Il hocha lentement la tête.
- À Bollnäs aussi. Elle le regarda.
- C'est là qu'il a tué, cette nuit?
- Non, je crois que c'était avant-hier. Cette nuit, je sais pas où c'était.
Elle se pencha en arrière et appuya la tête contre son sac à dos.
Avant-hier. Il y avait donc eu un autre meurtre pendant qu'elle se cachait dans ce grenier. Elle était maintenant suspecte de quatre.
Il la regarda.
- Ah bon, t'étais pas au courant?
- Non, soupira-t-elle.
Ils restèrent un moment sans rien dire. Peut-être se rendait-il compte de la complexité de l'affaire, maintenant.
- Écoute, finit-il par dire. On va aller chez moi voir tout ce que les journaux ont raconté.
- Comment ça?
- Sur le Net.
Elle avait en effet entendu parler de cela. Internet, ce nouveau monde fantastique auquel elle n'avait jamais eu accès. Elle en avait un peu peur, ainsi que de cette invitation à se rendre au foyer de ce garçon de quinze ans si serviable.
- À quoi est-ce que ça servirait?
- On va peut-être trouver quelque chose qui prouvera que c'est pas toi. T'as lu tout ce qu'ils ont écrit?
- Non.
Il se leva.
- Allez, viens.
Elle avait hésité un moment. Mais elle n'avait guère le choix.
Ils étaient maintenant dans le hall. Elle avait l'impression d'être venue cambrioler et avait le cœur qui battait.
- Viens, dit-il tout bas.
Devant elle se trouvait une porte fermée sur laquelle était apposée une plaque de métaclass="underline" Si vous entrez ici, c'est à vos risques et périls.
On ne saurait mieux dire.
Elle franchit le seuil d'une vaste salle de séjour puis, devant une porte fermée, Patrik mit son doigt sur ses lèvres pour lui faire comprendre que c'était là que dormait son père.
Elle prit peur et voulut faire demi-tour. Mais Patrik avait déjà ouvert la porte de sa chambre et lui faisait signe d'entrer.
Elle obéit.
On aurait dit qu'un ouragan avait dévasté la pièce. Le sol était jonché de vêtements, de vieux illustrés, d'étuis de cassettes et de livres.
Elle ôta son sac à dos et le déposa au milieu de ce fatras avant de regarder Patrik.
- J'ai promis à ma mère de ranger, mais j'ai oublié.
- Je vois ça.
Ils parlaient toujours à voix basse.
Il approcha de l'ordinateur posé sur une table et appuya sur un bouton. Une brève musique retentit et elle lui fit signe de baisser le volume du son. L'ordinateur se mit en marche.
Elle fit le tour de la pièce des yeux. En plus de la table sur laquelle étaient posés l'ordinateur et le matériel informatique, il y avait un lit et une étagère. Le lit n'était pas fait et, quand Patrik vit son regard, il s'empressa d'aller le recouvrir. La chambre prit aussitôt un aspect un peu plus présentable.
L'ordinateur acheva de se mettre en marche. Diverses icônes apparurent sur l'écran. Il tira la chaise et s'assit.
Sur le rebord de la fenêtre se trouvait un aquarium sans eau. Elle alla voir ce qu'il y avait dedans.
- Je te présente Batman, une tortue terrestre grecque.
Batman était en train de grignoter une feuille de salade dans un coin et elle l'observa de près. Elle était là, dans sa cage en verre, cette tortue, et ignorait le reste. Elle l'envia presque, l'espace d'un instant.
Patrik écrivit quelque chose sur son clavier. Elle approcha pour voir ce que c'était.
+ meurtre + dépeçage + sibylla.
Il pointa la flèche de la souris sur "rechercher" et cliqua.
Elle entendit l'ordinateur tourner pour exécuter cet ordre. Quelques secondes plus tard, ce fut terminé et il afficha: 67 réponses.
- Bingo! s'exclamat-il avec un grand sourire.
- Qu'est-ce que ça signifie?
- Qu'il existe soixante-sept pages dans lesquelles on parle de toi et de ces meurtres.
Était-ce possible? Ainsi, elle faisait partie intégrante de ce monde dont elle ignorait tout? Patrik cliqua sur l'une de ces lignes.
- J'imprime tout ce que j'ai trouvé et on pourra lire ça tranquillement.
Elle ne comprit pas vraiment ce qu'il voulait dire par là mais elle pensa qu'il savait ce qu'il faisait. Une autre machine posée sur la table se mit à tourner et, peu après, une feuille de papier apparut. Le texte était à l'envers et elle ne put donc voir ce dont il s'agissait avant que la feuille entière soit sortie.
Elle la prit et alla s'asseoir sur le lit. Patrik cliqua à nouveau et la machine se remit en marche et cracha du papier.
Elle lut ce qu'elle tenait à la main.
La femme du Grand Hôtel a rendu visite à l'épouse de sa victime
Lena Grundberg est assise sur un coin de son canapé, dans l'élégante salle de séjour de sa maison. Il y a seulement une semaine, elle vivait là avec Jörgen, son mari bien-aimé. Jeudi dernier, il a été la première victime de cette démente de 32 ans qui l'a tué de sang-froid et qui parvient depuis à passer à travers les mailles du filet tendu par la police. Mais, pas plus de deux jours après ce meurtre bestial, la femme du Grand Hôtel a rendu visite à la veuve éplorée de sa victime. Lena a du mal à retenir ses larmes quand elle nous dit: "J'ai vraiment très peur. Cette femme est venue sonner à ma porte et m'a dit qu'elle avait perdu son mari, elle aussi. Je n'ai pas bien compris ce qu'elle voulait, sur le moment. Ce n'est qu'après, lorsque j'ai vu le portrait-robot diffusé par la police que je l'ai reconnue..."
Sibylla interrompit là sa lecture.
La veuve éplorée.
Mon cul.
D'autres feuilles de papier attendaient d'être lues. Elle prit le tas et s'assit à nouveau.
Les connaissances anatomiques sont fréquentes
Chez les meurtriers qui dépècent les cadavres
La femme de 32 ans recherchée dans tout le pays pour plusieurs meurtres reste une énigme pour la police. Une étude menée sur les affaires de meurtre avec dépeçage commis en Suède depuis les années 60 fait apparaître une surreprésentation des professions telles que bouchers, médecins, chasseurs et vétérinaires. D'après Sten Bergman, expert psychiatre auprès des tribunaux, cela vient d'une part que les membres de ces corps de métier ont surmonté la répulsion que la plupart des gens éprouvent devant une dissection, d'autre part qu'ils possèdent les connaissances techniques nécessaires pour y procéder.
D'après l'enquête de police, la femme suspecte ne correspond pas à ce profil. Rien ne laisse penser qu'elle ait exercé l'une des professions en question. Mais cela ne suffit naturellement pas à produire un meurtrier de ce type. Il faut aussi des tares psychologiques conduisant à un manque de sympathie, voire à un très fort mépris envers les autres. Une autre explication est la maladie mentale. Ceux qui dépècent des cadavres ne sont pas toujours capables, par exemple, de se séparer de leurs victimes et il semble que ce soit le cas de cette femme de 32 ans. Ils prélèvent une sorte de trophée leur rappelant le défunt et, dans certains cas, l'acte lui-même, comme s'ils s'arrogeaient le droit de vie et de mort. Dans cas présent, les victimes ont subi ce qui porte le nom de "dépeçage agressif". Cela se distingue du dépeçage passif par le fait que ce dernier est effectué uniquement pour masquer le crime ou pour rendre l'enquête plus difficile. Dans les cas présents, l'assassin ne s'est livré à aucun effort en ce sens et il semble que le seul but de cette femme ait été de profaner le corps de ses victimes. La police refuse toujours de révéler quels organes ont été prélevés...
Elle se leva et jeta la feuille par terre.
- Je ne peux plus lire ça. Je ne le supporte pas.
Elle avait parlé à voix haute et Patrik se retourna pour la regarder.
- Plus bas!
Elle s'assit à nouveau. La machine continuait à cracher des feuilles de papier, mais elle n'avait pas l'intention de les lire. Des gens avaient écrit tout cela sur son compte. Auparavant, personne ne s'intéressait à elle et, soudain, elle était devenue une sorte de célébrité nationale.