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Philippe faillit dire qu’il n’avait pas d’eau et songea à la douche. Il rentra, contourna le trou béant, puis enjamba le cadavre de Lina et tira sur la chaînette de la douche. Mille aiguilles se mirent à cingler son bras. Philippe se déplaçait comme dans un rêve. Il savait que tout cela se jouait sur des impulsions, sur des secondes, sur des riens. Que le plagiste entrât et tout était perdu. Ou bien que le gosse parlât de ce trou et…

Comme il écartait à nouveau la porte, le vieux bonhomme s’apprêtait à la pousser. Vivement, Philippe lui fourra la serviette ruisselante dans les mains.

L’enfant cessa de pleurer. Il avait son petit nez tout gonflé par le sang séché.

— Où sont tes parents ? demanda le plagiste.

— Par-là, pleurnicha le gosse en montrant la plage.

— Viens, on va les rejoindre.

Philippe s’interposa.

— Mais non, laissez-moi le reconduire, si ce sont des emmerdeurs, ils seraient capables de vous chercher des histoires.

L’idée frappa le bonhomme qui remercia et s’éloigna. Philippe donna un tour de clé à la porte.

Il se haussa sur la pointe des pieds pour regarder l’intérieur de la cabine par l’ouverture en forme de cœur. Il vit son tas de terre et les lattes empilées, mais il ne put distinguer la masse sombre de la toile, non plus que les jambes qui dépassaient. Rassuré, il tendit la main au gamin.

— Allons rejoindre ta maman !

— Je ne veux pas te donner la main.

— Pourquoi, mon chéri ? supplia Philippe en prenant une voix suave.

— J’ai peur que tu me battes encore !

Le jeune homme essuya d’un revers de main la sueur qui lui dégoulinait du front.

— Qu’est-ce que tu racontes ; je ne t’ai pas battu !

— Si, tu m’as donné une gifle et ça m’a fait mal !

Ce satané gosse allait se plaindre à ses parents, et sûrement leur dire qu’il avait été molesté par un monsieur occupé à creuser un trou dans sa cabine.

« C’est foutu », songea Philippe.

— J’ai seulement voulu chasser une guêpe qui allait te piquer, assura-t-il sans conviction.

— C’est vrai ?

— Bien sûr ! Tu ne penses pas que je battrais un gentil petit garçon qui me rapporte les objets que je perds ! Voyons, je venais de te donner des sous, souviens-t’en, c’est vrai ou pas ?

L’enfant hésita puis fit un signe d’acquiescement. Il restait boudeur, mais l’intérêt qu’il portait à Philippe reprenait le dessus.

— Que vas-tu acheter avec l’argent que je t’ai donné ?

— Un cerf-volant !

— De quelle couleur ?

Il parlait, parlait en foulant le sable brûlant, sans écouter les réponses. Il avait peur de tout : des gens qui le frôlaient, des cris ambiants, du sable qui mollissait sous son poids. Il jouait une partie insensée, perdue d’avance. Une partie qui pèserait lourd le jour où il devrait comparaître devant ses juges. À leurs yeux, comme aux yeux du public, il passerait pour un raffiné du crime, un machiavélique assassin que les journalistes monteraient en épingle.

— Rouge !

— Qu’est-ce que tu dis ?

— Je le veux rouge, mon cerf-volant.

Pourquoi le mot rouge évoque-t-il aussitôt le mot sang dans le subconscient ?

Philippe regarda le nez tuméfié du gosse. Sa narine droite se trouvait dilatée et cela suffisait à modifier l’angélique visage. Chez Lina, à Paris, il y avait dans le grand salon un bois polychrome du XVIe siècle représentant un angelot. Il manquait un bout de nez à l’ange parce que le bois était usé. L’ange joufflu paraissait souffrir de quelque effroyable chancre. Maintenant l’enfant au nez gonflé incommodait Philippe comme l’ange vermoulu. Il niait la matérialisation de son tourment.

— Où est-elle, ta maman ?

— Là-bas !

Ils s’approchèrent d’un parasol sous lequel une jeune femme brune prenait des poses.

Quelque bourgeoise en vacances », se dit Philippe. Près d’elle, un monsieur aux cheveux argentés et à la moustache en accent circonflexe lui faisait du charme.

— Maman, je me suis fait mal ! éclata l’enfant.

Elle se dressa. Philippe nota qu’elle avait la poitrine lourde et une bouche sensuelle.

— Que t’est-il arrivé, petit monstre ? demanda la jeune femme sans s’émouvoir.

Philippe intervint.

— Votre petit garçon est adorable ; mais un peu téméraire. II a grimpé sur une chaise de ma cabine et il est tombé. Un peu par ma faute je dois dire. J’ai voulu le faire descendre…

Il raconta n’importe quoi. Il était rassuré par l’attitude de la femme ; visiblement cette mère coquette se souciait modérément de sa progéniture. Tout en lui parlant il s’efforçait de lui faire son œil de velours. Elle aimait cela et il fut assuré qu’elle se souviendrait davantage de ses œillades que de ses explications fumeuses.

Le vieux bellâtre s’impatientait et feignait ostensiblement d’ignorer l’importun. Philippe s’inclina après une dernière excuse et retourna à la cabine.

Il espérait voir venir Sirella, mais elle ne reparut pas de la matinée. Le jeune homme dut stopper l’évacuation de la terre car une grosse bonne femme s’installa sous la véranda de la cabine faisant face à la sienne et se mit à tricoter. Il s’assit lui aussi sur son balcon pour attendre le départ de sa voisine, mais quand il la vit déballer des provisions d’un vieux cabas, il comprit qu’elle bivouaquerait encore un bon moment à l’ombre de l’auvent et il décida de remettre à l’après-midi la fin de ses sombres travaux.

CHAPITRE XV

Le Presidente brossa longuement sa moustache et la vérifia d’un doigt léger. Elle était souple et soyeuse comme du vison. Satisfait, il rejeta sa tête en arrière et s’endormit dans le fauteuil d’osier. Du moins crut-il s’endormir. Il y eut en lui un lent balancement. Ses pensées devinrent confuses et il prit pour du sommeil la mollesse qui l’envahissait. Mais au bout d’un instant, il s’aperçut qu’il continuait de réfléchir et poussa un soupir.

— Sirella ! appela-t-il.

Elle se tenait près de lui dans le jardin de l’hôtel, sous la tente à rayures bleues et blanches d’une balancelle.

Elle semblait rêvasser, mais en fait son regard demeurait farouchement braqué sur la plage dont les cris leur parvenaient par bourrasques.

— Oui, père ?

— Tu ne trouves pas cela étrange, toi ?

Sirella abandonna sa pose languissante et se pencha en avant.

— De quoi parles-tu, père ?

— Du départ de la dame…

Giuseppe rouvrit les yeux et contempla le ciel au bleu impétueux. Deux hirondelles s’y poursuivaient.

Sirella ne dit rien. Les doutes de son père lui paraissaient normaux. Elle s’étonnait seulement qu’il ne les eût pas exprimés plus tôt.

— Hier tantôt, quand il est venu nous rejoindre sur la plage, il était tout chaviré. Te souviens-tu comme son visage était pâle ?

Elle s’en souvenait d’autant mieux qu’elle ne parvenait pas à chasser de son esprit l’expression hagarde et le nez pincé de Philippe.

— Il nous annonce que sa compagne s’est noyée. Et puis voilà qu’elle surgit avec un air… Je ne sais pas si tu as remarqué ses yeux ? Ils étaient presque blancs.

Au lieu de poursuivre, il se dressa brusquement et se dirigea vers le hall de l’hôtel. Sirella lui demanda où il allait mais il haussa une épaule sans se retourner et disparut. À cet instant, comme dans une pièce de Feydeau, où les personnages entrent et sortent sans se rencontrer, Philippe parut sous la pergola. Il cherchait Sirella.