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- Pourquoi est-ce qu'elle sent aussi mauvais?

Un mur d'yeux enfantins voyant s'ouvrir devant eux, à leur grand étonnement, une perspective sur les aspects cachés de la vie, avant qu'une maîtresse d'école bien intentionnée ayant à peu près son âge ne les en éloigne.

- Ne regardez pas par là!

Et l'idée intolérable que son fils aurait parfaitement pu être l'un d'eux. Et qu'elle était devenue la preuve vivante que le choix qu'avait fait sa propre mère était le bon.

Elle se retourna et observa son camarade de chambre de fraîche date. Il avait fini par s'endormir. Elle sortit de son sac de couchage et alla poser sa veste sur lui. Il s'était endormi sur le dos, les bras sur la poitrine, afin d'avoir plus chaud.

Si jeune.

La vie devant lui.

Quelque part vivait son fils, qui avait à peu près le même âge.

Elle retourna se glisser dans son sac de couchage.

Elle ne pouvait plus rester dans ce grenier. Quelques jours de plus et elle deviendrait folle.

Au moment où cette pensée prit forme dans son esprit, elle comprit qu'il lui était arrivé quelque chose, au cours de cette soirée. Quelque chose de bien. Elle tourna la tête et regarda son hôte nocturne. Il avait apporté quelque chose, en venant. Pas seulement des côtes de porc et du Coca-Cola, mais quelque chose de plus important. Une sorte de respect de l'être humain en elle. Pour une raison qu'elle ne parvenait pas à percer, c'était lui et nul autre qui était monté dans ce grenier. Son admiration non déguisée avait, d'une façon inexplicable, réussi à éveiller en elle un instinct que, depuis quelques jours, elle avait cru évanoui à jamais.

La volonté de persévérer, malgré tout.

Le plus profond de la nuit était passé et elle se sentait prête à reprendre la lutte.

Ils ne viendraient pas à bout d'elle, cette fois non plus.

Elle se demanda s'ils la recherchaient toujours.

Le lendemain, il faudrait qu'elle se procure un journal.

Et j'ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre. Car l'ancien ciel et l'ancienne terre avaient fait leur temps et la mer n'existait plus. Et j'ai vu la Ville sainte, la nouvelle Jérusalem descendre du ciel, envoyée par Dieu, parée comme une épousée qui s'est faite belle pour son époux. Et j'ai entendu une voix forte dire, du haut du trône:

"Voyez, le tabernacle de Dieu se trouve maintenant parmi les hommes et Il vivra parmi eux et ils seront Son peuple. Oui, Dieu en personne vivra parmi eux et Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. Et la mort n'existera plus et il n'y aura plus de peine, plus de plainte ni de tourment. Car ce qui existait jadis est révolu".

Et Celui qui était assis sur le trône dit:

"Voyez, je crée à nouveau toute chose. Écrivez, car ces paroles sont véridiques. C'est fait. Je suis l'alpha et l'oméga, le début et la fin. À celui qui a soif je donnerai à boire à la source de l'eau de la vie. Celui qui remportera la victoire la recevra en héritage et je serai son Dieu et il sera mon fils. Mais les lâches et les traîtres, ceux qui ont commis l'infamie, les meurtriers, les impudiques, les magiciens, les idolâtres et les menteurs seront plongés dans le lac de feu et de soufre.

"Ce sera la seconde mort".

Seigneur, j'ai fait mon devoir.

Il ne me reste plus qu'à attendre.

Elle était éveillée depuis longtemps lorsqu'il finit par émerger lui aussi de son sommeil. Elle en avait profité pour l'observer en cachette. Le froid avait dû le réveiller, à un moment ou à un autre de la nuit, car il avait enfilé la veste qu'elle avait posée sur lui.

Elle avait pris sa décision en le regardant. Au petit matin, elle était parvenue à la conclusion que sa seule chance était de tout lui dire.

Elle avait besoin de son aide.

Elle était restée longtemps à chercher ses mots et à les tourner dans tous les sens pour tenter de trouver la formule qui serait la moins pénible pour lui.

La première chose qu'il fit en se réveillant fut de chercher ses lunettes. Il les mit sur son nez et regarda dans la direction de Sibylla. Puis il remonta le sac de couchage.

- Merde alors, qu'est-ce qu'il fait froid. C'était sympa, la veste. Tu veux que je te la rende?

- Tu peux la garder pour l'instant. Mon sac de couchage est plus chaud que le tien.

Derrière lui, l'horloge indiquait neuf heures dix.

- À quelle heure commences-tu?

Il la regarda.

- Eh là, t'es pas bien? C'est samedi, aujourd'hui.

Elle sourit. C'était vrai, elle n'était pas bien, elle avait oublié.

Il sortit l'une de ses mains du sac de couchage et attrapa l'emballage contenant les côtes de porc. Il le posa sur ses genoux et l'entrouvrit.

- Beurk, des côtes de porc au petit déjeuner.

- J'ai un peu de pain dur et du yaourt, si tu veux.

C'était plus appétissant, apparemment, car il lâcha les côtes de porc et se leva sans sortir de son sac de couchage. Il vint la rejoindre par petits bonds.

- Arrête! Le plancher risque de s'effondrer.

- Bah.

Une fois près d'elle, il se laissa tomber avec un bruit sourd. Elle le regarda en secouant la tête. Il eut un petit rire et se mit à dévorer le pain dur.

Il avait vraiment faim, cela ne faisait absolument aucun doute. Lorsqu'il en fut à la huitième plaquette, elle lui ôta le paquet.

- Il faut en garder pour demain.

- Bah, on peut en acheter d'autre.

Elle le regarda et il eut une mimique qui signifiait qu'il avait compris qu'il venait de dire une bêtise.

- Je peux en acheter, moi. Je te donnerai de l'argent.

- Non, merci.

Le moment était arrivé. Mais comment faire?

Elle prit sa respiration, pour se donner du courage.

- Tu lis le journal, d'habitude?

Il haussa les épaules.

- Ça m'arrive. Ma mère veut que je lise le "Dagens Nyheter", mais il est vachement épais. Y en a pour des heures. Alors, je jette un coup d'œil sur Expressen, le soir, quand mon père rentre à la maison.

Il la regarda à son tour.

- Et toi?

- Oui. Si j'en trouve un. Parfois je vais à la Maison de la culture. Ils les ont tous, là-bas.

Elle vit qu'il l'ignorait, mais il hocha la tête.

Elle poursuivit:

- Tu en as lu un, hier?

- Oui, en fait. Le supplément du vendredi.

Elle ne savait pas comment continuer. Avait-elle vraiment raison de vouloir tout lui dire? Elle avait été plus convaincue, tant qu'il n'était pas réveillé.

- Ça t'est jamais arrivé d'être accusé de quelque chose que tu n'avais pas fait?

- Oh si. T'as dit que t'avais du yaourt, hein?

Elle soupira et lui passa la bouteille en plastique.

- Je peux boire au goulot?

- Oui, puisque tu n'as pas pensé à prendre une assiette.

Il ricana légèrement et se mit à boire.

Elle prit une nouvelle fois sa respiration. C'était toujours le début qui était le plus difficile.

- Moi, ça vient de m'arriver.

Il se concentrait sur le yaourt. Celui-ci coulait mal, comme s'il voulait rester dans la bouteille. Il tapa légèrement sur le fond pour le décoller.

- Le nom de Sibylla te dit peut-être quelque chose?

Il hocha la tête mais continua à boire.

- N'aie pas peur, Patrik.

Elle hésita une dernière fois avant d'ajouter:

- Sibylla, c'est moi.

Tout d'abord, il ne se passa rien. Mais ensuite, elle vit qu'il avait fini par comprendre. Son corps se raidit et il ôta lentement la bouteille de ses lèvres. Puis il tourna la tête et la regarda. Elle vit que, maintenant, il avait peur.

- J'ai pas fait ce dont on m'accuse, Patrik. Il se trouve seulement que j'étais au Grand Hôtel quand ça s'est passé. Je jure par Dieu que je suis innocente.