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Et puis ces fissures, là-bas, dans le mur?

- Tu es muette?

L'homme assis en face d'elle poussa un soupir et tourna quelques feuilles de papier. Quatre hommes en noir sortirent du mur en la regardant.

- Tu ne figures pas dans nos fiches. C'est la première fois que tu fais ce genre de chose?

Les hommes en noir approchèrent. L'un d'entre eux tenait une clé à tube incandescente à la main.

- Nous allons prendre contact avec les services sociaux, mais, d'abord, il faut qu'on appelle tes parents pour qu'ils viennent te chercher.

Ils allaient la mettre en morceaux. Prélever sur elle des pièces de rechange pour les utiliser sur des modèles plus satisfaisants. Celui à la clé à tube ouvrit la bouche mais elle ne parvint pas à entendre ce qu'il disait.

Elle regarda l'homme assis en face d'elle. Son visage avait disparu. Il avait un trou qui lui perçait la tête de part en part. Elle ne voyait plus rien.

Pourquoi était-elle allongée sur le sol?

Le bruit d'une chaise qu'on poussait. Quelqu'un qui criait:

- Lasse! Lasse, viens m'aider!

Les pas de quelqu'un qui accourait.

- Je sais pas ce qui lui a pris. Appelle une ambulance.

Elle fut réveillée par un coup de pied dans les côtes. Pas très violent, mais assez pour la tirer de sa torpeur.

Thomas était debout à côté d'elle, en slip, et il ne lui fallut qu'une seconde pour se rendre compte de deux choses.

Il était ivre et, dans l'une de ses mains, il tenait vingt-neuf mille couronnes.

Elle porta instinctivement la main à sa poitrine, à l'endroit où se trouvait la pochette. Mais tout ce qu'elle sentit fut sa propre peau. Elle était nue.

Il ricana et tendit l'autre main, qui tenait la pochette.

- C'est ça que tu cherches?

Elle déglutit péniblement. Sa bouche était sèche comme de l'amadou. Cela faisait des années qu'elle n'avait pas bu d'alcool pur. D'après ses souvenirs, elle n'en avait pas pris beaucoup, mais elle vit que la bouteille posée sur la table était vide.

- Sale pute! Tu m'envoies à la poste et tu chiales parce que t'as pas de fric!

Elle s'efforça de réfléchir. Son soutien-gorge était posé à côté d'elle et elle tendit la main, mais il fut plus prompt. Un rapide mouvement du pied et le sous-vêtement se retrouva hors de sa portée. Elle tenta de se couvrir avec son sac de couchage.

- Sois gentil, Thomas...

Ses yeux se réduisaient à de minces fentes.

- Comment t'as pu m'envoyer là-bas? Tu comprends pas que j'aurais pu me faire pincer? Alors que tu te balades avec une fortune autour du cou!

Il froissa les billets dans sa main.

- C'est mes économies, murmura-t-elle.

- Tiens donc.

- Oui, pour acheter une maison.

Tout d'abord, il se contenta de la regarder. Puis il se rejeta en arrière et éclata de rire. Il faillit perdre l'équilibre et dut se retenir à l'échelle pour ne pas tomber à la renverse. Cela ne fit bien entendu que renforcer sa colère. Avant qu'il ait le temps de dire quoi que ce soit, elle ouvrit le sac de couchage.

- Thomas, dit-elle aussi doucement qu'elle le put. Faut pas qu'on se dispute pour ça. Je voulais te le montrer, cet argent.

Elle avait mal au cœur. Quant à lui, il se tenait toujours à l'échelle mais avait du mal à rester sur ses jambes.

- Je suis venue ici parce que j'avais envie de te revoir.

Il regarda ses seins. Elle eut l'impression que ses yeux étaient des mains et elle dut réprimer un frisson involontaire. Il lâcha la pochette, qui tomba sur le sol. Elle tenta de sourire. D'un geste négligent il balaya ses espoirs, éparpillant les billets qui tombèrent sur le sol, dans la sciure, en virevoltant.

Puis il se jeta sur elle et elle pria le ciel que cela aille vite.

Seigneur, donne-moi du courage pour affronter ces journées dépourvues de contenu. Donne-moi la force de survivre à l'heure qui vient, au jour qui vient, au reste de ce vide éternel qui m'attend.

Quelque part, là-bas, dans l'Au-delà, il attend que je vienne le rejoindre. Car, là où se trouve mon trésor, là est aussi mon cœur.

En vérité, en vérité je vous le dis: celui qui entend mes paroles et croit en Celui qui m'a envoyé possédera la vie éternelle et ne sera pas jugé, puisqu'il est passé de la mort à la vie.

Car le moment est venu où tous ceux qui sont dans la tombe entendront Sa voix et répondront à Son appeclass="underline" ceux qui ont fait le bien ressusciteront et ceux qui ont fait le mal seront jugés.

Je ne peux rien faire moi-même. Je juge en fonction de ce qu'il me dit. Et mon jugement est juste, car je ne cherche pas à accomplir ma volonté, mais celle du Seigneur qui m'envoya.

Dieu ne l'entendit pas cette fois-là non plus. Mais Thomas finit par se lasser et s'endormir sur elle, comme une sorte d'énorme couverture qui l'étouffait. Avec des gestes très lents et beaucoup de précautions, elle parvint à l'écarter d'elle et à se lever.

Toujours nue, elle ramassa ses billets froissés sur le sol. Elle fit de son mieux pour les lisser contre sa cuisse et les fourra rapidement dans la pochette.

Thomas était allongé sur le côté, la bouche ouverte. Un mince trait de salive coulait de sa bouche, traversait sa barbe hirsute et se perdait dans le matelas. Elle fut reconnaissante de ne pas s'être couchée sur son tapis de sol, car elle aurait été obligée de l'abandonner. Le sac de couchage, lui, avait glissé sur le côté et elle n'eut qu'à soulever légèrement l'une des jambes de Thomas pour le tirer.

Elle s'habilla en hâte. Elle avait envie d'une douche, pour se laver de son regard.

Il fallait absolument qu'elle trouve un endroit où il y avait de l'eau courante, sans quoi elle ne tiendrait jamais le coup.

Elle eut bientôt fourré toutes ses affaires dans son sac à dos et elle le referma. La culotte et la serviette encore un peu mouillées, qu'elle avait oublié de sortir, sentaient mauvais. Il faudrait qu'elle les lave à nouveau.

Mais où? Et où aller?

Elle désirait partir de là le plus vite possible, mais la soif l'incita à s'attarder un peu, le temps de boire un peu d'eau au bidon en plastique. Pendant qu'elle y était, elle laissa l'eau couler et se lava rapidement les mains et le visage. Il se forma une sorte de pâte faite de sciure mouillée et de marc de café, sur le sol. À ce moment, Thomas remua celle de ses jambes à laquelle elle avait touché et elle se figea sur place, un instant, pour s'assurer qu'il dormait toujours.

Puis elle escalada l'échelle, ouvrit l'écoutille et sortit.

Elle se retrouva... où cela, au juste? En liberté? Non, c'était impossible, désormais.

Les salauds.

Il faisait maintenant nuit. Elle regarda machinalement sa montre, mais celle-ci était toujours arrêtée. Sur le quai de Söder Mälarstrand les deux files de circulation étaient désertes et il n'y avait que quelques lumières allumées sur les façades des maisons qui le surplombaient. Peu de gens étaient encore éveillés. Tant mieux. Moins ils seraient nombreux à la voir, mieux cela vaudrait.

Elle avança en faisant le moins de bruit possible et enjamba la lisse pour passer sur le navire de guerre. Quelques instants plus tard elle était sur le quai et se dirigeait vers le pont.

Ses jambes bougeaient d'elles-mêmes, car elle n'avait aucune idée de l'endroit vers lequel elle se dirigeait. Cela n'avait d'ailleurs rien d'extraordinaire, pour elle. C'était en quelque sorte son état normal. Un jour comme les autres, donc. Il lui arrivait parfois de se demander si les difficultés qu'elle avait à faire des projets avaient trait à la maladie dont elle avait souffert étant jeune. Peut-être le système régissant l'aptitude à prévoir avait-il été endommagé, en elle. Tout ce à quoi il servait, désormais, était à lui assurer de quoi manger et un endroit assez tranquille pour qu'elle puisse y dérouler son sac de couchage. Si l'on n'était pas trop exigeant, ce n'était guère difficile. Dans l'existence errante qui était la sienne, la sécurité résidait dans la liberté. N'avoir personne qui décidait pour elle. Pouvoir faire ce qu'elle voulait, quand elle en avait envie.