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Unis pour la vie, tous les deux. Pour toujours.

Sibylla secoua la tête. Sa mère regarda en direction de la porte. Elle n'avait qu'un seul désir: partir.

- Tu en es déjà à plus de six mois, alors il n'y a pas d'autre solution que de mener cette grossesse à son terme.

Sibylla posa la main sur son ventre. L'homme qui voulait qu'elle parle lui sourit, mais il n'avait pas l'air d'être très content.

- Comment te sens-tu?

Elle le regarda. Comment se sentait-elle?

- Ta maman et moi avons beaucoup parlé de cela. Elle regarda sa mère, dont les lèvres étaient exsangues.

- Nous pensons que le mieux, pour toi, serait de décider maintenant ce que nous allons faire.

Quelqu'un se mit à crier, dans la chambre d'à côté.

- Comme tu n'es pas encore majeure et que ce sont tes parents qui te connaissent le mieux, je crois que c'est eux qui sont le mieux placés. Et, comme je suis ton médecin, je pense qu'ils ont pris la bonne décision.

Elle le regarda sans comprendre. Quelle décision? Ils ne pouvaient quand même pas imposer leur volonté à son corps.

- Nous pensons que le mieux est que l'enfant soit donné en adoption.

Elle ne s'offrait que rarement le luxe de faire quelques achats dans ce supermarché ouvert de sept heures du matin à onze heures du soir. Les prix y étaient bien au-dessus de la moyenne. Mais elle ne pouvait plus observer les règles qu'elle s'était jadis imposées. Il lui fallait acheter de quoi rester cachée pendant quelques jours et cela dès que possible, afin de pouvoir être prête sitôt qu'ouvriraient les portes de l'école Sainte-Sophie. Avant que les couloirs ne grouillent d'élèves et de professeurs toujours prêts à poser des questions.

Dès sept heures, elle avait acheté une boîte de haricots, des bananes, du yaourt et du pain suédois, et elle attendait maintenant que le concierge de l'école ou quelqu'un d'autre lui ouvre les portes du paradis.

Car là, elle serait en paix.

À sept heures vingt, elle vit, de là où elle s'était postée, que le préposé à l'ouverture des portes accomplissait son devoir et, sitôt qu'il eut disparu, elle traversa la rue et entra. Elle escalada les escaliers et enfila le couloir. Elle ne croisa personne mais, comme dans tous les vieux bâtiments de pierre, les différents bruits de l'école se répercutaient contre les murs.

La porte du grenier était bien là où elle se souvenait. Avec l'inscription: Accès interdit à toute personne étrangère au service. En dessous, une personne scrupuleuse avait mis en garde, à la main, contre le plancher défectueux, qui risquait de s'effondrer.

L'endroit idéal, non?

La porte était fermée au moyen d'un banal cadenas et elle aurait eu bien besoin de son couteau suisse. Mais, en ce moment, il devait se trouver dans un commissariat quelconque à titre de pièce à conviction. Elle poussa un soupir. L'anneau était fixé au mur au moyen de quatre vis et elle se pencha sur son sac à dos pour tenter d'y trouver un outil approprié. Elle arrêta son choix sur sa lime à ongles et il se révéla bon. Elle avait à peine commencé à tourner la vis supérieure que celle-ci céda. Elle tâta les autres: elles ne tenaient pas plus. Un soupçon de méfiance l'effleura. Ce grenier, qui d'autre qu'elle connaissait son existence et l'abri qu'il offrait? Mais elle n'avait pas le temps de se livrer à de telles supputations. Le bruit des voix commençait à enfler, en dessous d'elle. Elle mit la lime à ongles dans sa poche et ouvrit la porte. Derrière, il y avait quelques marches et, sur le côté, une rampe. Elle entra et referma derrière elle.

Ce n'était plus comme la dernière fois qu'elle était venue. Il devait y avoir six ou sept ans de cela et des travaux avaient été effectués. Elle s'en était rendu compte dès l'escalier. La dernière fois, ce grenier était plein de vieilleries et de bric-à-brac, mais on avait sans doute dû le débarrasser à cause de l'état du plancher. Il ne restait plus que des manuels scolaires oubliés dans un coin. Elle se souvenait aussi que, la fois précédente, c'était l'été et que la chaleur était étouffante, sous les toits. Peut-être était-ce pour cela que l'endroit était tombé dans l'oubli?

Cette fois, elle ne serait pas dérangée par la chaleur, ce serait plutôt le contraire.

Mais l'horloge était toujours à sa place.

Cette horloge était énorme, vue de l'intérieur. Deux lampes éclairaient son cadran. Elles avaient été installées depuis sa dernière visite. L'horloge ne marchait pas, à cette époque. Mais elle avait déjà pu voir l'aiguille des minutes avancer. Cela lui inspira quelques secondes d'inquiétude, à nouveau. À quel intervalle fallait-il régler ce genre de grosse horloge?

Elle écarta cette pensée. Si elle déballait ses affaires le long du mur opposé, elle aurait le temps d'aller se cacher si, contre toute attente, quelqu'un arrivait de façon inopinée.

Elle déroula son tapis de sol et son sac de couchage. Puis elle accrocha sa culotte et sa serviette encore humides à un fil électrique. Au cours de la nuit, quand l'école serait déserte, elle se mettrait en quête du vestiaire du personnel et prendrait une douche. Elle en profiterait pour faire à nouveau un peu de lessive, car, si elle laissait ce linge s'imprégner d'une odeur de moisi, elle ne pourrait plus l'utiliser.

Elle se sentait toujours aussi sale. Les mains de Thomas lui faisaient encore l'effet d'une membrane gluante sur sa peau, bien qu'elles fussent loin, désormais. Elle se demanda s'il était réveillé et s'il s'était aperçu qu'elle n'était plus là. Et ce qu'il ferait quand il s'en aviserait.

Elle était où elle voulait être.

Dissimulée dans un grenier.

Offensée, calomniée et anéantie.

Au cours de ces années, elle avait eu bien des excuses pour abandonner la lutte. Mais quelque chose l'avait toujours amenée à continuer. Peut-être disposait-elle d'une raison suffisante, désormais? Peut-être même cela lui paraîtrait-il bon? La preuve définitive qu'elle était vraiment une erreur de la vie.

Elle entendit le brouhaha des élèves, en bas. Cela lui rappela des mauvais souvenirs: les sarcasmes et moqueries qu'elle avait dû endurer.

Mais peut-être était-ce eux qui avaient raison, en définitive?

Peut-être sa faiblesse était-elle perceptible dès sa jeunesse? Après, ils n'avaient plus eu qu'à suivre leur instinct. Tout le monde avait compris dès le début qu'elle n'était pas faite pour participer aux jeux et aux activités des autres. Tout le monde sauf elle, et il avait fallu le lui apprendre. La lutte qu'elle s'était obstinée à mener pour quelque chose de mieux n'était peut-être qu'une façon de se procurer clandestinement un répit qui ne lui était pas destiné, en fait. Heino, elle et les autres étaient peut-être faits pour constituer la lie de la société. Pour que le citoyen moyen puisse se sentir satisfait de son existence, par comparaison. Évaluer son degré de réussite à l'aune de leur échec.

Cela pouvait toujours être pire.

Peut-être étaient-ils là afin d'équilibrer le corps social? De séparer le bon grain de l'ivraie dès le début. Pour qu'ils s'habituent à ne pas trop en demander, par la suite.

Elle s'allongea sur son tapis de sol. Une cloche sonna et le silence se fit dans le bâtiment.

Ce serait trop facile de se contenter d'abandonner. D'accepter de faire partie de l'ivraie et de se laisser aller. Elle n'avait pas l'intention de se livrer à la police, jamais de la vie, mais il y avait d'autres façons de renoncer.

Et si elle n'avait pas la force d'aller jusqu'au pont de l'Ouest, pour se jeter de là-haut, il y avait d'autres façons de régler le problème, dans ce grenier.

Deux semaines plus tard, elle avait pu rentrer chez elle. Le silence était oppressant, dans la grande maison. Gun-Britt avait été renvoyée et Sibylla soupçonnait que c'était parce que sa mère ne supportait pas la honte que suscitait le ventre de plus en plus proéminent de sa fille. Les yeux qui n'étaient pas absolument nécessaires ne devaient pas le voir.

Les sorties lui étaient rigoureusement interdites. Elle avait seulement le droit d'aller dans le jardin après la tombée de la nuit - en restant du bon côté de la clôture, bien entendu.