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— C’est insensé, n’est-ce pas ? conclut-il.

— Non, au contraire, c’est le seul moyen de nous en sortir.

Elle venait de dire « de nous en sortir ». Les yeux de Philippe s’embuèrent.

— Donnez-moi de l’argent, je vais aller acheter tout ce qu’il vous faut.

— Vous n’y pensez pas !

— Moins vous vous ferez remarquer, mieux cela vaudra. Vous avez beau très bien parler notre langue, on voit que vous êtes étranger. Avant toute chose, je vais prévenir mon père que nous repartirons cet après-midi seulement.

Il lui tendit de l’argent et elle s’éloigna.

Philippe comprit qu’une nouvelle femme venait de prendre possession de lui et que dorénavant il devait se soumettre à sa volonté.

Cette découverte le laissa songeur.

~

Il l’attendit sous la véranda de la cabine, montant une faction farouche devant la porte percée d’un cœur.

Tant qu’il resterait assis à cette place, rien ne pouvait lui arriver. Il était la sentinelle de son propre destin. Au bout d’une heure, Sirella réapparut.

Elle tenait un immense sac de plage décoré d’une ancre marine et un petit poste à transistors.

— Je m’excuse d’avoir acheté cela, fit-elle en lui tendant le poste, mais de la musique sera utile pour couvrir le bruit que vous ferez.

Elle pensait à tout.

— Dans le sac, poursuivit la jeune fille, il y a une petite bâche de camping, une pelle et dix kilos de chaux, plus un marteau et des clous afin de bien reclouer les lattes.

— Merci. Qu’a dit votre père ?

— Il semble ravi de ne pas partir ce matin. Il va en profiter pour faire changer je ne sais quoi à son moteur.

Il regarda autour de lui. Des estivants arrivaient, avec des gosses mal réveillés, des ballons aux tranches multicolores et des paniers enfanfreluchés débordant de provisions et de serviettes de bain. Il sentit renaître son angoisse. Dans sa situation, en dehors de Sirella, chacun de ses contemporains était un ennemi en puissance.

— Je vais rester ici, dit la jeune fille, comme si elle devinait ses pensées.

— Je vous le défends ! Vous vous êtes suffisamment compromise !

Elle s’assit sur la chaise de bois qu’il venait de quitter et s’accouda à la balustrade.

— Ne perdez pas de temps, dit-elle. S’il y a la moindre des choses je vous préviendrai.

~

La radio jouait un charleston, mais à l’italienne, si bien que le rythme se perdait parfois pour laisser place à des coups de langueur riches en trémolos.

Philippe utilisa le bec fendu du marteau pour arracher les clous. En un instant, il y eut une dizaine de lattes entassées sous la douche. Le jeune homme descendit dans le trou qui déjà s’offrait et se mit à creuser. Il procédait par profondes pelletées et lançait la terre sur la bâche étalée dans le fond de la cabine.

En un rien de temps il y en eut un monticule important et la terre se remit à glisser dans le trou. Il convenait de l’évacuer avant de poursuivre. Philippe se hissa difficilement hors de la fosse et emplit le sac de plage. Son bras se remettait à lui faire très mal car le travail de termite auquel il se livrait le forçait à prendre des positions tourmentées.

Il entrouvit la porte et vit se balancer une jambe de Sirella. Il sortit le plus vite qu’il put et s’éloigna sans lui parler. Il s’assit à l’écart, dans le sable déjà chaud qu’il se mit à écarter, puis, mine de rien, il vida le sac de plage. La terre extraite de la cabine était brune, pâteuse malgré le sable qui la composait et une infinité de menus objets la truffaient : épingles à cheveux, pièces de monnaie, morceaux de peigne que les usagers perdaient au cours de leur séjour dans ces cabines-bungalows.

Des clés de boîte de conserve et des capsules de bouteille témoignaient des nombreux repas que l’on y avait pris.

Philippe étala furtivement cette terre qui sentait l’égout et ramena par-dessus le sable fin et brillant de la plage. Personne ne s’occupait de lui. À quelque distance de là, des jeunes gens jouaient au volley-ball sans fièvre. Philippe revint à la cabine.

— J’irai vider le prochain ! dit Sirella lorsqu’il passa devant elle. Vous pourriez attirer l’attention avec vos allées et venues.

Il ne protesta pas. Un quart d’heure plus tard, il mit le sac plein de terre devant la porte et elle partit le vider. Philippe retourna dans le trou. Pour que son plan réussît, il fallait le faire profond.

Au bout de quelques pelletées, il se sentit à bout de forces. Il avait des vertiges et les veines de son bras cassé charriaient du feu. On toqua à la porte. Il crut que c’était Sirella qui rapportait le sac et faillit crier d’entrer ; s’il s’abstint ce fut à cause du corps de Lina : il ne voulait pas que la jeune fille le vît.

— Un instant ! fit-il en se hissant hors de la fosse.

— Ne vous dérangez pas, Signor, dit la voix du Presidente, je venais seulement vous demander à quelle heure vous comptez repartir car je voudrais faire recharger ma batterie.

— Faites-la recharger, nous partirons quand votre voiture sera en état.

Sa voix s’étrangla à deux reprises au cours de la phrase. Giuseppe en fut certainement troublé, car son souffle puissant resta contre la porte un bon moment, pareil à celui d’un chien.

— Où est Sirella ? finit-il par questionner.

Philippe perçut un changement inquiétant dans le ton de Ferrari.

— Je ne sais pas, bredouilla-t-il.

Il y eut une autre période de mutisme, le souffle du Presidente augmentait de volume.

— Ça vous ennuierait de m’ouvrir la porte, Signor ? demanda-t-il.

Philippe comprit quel doute effleurait l’esprit du Presidente. Le bonhomme craignait qu’il ne fût enfermé avec Sirella.

— Impossible, je me change, répondit Philippe.

Une frousse mortelle le faisait trembler. II n’avait pas actionné la targette de la porte et il suffisait à Ferrari de tourner le loquet pour qu’elle s’ouvrît.

— Nous sommes entre hommes, Signor, je vous demande de m’ouvrir.

— Mais pourquoi ? bafouilla Philippe.

Il étendit le bras vers la targette, saisit le mince bouton de cuivre entre le pouce et l’index et le fit pivoter aussi doucement qu’il put. Malgré ses précautions la targette produisit un léger claquement. Giuseppe crut qu’au contraire Philippe lui ouvrait et tourna le loquet.

La porte, bien entendu, résista.

— Signor ! s’écria-t-il d’un ton que Philippe ne lui connaissait pas. Signor, je vous prie…

La voix de Sirella éclata :

— Père !

Philippe se haussa sur la pointe des pieds et ses yeux affleurèrent la pointe du cœur. Il aperçut Sirella tenant le sac de plage sous le bras.

— Ah bien ! bredouilla la voix épaisse du Presidente.

Il murmura à l’adresse de Philippe :

— Excusez-moi, Signor, c’est un malentendu.

Puis, presque immédiatement, il retrouva toute son âpreté pour demander à sa fille ce qu’elle faisait là.

— J’étais à la plage, répondit-elle, et je t’ai vu arriver.

— Viens avec moi !

Jamais Sirella n’avait songé à discuter un ordre paternel.

— Oui, père.

Ils s’éloignèrent. Quand ils eurent disparu, Philippe chercha des yeux le sac de plage et l’aperçut sur le balcon. Il s’en empara et s’enferma dans la cabine.

Combien de voyages lui faudrait-il faire pour parvenir à évacuer un demi-mètre cube de terre ?

Il se remit à creuser.

Il s’arrêtait parfois et reprenait haleine, son buste émergeant du trou. Il ne pouvait alors s’empêcher de regarder le visage de Lina où était à jamais sculpté un mystérieux sourire.