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Les chaises raclèrent le sol et, lorsque Sibylla leva à nouveau les yeux, elle était seule dans la salle de classe avec l'institutrice, qui était restée derrière son bureau.

Celle-ci eut un petit sourire, accompagné d'un soupir, à l'adresse de Sibylla, qui sentit son nez couler et fut obligée de renifler pour ne pas que sa morve tombe sur le bureau.

- Je suis navrée, Sibylla, mais je ne peux rien faire.

Sibylla hocha la tête, avant de la baisser à nouveau. Ses yeux s'humectèrent et la planche décorative fixée au mur se brouilla.

L'institutrice approcha et vint poser la main sur son épaule.

- Tu peux rester en classe pendant la récréation, si tu veux.

Elle éprouva un sentiment de malaise, à son réveil. Elle avait dû faire un mauvais rêve. Sa gorge était enflée et elle avait mal quand elle avalait.

Le poêle était éteint et elle décida d'aller acheter un peu de mazout. Elle avait déjà son blouson sur elle, il lui suffisait de passer ses grosses chaussures. Celles-ci étaient glaciales et le froid se communiqua à ses jambes. Elle souleva le bord du rideau et regarda à l'extérieur. Tout semblait encore désert aux alentours. En sortant, elle prit une pomme dans la coupe, au passage. Il ne pleuvait plus mais le ciel était si gris qu'il était étrange que la lumière parvînt à filtrer à travers les nuages. Elle sortit sur le petit perron, et tira la porte derrière elle.

Le petit jardin avait été bien préparé pour l'hiver. Ses propriétaires n'avaient pas ménagé leur peine pour suivre les instructions du manuel de jardinage. Toutes les fleurs fanées avaient été coupées et jetées sur le tas de fumier, près de la clôture, et les plates-bandes recouvertes de rameaux de sapin. Sans doute était-ce là que les plantes les plus délicates des Johansson avaient passé l'hiver.

- Vous cherchez quelqu'un?

Elle sursauta et se retourna. L'homme se tenait de l'autre côté de la clôture, avec quelques brindilles à la main, dans la direction que l'on ne pouvait voir de la fenêtre de la cabane.

- Bonjour. Vous m'avez fait peur!

Il l'observait d'un regard soupçonneux. L'expérience lui avait enseigné que le parc d'Eriksdal était à certaines périodes un repaire de drogués et c'est pourquoi elle décida d'adopter un profil bas.

- Kurt et Birgit m'ont demandé de m'occuper un peu de leur cabane, pendant qu'ils sont aux Canaries.

Elle alla lui serrer poliment la main par-dessus la clôture. C'était peut-être un peu risqué de parler des Canaries, mais il était trop tard pour revenir en arrière.

- Je m'appelle Monika. Je suis la nièce de Birgit.

Il prit la main qu'elle lui tendait et se présenta à son tour.

- Uno Hjelm. Excusez-moi, mais on se donne un coup de main pour surveiller. Y a tellement de types bizarres qui rôdent par ici.

- Oui, je sais. C'est pour ça qu'ils m'ont demandé de venir jeter un coup d'œil.

Il hocha la tête et elle vit qu'il avait avalé ce gros mensonge.

- Alors comme ça, ils sont partis aux Canaries. Ils m'en ont rien dit, la semaine dernière, les cachottiers.

Pas étonnant.

- Ça les a pris brusquement. Ils ont eu une occasion, un voyage soldé.

Il leva les yeux vers le ciel.

- Eh bien, j'espère que le temps est plus beau là-bas qu'ici. Ce ne serait pas une mauvaise idée de fiche le camp quelques jours.

- Ah ça non, alors.

Il parut s'absorber dans des rêves de voyage et elle saisit l'occasion pour mettre fin à la conversation.

- Je vais faire une petite promenade, mais je repasserai un peu plus tard.

- Très bien. Je ne sais pas si je serai toujours là. Je ne vais pas tarder à m'en aller; il n'y avait pas grand-chose à faire, en réalité.

Sur un dernier signe de tête, elle se dirigea vers la petite barrière. Il ne restait plus qu'à espérer que Kurt et Birgit ne jugent pas bon de se pointer pendant qu'elle se rendait à la station-service.

Sinon, monsieur Hjelm risquait de se poser des questions.

Elle marcha aussi vite qu'elle le put. D'après ce qui était marqué sur l'étiquette de son sac de couchage, celui-ci était efficace jusqu'à moins quinze degrés. Pourtant, elle était frigorifiée, après son petit somme. Elle regretta de ne pas avoir de pastilles contre le mal de gorge. Pourquoi pas aller en demander chez les sœurs de charité?

Elle était presque arrivée à la station-service, lorsqu'il se remit à pleuvoir. Les vêtements mouillés étaient très difficiles à faire sécher et elle courut se mettre à l'abri sous l'auvent. Dommage qu'elle n'ait pas de parapluie pour le retour. Mais, par un temps pareil, il faudrait attendre pour aller chez les bonnes sœurs.

Près de la porte de la station étaient apposées les affichettes des journaux du soir. Elle y jeta un coup d'œil en passant. L'une d'entre elles était jaune et ne contenait que quelques mots répartis sur deux lignes. Mais ils suffirent pour la faire stopper net.

Crime du Grand Hôtel

La police recherche une mystérieuse femme

Elle n'eut pas de mal à reconnaître l'homme qui figurait sur la photo accompagnant ce titre: c'était Jörgen Grundberg.

- Il faut vraiment que tu soulèves la question en ce moment précis? demanda Béatrice Forsenström. Mets plutôt ta robe.

Sibylla était assise sur le lit, en sous-vêtements. Elle avait pris son courage à deux mains et choisi soigneusement son moment. S'il y avait un instant où il était possible que sa mère cède, c'était bien lorsqu'elle s'apprêtait à partir pour la fête de Noël de l'entreprise. Elle était toujours de bonne humeur, alors. Pleine d'ardeur et d'espoir, elle courait partout dans la maison pour que tout soit parfait. C'était l'un des rares moments de l'année où elle pouvait faire étalage de sa richesse et en jouir, car ce n'était pas chose facile, dans un coin perdu comme Hultaryd.

- Dis, est-ce que je peux aller avec les copines, pour la vente. Un jour, seulement?

Elle mit la tête de côté pour avoir encore un peu plus l'air d'implorer. Peut-être cela pourrait-il inciter sa mère, en ce grand moment, à faire preuve de magnanimité et accéder à son désir.

- Mets tes chaussures noires, répondit sa mère en se dirigeant vers la porte.

Sibylla avala sa salive. Il fallait qu'elle essaye encore une fois.

- Dis...?

Béatrice Forsenström s'arrêta sur le chemin de la porte et se retourna. Elle regarda sa fille en fronçant les sourcils.

- Tu n'as pas entendu ce que je t'ai dit? Je ne veux pas que ma fille aille quémander aux portes pour participer à un malheureux voyage scolaire. Si vraiment tu tiens à y aller, ton père et moi nous paierons ce que cela coûtera. Et je trouve que tu devrais faire preuve d'un peu de gratitude, plutôt que de me faire une scène juste au moment où nous nous apprêtons à partir pour la fête de Noël de l'entreprise de ton père.

Sibylla baissa les yeux et sa mère quitta la pièce.

Cela signifiait que la discussion était close. Comme toujours. Comme s'il y en avait vraiment eu une. Tenter de remettre en question une décision de sa mère était déjà à la limite de l'insolence et elle savait qu'elle aurait à le payer au cours de la soirée. Elle était parvenue à faire perdre sa bonne humeur à sa mère. Or, on ne le faisait pas impunément.

Cela ne présageait rien de bon. Les choses allaient déjà assez mal comme cela.

La fête de Noël de la société Forsenström était un événement et Sibylla l'attendait avec autant d'impatience que si elle devait aller se faire plomber une dent. À cette occasion, monsieur et madame Forsenström faisaient étalage de leur générosité en offrant un repas aux membres du personnel et à leur famille. La participation de Sibylla s'imposait et elle devait bien entendu prendre place à la table d'honneur, sur la petite estrade dressée dans la salle polyvalente de la localité. Nul autre enfant qu'elle n'avait le droit de s'y trouver. Tous les autres étaient relégués à une table à part et la distance entre elle et eux était encore plus grande que d'habitude, lors de cette fête.