Sibylla secoua la tête.

- Non, je ne veux pas.

- Sibylla, je ne crois pas que vous compreniez de quoi il retourne.

- Je veux trois cent mille. C'est tout ce dont j'ai besoin.

Bergström eut un sourire indulgent.

- Mais il s'agit de millions, voyons.

Elle le regarda et, lorsque leurs regards se croisèrent, elle comprit qu'il parlait sérieusement.

- Vous ne pouvez pas lui faire cadeau d'une telle fortune, ajouta-t-il.

Sibylla réfléchit un moment. Que ferait-elle d'une fortune?

- Eh bien, sept cents, alors. Le reste, vous lui direz qu'elle peut se le mettre dans le cul.

Un grésillement se fit entendre dans la serrure avant qu'elle ait le temps de baisser la main. Elle se demanda s'il montait toujours la garde près de l'Interphone.

Comme la fois précédente, il attendait sur le pas de la porte, quand elle arriva sur le palier. Ils ne dirent rien ni l'un ni l'autre avant qu'elle ait pénétré dans le hall et qu'il ait refermé la porte derrière eux.

- Je suis très impressionné, dit-il. Meurtrière par la police une semaine, héroïne nationale la suivante. Bigre!

Elle entra et se dirigea vers les ordinateurs. Cette fois, il ne chercha pas à s'interposer.

- Tu l'as trouvé?

Il hocha la tête.

- C'est cinq mille, cette fois, hein?

Elle plongea la main dans la poche de sa veste, sortit les billets et les posa sur le clavier. Pour sa part, il tira une enveloppe blanche de sa poche-revolver et la lui tendit.

- Il est à toi?

Elle le regarda, prit l'enveloppe et passa dans le hall.

- On finit par devenir curieux, dit-il.

Sans rien dire de plus, elle sortit sur le palier et tira la porte derrière elle. C'est alors qu'elle sentit qu'elle tremblait. À l'étage au-dessous, elle dut s'asseoir.

Elle prit l'enveloppe, le cœur battant.

Une enveloppe blanche contenant la réponse à quatorze ans d'ignorance.

Comment s'appelait-il? Où habitait-il? Qu'était-il devenu? Elle allait enfin le savoir.

Le car partait dans deux heures.

Le contrat de vente était signé et la somme à payer avait été versée. Gunvor Strömberg avait dit qu'elle l'attendrait à l'arrivée du car pour lui remettre les clés.

La tranquillité. La paix de l'âme. Et puis cette enveloppe blanche contenant ce nom qui lui avait tant manqué.

Qui lui manquerait toujours.

Mais à quoi bon? Il était trop tard, maintenant. Trop tard depuis quatorze ans.

Pour qui faisait-elle cela? Pour lui? Ou pour elle-même?

Elle se mit debout, perturbée par cette soudaine idée.

De quel droit faire son entrée dans sa vie au bout de quatorze ans? Qu'aurait-il à y gagner? Elle satisferait sa curiosité, mais lui était-il redevable de cela?

Il ne vivait pas dans la peine, lui. Pourquoi le forcer à partager la sienne?

S'il y avait quelque chose qu'elle lui devait, c'était d'assumer cette peine.

Devant elle se trouvait l'ouverture d'un vide-ordures. Un de ces trous dans le mur par lequel les gens se débarrassent de leurs détritus.

Elle l'ouvrit le cœur battant, non d'inquiétude mais de certitude de bien agir. Et cette certitude était en même temps une libération.

Si le car était à l'heure, elle serait chez elle avant que le voisin ne se mette à sonner le couvre-feu.

RÉALISATION: PAO ÉDITIONS DU SEUIL