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- Super, hein? Un V-8 de 305 chevaux.

Elle eut un petit sourire.

- C'est chouette.

Il fit le tour de la voiture et ouvrit la porte du conducteur.

- Tu peux attraper la couverture sur le siège arrière?

Sibylla se retourna, prit la couverture brune à carreaux et la lui tendit. Il la posa sur son siège avant de s'asseoir.

- On fait un tour?

Elle le regarda, un peu effrayée. Mais il avait déjà mis le moteur en marche.

- Je ne sais pas... Je crois qu'il faut que je rentre...

Le moteur se mit à ronfler. Il appuya sur un bouton et la vitre, de son côté à elle, se mit à descendre.

- Commande électrique. Essaye, voir.

Elle appuya sur le bouton et la vitre se referma. Lorsqu'elle regarda à nouveau son visage, son sourire avait fait apparaître deux fossettes sur ses joues, comme par magie. Il enclencha une vitesse et posa l'un de ses bras sur le dossier de son siège à elle. Elle avait le cœur qui battait. Même si ce geste avait plutôt des raisons d'ordre pratique, il lui donna le sentiment d'une certaine intimité entre eux. Il fit marche arrière en regardant par la lunette.

Comment s'était-elle retrouvée là? Seule avec quelqu'un qu'elle ne connaissait pas, dans une de ces voitures d'assez mauvaise réputation?

Et si on la voyait?

- Tu veux que je te ramène chez toi? Où est-ce que tu habites?

Sibylla avala sa salive.

- Non, se hâta-t-elle de répondre. Un petit tour, seulement.

Ils se dirigèrent vers le centre. Sibylla le regarda à la dérobée, de temps en temps. Il avait de la graisse jusque sur le visage.

- Je me suis pas encore présenté. Je m'appelle Micke. Je te serre pas la main parce que la mienne est sale.

- Sibylla, dit-elle à voix basse. Il la regarda.

- Ah, c'est vrai. T'es la fille de Forsenström, pas vrai?

- Oui, c'est ça.

Il s'était engagé dans Tullgatan et ils n'allaient pas tarder à passer devant le kiosque.

- T'entends ça? Elle tourne rond, hein?

Sibylla hocha la tête. Épatant. À peu près comme la Renault de Gun-Britt.

Comme d'habitude, il y avait du monde près du kiosque. Sibylla se fit toute petite lorsqu'ils passèrent devant.

- C'est tes copains ou quoi?

Elle ne répondit pas. Il lui lança un regard et ajouta:

- Ils aiment la saucisse, hein?

Il rit de sa propre plaisanterie. Mais pas Sibylla. Voyant sa réaction, il s'efforça de retrouver son sérieux.

- Te fâche pas. Je plaisantais, seulement.

Elle le regarda et vit qu'il disait vrai. Il n'avait pas cherché à se moquer d'elle, c'était évident. Elle eut une petite moue.

- Non, c'est pas mes copains.

Ils n'avaient pas dit grand-chose d'autre, cette première fois. Il l'avait ramenée à l'endroit d'où ils étaient partis et elle l'avait remercié pour la balade. Elle descendit de la voiture pendant qu'il actionnait la commande d'ouverture du capot.

Une fois parvenue à une certaine distance de là, elle se retourna et le regarda. Il avait déjà la tête dans le moteur.

Elle éprouva un sentiment qu'elle ne connaissait pas encore. Une sorte d'attente. Elle était presque certaine que quelque chose d'important venait de se passer. Quelque chose de bien et qui allait avoir des conséquences.

Et ce fut le cas.

Mais elle ne pouvait pas savoir que, si cette voiture n'était pas revenue de la peinture ce jour-là, si la peinture avait séché un peu plus vite, si Micke n'avait pas eu le temps de la sortir du garage et de se mettre à farfouiller dans le moteur, si elle était allée se promener dans une autre partie de la ville, si, si, si...

Sa vie aurait pris un tour très différent.

Cet après-midi fut l'un de ces tournants décisifs dont est faite la vie mais dont on ne s'aperçoit que très longtemps après l'avoir négocié.

Et elle avait encore du chemin à faire avant de s'en rendre compte.

Ce n'est que bien trop tard qu'elle comprit quelle erreur elle avait commise, ce jour-là.

Elle dormit devant la porte du grenier d'un immeuble de rapport, après avoir marché assez longtemps en direction du centre, en quittant le magnifique quartier de la maison de Lena Grundberg. La porte d'entrée n'était pas verrouillée. C'était l'un des avantages de quitter Stockholm. Là-bas, il fallait s'en tenir aux adresses connues, aux entrées que l'on savait comment forcer.

Les cris d'un enfant, un peu plus bas dans l'immeuble, la réveillèrent. Elle entendit une porte s'ouvrir et une femme crier que, s'il continuait à pleurer comme ça, ils n'allaient pas sortir. Puis la porte d'entrée se referma et le silence retomba. Elle regarda sa montre, toujours arrêtée. Les montres coûtaient cher, mais elle en aurait vraiment besoin d'une neuve.

Lorsqu'elle se leva de son tapis de sol, le noir se fit devant ses yeux et elle dut s'appuyer contre le mur un instant pour laisser passer ce vertige.

Elle avait besoin de manger.

La gare n'était distante que de quelques pâtés de maisons de l'endroit où elle avait dormi. Elle entra dans les toilettes pour dames, se lava, se peigna et se maquilla les yeux et les lèvres. Le tailleur vert était un peu froissé, après son séjour dans le sac à dos, mais elle n'y pouvait rien. Sans lui, elle serait obligée de se passer de petit déjeuner. Après l'avoir enfilé, elle lissa l'étoffe avec ses mains humides, pour éliminer les plis les plus voyants.

Elle laissa son sac à dos à la consigne sans trop savoir, pour l'instant, comment elle le récupérerait.

Il fallait absolument qu'elle mange quelque chose.

Elle sortit sur le perron de la gare. Non loin de là se trouvait le City Hôtel. Elle pressa le pas et pénétra dans le hall. Un homme sortit d'une pièce située derrière le comptoir et elle alla droit vers lui.

- Il fait frisquet, ce matin, marmonna-t-elle.

L'homme, qui s'appelait Henrik à en croire le badge qu'il portait sur le revers de sa veste, lui sourit.

- Je suis allée voir les heures des trains à la gare, mais j'aurais dû mettre un manteau.

- La prochaine fois, il suffit de demander à la réception. Nous avons tous les horaires.

Elle se pencha par-dessus le comptoir pour lui confier:

- À vrai dire, j'en ai profité pour griller une cigarette.

Il hocha la tête avec un petit sourire pour l'assurer qu'il la comprenait parfaitement. Le client a toujours raison.

Parfait.

Le crochet de la chambre 213 était vide, mais la clé de la 214 était à sa place. Elle regarda sa montre.

- Voudriez-vous appeler la chambre 214 pour moi?

- Bien sûr, madame.

Il composa le numéro et lui tendit le combiné.

Pas de réponse. L'homme qui s'appelait Henrik se retourna vers le tableau situé derrière lui.

- La clé est ici. La personne que vous cherchez est peut-être déjà en train de prendre son petit déjeuner.

Il lui indiqua la direction d'un signe de tête.

- C'est tout à fait lui d'être le premier. Mais il en faut bien un... Merci. Avez-vous un journal du matin?

Il lui remit le "Dagens Nyheter"et elle se dirigea vers la salle du petit déjeuner, qui n'était pas difficile à trouver.

Une demi-heure plus tard, elle se rejetait en arrière sur sa chaise, rassasiée et satisfaite. Il y avait quatre autres personnes dans la pièce mais elles étaient toutes absorbées par la lecture du journal, chacune à sa table. Ce matin, le "Dagens Nyheter"se contentait d'un entrefilet, dans une colonne de gauche, où la police disait être toujours à la recherche d'informations concernant la femme qui avait glissé entre les mailles du filet, au Grand Hôtel.

Elle se dirigea une fois de plus vers le buffet amplement garni du petit déjeuner pour reprendre du café et en profita pour glisser subrepticement quelques petits pains et trois bananes dans son sac à main. Puis elle retourna s'asseoir.

Voyons. Qu'avait-elle fait, au juste, à Eskiltuna? Qu'avait-elle attendu de ce petit voyage? Et que lui avait-il véritablement apporté, sinon de se faire humilier par la veuve de Jörgen Grundberg?