Mais, cette fois-là, elle ne servit à rien.
En sortant de la douche et en s'essuyant, elle se sentit encore plus découragée qu'auparavant. Comme si l'espoir avait été évacué avec l'eau sale.
Elle essora sa culotte maintenant propre et gagna la buanderie, de l'autre côté du couloir. La clé y donnait également accès. Elle plaça sa culotte et sa serviette dans un séchoir qu'elle mit en marche et s'enferma ensuite dans la douche pour s'occuper de sa nouvelle coiffure.
Elle coupa ses cheveux, qui lui arrivaient aux épaules, et ils tombèrent sur le sol. Elle eut du mal à les égaliser sur la nuque et elle comprit que, plus elle les raccourcirait, plus elle aurait de difficultés à faire son petit numéro de charme pour se procurer une nuit gratuite à l'hôtel, à l'avenir.
Mais, en fait, cette possibilité n'existait déjà plus.
Elle suivit les instructions figurant sur le flacon de teinture et appliqua le produit sur ce qui lui restait de cheveux. Une fois que ce fut terminé, elle eut l'air d'une punk brune ayant légèrement dépassé l'âge.
Uno Hjelm lui-même ne la reconnaîtrait pas.
Elle prit soin de bien nettoyer derrière elle. C'était un point d'honneur parmi les rares personnes ayant le privilège de connaître cet établissement de luxe clandestin, car la moindre trace de leur passage pourrait inciter les locataires à cacher la clé à un autre endroit.
Une fois qu'elle eut terminé et fut rhabillée, elle s'assit sur le siège de toilette pour attendre que sa petite lessive soit sèche. Le journal était posé à l'envers sur le sol, devant elle. Elle n'avait pas encore eu le courage de le lire et avait fait tout son possible pour retarder au maximum ce moment. Mais elle ne pouvait plus reculer, maintenant. Elle prit sa respiration, se pencha en avant et prit le journal.
Pages 6, 7, 8 et pages du milieu.
Sibylla Forsenström, 32 ans, déjà recherchée depuis avant-hier pour le meurtre de Jörgen Grundberg au Grand Hôtel, a commis hier après-midi un nouvel assassinat empreint de sauvagerie. Un homme de 63 ans a été tué, vers 15 h dimanche après-midi, dans sa maison de campagne, au nord de Västervik. Il était seul chez lui et dormait probablement lorsqu'il a été frappé. Les circonstances de ce drame sont identiques à celles du meurtre commis au Grand Hôtel, mais la police refuse d'en dire plus pour ne pas gêner l'enquête. Il semble pourtant qu'il s'agisse de véritables exécutions. Les deux corps ont été sauvagement profanés et des organes ont été prélevés sur eux, mais la police refuse de préciser lesquels. Les enquêteurs ont donc de bonnes raisons de suspecter Sibylla Forsenström de meurtre et de profanation de cadavre. On ignore encore le mobile de ces crimes, mais il semble que les victimes aient été choisies au hasard.
Elle n'eut pas le courage d'en lire plus et tourna la page. La première chose qu'elle vit alors fut un dessin représentant son propre visage et lui ressemblant à un point qui avait tout pour l'inquiéter. Apparemment, le serveur avait bonne mémoire et Hjelm avait pu compléter ses dires en ce qui concernait ses cheveux, puisqu'il l'avait vue sans perruque, lui.
Mais cela n'allait plus servir à grand-chose.
Bon sang de bordel de merde.
Comment était-ce possible?
La police ne dispose toujours d'aucune piste en ce qui concerne Sibylla Forsenström, mais elle s'efforce d'obtenir des renseignements parmi les marginaux de Stockholm. Elle a recueilli divers témoignages selon lesquels la jeune femme aurait été vue à la gare centrale de la capitale, entre autres endroits, ainsi que près de jardins ouvriers du quartier de Söderhamn. Après le meurtre de Västervik, un mandat d'arrêt national a été lancé contre elle. D'après une source non confirmée, elle aurait déposé, près des cadavres, un message à caractère religieux dans lequel elle revendiquerait la responsabilité de ces meurtres. Mais on ignore toujours le mobile de ces actes.
Elle dut se lever pour vomir dans le lavabo. Comment diable un peu de teinture pourrait-il lui permettre d'échapper au filet, alors que toute la police de Suède était maintenant à ses trousses et la soupçonnait non seulement d'être une meurtrière, mais également de dépecer les cadavres?
Son corps était encore agité de soubresauts, bien qu'elle n'eût plus rien à vomir. Elle tenta de boire un peu d'eau. Mais, au même moment, on frappa à la porte.
- Vous avez bientôt fini?
Elle se regarda dans la glace. Son visage était couleur de cendre et ses mèches noires se dressaient sur sa tête. Jamais elle n'avait autant ressemblé à une droguée.
- Je suis sous la douche.
Elle ferma les yeux et pria Dieu que l'homme qui se trouvait à l'extérieur se contente de cette réponse et aille prendre sa douche dans la cabine d'à côté. Mais pourquoi changerait-il d'avis?
- Si vous voulez bien vous dépêcher. L'autre cabine est occupée, elle aussi.
- Oui, oui.
Le silence retomba. Elle sortit son nécessaire à maquillage de son sac à dos et se mit du rouge sur les joues et sur les lèvres. Cela n'arrangeait certes pas son portrait, mais elle s'était donné tout le mal qu'elle pouvait.
Elle prit un peu de papier de toilette pour nettoyer le lavabo des restes de banane qu'elle avait rendus. Puis elle colla l'oreille à la porte et écouta. Tout ce qu'elle entendait, c'était le tambour du séchoir qui tournait, dans la pièce voisine. Elle n'avait pas le choix. Plus elle aurait l'air honteuse, plus on aurait de raisons de la soupçonner de quelque chose. Elle déverrouilla donc la porte d'un geste décidé, avant de l'ouvrir.
- Ce n'était pas pressé à ce point-là. Mais merci quand même.
L'homme était assis par terre, en train de lire. Il se leva en entendant la porte s'ouvrir. Sibylla esquissa un sourire. Elle vit qu'il s'étonnait de son sac à dos.
- Ma lessive, expliqua-t-elle.
Il opina de la tête. Elle tenait à la main le morceau de bois auquel était fixée la clé et fit un pas en direction de la porte de la buanderie. Sa main tremblait et elle eut du mal à glisser la clé dans la serrure.
- Vous êtes nouvelle dans l'immeuble?
La porte s'ouvrit enfin. Pour ne pas avoir à affronter son regard, elle se dirigea aussitôt vers le séchoir.
- Oui.
- Enchanté de faire votre connaissance, alors.
Va prendre ta douche, avant que je te fiche sur la gueule, espèce de...
Elle ouvrit le séchoir et sortit sa culotte et sa serviette. Du coin de l'œil, elle vit qu'il se retournait, avant d'entrer dans la cabine. Aussi rapidement qu'elle le put elle fourra sa lessive seulement à moitié sèche dans son sac à dos et le hissa sur son épaule. Quand elle pivota sur ses talons pour sortir, elle vit qu'il s'était retourné à nouveau et la regardait. Il tenait le journal dans sa main gauche. Elle se figea aussi brusquement que si elle avait mis le pied dans du béton frais.
Pendant un instant, il eut l'air un peu perplexe. Puis il lui tendit le journal.
- Pas de panique. Vous avez seulement oublié ça.
La fête de Noël de l'année. Celle de ses dix-sept ans.
La table d'honneur.
Elle avait demandé à ne pas y aller. Sa mère avait eu un haut-le-corps, sous le coup de la surprise.
- Tu ferais bien de sortir un peu. Cela fait des mois que tu restes enfermée.
C'était exact. Cela faisait soixante-trois jours et neuf heures qu'elle n'avait pas vu Micke. Gun-Britt allait la chercher tous les jours à la sortie du lycée, à Vetlanda, dans la Renault. Et elle n'avait plus le droit de sortir seule, pour cause de confiance abusée.
- Je ne veux pas.
Sans rien dire, sa mère gagna la penderie et ouvrit la porte pour en extraire une tenue convenable à l'intention de sa fille.
- Pas de bêtises. Bien sûr que tu vas venir.
Sibylla s'assit sur le lit et observa sa mère en train de fouiller parmi ses vêtements.
- Je viens si je peux être à la table des jeunes.
Béatrice Forsenström resta muette de stupeur devant la violence de cet ultimatum.
- Et pour quelle raison veux-tu y être, si je puis me permettre?