La photo en noir et blanc représentait un crucifix. La croix était en bois de couleur sombre et le Christ avait l'air d'être en argent ou en un métal quelconque. Les mesures étaient clairement indiquées, à côté, en millimètres.
Elle tendit la main vers la feuille suivante.
C'était aussi une photo en noir et blanc. Elle montrait un mur recouvert d'une tapisserie à fleurs. En bas se trouvait un lit défait portant de grosses taches sombres. Et puis il y avait ce texte, rédigé en grosses lettres, au-dessus.
Malheur à qui prive l'innocent de son droit. Sibylla.
Elle le regarda et il lui tendit rapidement la dernière feuille. C'était la photo d'une paire de gants en plastique transparent. NUTEX 8, était-il marqué à côté.
- Ils en utilisent des comme ça dans les hôpitaux.
Elle hocha la tête. Cela ne devait pas être difficile.
- C'est tout ce que j'ai eu le temps de prendre. Mais, au moins, on a les noms.
- Qu'est-ce que tu veux qu'on en fasse?
Il se tourna de façon à pointer les genoux vers elle. Il chercha un peu ses mots mais finit par dire:
- Tu sais ce que je pense.
Non, je n'en ai pas la moindre idée.
- Je crois que tu as renoncé. Comme si, en fait, tu attendais que cette affaire se résolve d'elle-même. Comme si tu te foutais pas mal de ce que ça va donner.
- Et puis alors? C'est tellement étonnant?
- Quand je dis des trucs comme ça, mon vieux me dit qu'il faut pas passer son temps à s'apitoyer sur soi. Qu'il faut faire quelque chose pour se sortir de la merde.
Il a drôlement bien réussi son coup, ton père.
- Hier, tu m'as dis qu'on s'intéressait pas aux SDF et aux autres du même genre, que vous n'aviez aucune chance et tout le reste. Mais, quand tu en as une, de chance, tu la prends pas.
Il commençait à s'exciter. Elle le regarda avec un intérêt nouveau. Elle ne parvenait pas encore à savoir si elle avait été insultée ou éclairée, mais il était certain qu'il avait raison.
- Bon, dit-elle en se levant. Qu'est-ce qu'il faut que je fasse, maintenant, chef?
- On va aller à Västervik.
Elle écarquilla les yeux.
- Tu blagues?
- Non. J'ai téléphoné pour savoir. Y a un bus qui part dans une demi-heure. Ça coûte 466 couronnes aller et retour. Je te les prête, si tu veux. On sera là-bas à cinq heures moins vingt et on aura deux heures vingt sur place, avant le retour.
Elle secoua la tête.
- T'es complètement dingue.
- On sera revenus à onze heures et quart.
Elle utilisa l'argument du désespoir.
- Mais il faut que tu sois rentré pour dix heures.
- Non. Parce que je vais au ciné. J'ai téléphoné à mon père pour le prévenir.
Le paysage défilait de l'autre côté de la vitre. Södertälje. Nyköping. Norrköping. Söderköping. Patrik était plongé dans les renseignements qu'il avait dérobés à la police, comme s'il pensait y trouver un indice quelconque. Sibylla, elle, regardait surtout par la fenêtre.
Elle avait payé elle-même sa place. Elle était allée aux toilettes, dans le hall de la gare routière et avait sorti un billet de mille couronnes de sa pochette. Quand elle était revenue, Patrik avait acheté deux sacs de chips et une bouteille de deux litres de boisson fraîche, comme provisions de route. Il avait écarquillé les yeux quand il avait vu le billet avec lequel elle acquittait le prix du voyage.
Mais il n'avait pas posé de question.
C'était parfait.
- Pourquoi est-ce que tu fais ça, au juste?
Il haussa légèrement les épaules.
- C'est fendard.
Elle n'avait pas l'intention de se satisfaire de cette réponse.
- Non: sérieusement. Tu n'as pas de copain plus drôle à fréquenter qu'une bonne femme de trente-deux ans?
- T'es pas plus vieille que ça? ricana-t-il.
Elle ne répondit pas. Il avait sûrement lu son âge dans le journal à plusieurs reprises. Elle continua à l'observer et il finit par replier ses papiers et les fourrer dans sa poche intérieure.
- Je pige pas ce que les gens ont à reprocher à aimer être seul. Mon vieux et ma vieille, ils arrêtent pas de me le reprocher. J'y peux rien, moi, si j'aime pas le hockey ou le foot. Je me fous pas mal si c'est AIK ou Djurgarden qu'est champion de Suède.
Elle secoua la tête pour mettre un terme à cette diatribe.
- Bon, bon. Je me demandais seulement.
Elle se mit à nouveau à regarder par la fenêtre et il retourna à ses papiers.
Sören Strömberg, 7-2-1936 4639.
Ils se rendaient chez la famille de cet homme. Sibylla se souvenait encore de la visite qu'elle avait rendue à Lena Grundberg. Elle était pleine de confiance et de courage, alors.
Les choses avaient bien changé, depuis.
Le car était à l'heure et, à cinq heures moins vingt-cinq, ils étaient à Västervik. Patrik se dirigea aussitôt vers le kiosque à journaux et demanda où se trouvait Sivertsgatan, où habitait jadis Sören Strömberg. Sibylla vit la vendeuse lui montrer de la main et lui expliquer le chemin.
Ce n'était pas loin. Ils n'en eurent pas pour plus de cinq minutes.
Plus ils approchaient, plus elle se sentait mal. Patrik marchait légèrement devant elle. Il n'avait peur de rien et on aurait dit qu'il se rendait, plein d'enthousiasme, à un bon dîner attendu depuis longtemps.
La maison avait deux étages et un toit mansardé. Alors que c'était encore à la mode, quelqu'un avait eu le mauvais goût de recouvrir la façade de matériau isolant. Au milieu, devant la porte, la même personne, sans doute, avait recouvert le perron d'une petite véranda de plastique dur de couleur verte, ce qui avait porté le coup de grâce au charme de la maison.
Ils s'arrêtèrent devant la barrière et se regardèrent. Sibylla secoua la tête d'un air découragé, pour signifier à Patrik qu'elle trouvait que c'était une très mauvaise idée. Ceci le décida. Il ouvrit la barrière et se dirigea vers la porte d'entrée.
Elle le suivit, non sans un soupir. Elle ne pouvait pas rester où elle était, de toute façon.
- Qu'est-ce que tu vas dire? lui demanda-t-elle à voix basse.
Il n'eut pas le temps de répondre. À l'étage supérieur de la maison voisine, une fenêtre s'ouvrit et une femme d'un certain âge passa la tête.
- Vous venez voir Gunvor?
Ils se regardèrent.
- Oui, répondirent-ils d'une seule voix.
- Elle est dans sa maison de campagne. À Segersvik. Y a une commission à lui faire?
Patrik approcha de la limite du terrain de la voisine.
- C'est loin d'ici?
- Une vingtaine de kilomètres. Vous êtes en voiture?
- Oui, répondit Patrik sans hésiter.
- Alors, c'est sur la vieille route de Gamleby, celle qui passe par Piperskärr. C'est à une dizaine de kilomètres de là. Je crois qu'il y a un panneau indicateur.
- Merci de votre aide.
Il tourna le dos à la femme, la privant ainsi de toute possibilité de lui poser d'autres questions. Ils retournèrent à la barrière et, en la franchissant, ils entendirent la voisine refermer sa fenêtre.
- C'est là qu'il a été assassiné, dit-il à voix basse. C'était marqué dans le journal qu'il a été tué dans sa maison de campagne.
Ils s'éloignèrent du champ de vision de la voisine. Au bout de la rue, Sibylla s'arrêta.
- Qu'est-ce qu'on fait? On ne va pas avoir le temps d'y aller, si on veut revenir par le car.
- On prend un taxi.
Elle fronça les sourcils.
- J'ai de l'argent, expliqua-t-il.
Elle ne fut pas satisfaite de cette réponse.
- Comment se fait-il que tu aies tellement d'argent? Ce n'est pas très courant, à ton âge, hein?
Il ne répondit pas et baissa les yeux.
- Merde. Me dis pas que tu l'as volé.
- Non. Emprunté.
- À qui?
Il se remit à marcher en direction de la gare routière, où ils avaient vu qu'il y avait une station de taxis. Sibylla ne bougea pas.