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34

La raillerie est une gaieté agréable de l'esprit, qui enjoue la conversation, et qui lie la société si elle est obligeante, ou qui la trouble si elle ne l'est pas. Elle est plus pour celui qui la fait que pour celui qui la souffre. C'est toujours un combat de bel esprit, que produit la vanité; d'où vient que ceux qui en manquent pour la soutenir, et ceux qu'un défaut reproché fait rougir, s'en offensent également, comme d'une défaite injurieuse qu'ils ne sauraient pardonner. C'est un poison qui tout pur éteint l'amitié et excite la haine, mais qui corrigé par l'agrément de l'esprit, et la flatterie de la louange, l'acquiert ou la conserve; et il en faut user sobrement avec ses amis et avec les faibles.

4 Maximes fournies par le supplément de l'édition de 1693

35

Force gens veulent être dévots, mais personne ne veut être humble.

36

Le travail du corps délivre des peines de l'esprit, et c'est ce qui rend les pauvres heureux.

37

Les véritables mortifications sont celles qui ne sont point connues; la vanité rend les autres faciles.

38

L'humilité est l'autel sur lequel Dieu veut qu'on lui offre des sacrifices.

39

Il faut peu de choses pour rendre le sage heureux; rien ne peut rendre un fol content; c'est pourquoi presque tous les hommes sont misérables.

40

Nous nous tourmentons moins pour devenir heureux que pour faire croire que nous le sommes.

41

Il est bien plus aisé d'éteindre un premier désir que de satisfaire tous ceux qui le suivent.

42

La sagesse est à l'âme ce que la santé est pour le corps.

43

Les grands de la terre ne pouvant donner la santé du corps ni le repos d'esprit, on achète toujours trop cher tous les biens qu'ils peuvent faire.

44

Avant que de désirer fortement une chose, il faut examiner quel est le bonheur de celui qui la possède.

45

Un véritable ami est le plus grand de tous les biens et celui de tous qu'on songe le moins à acquérir.

46

Les amants ne voient les défauts de leurs maîtresses que lorsque leur enchantement est fini.

47

La prudence et l'amour ne sont pas faits l'un pour l'autre: à mesure que l'amour croît, la prudence diminue.

48

Il est quelquefois agréable à un mari d'avoir une femme jalouse: il entend toujours parler de ce qu'il aime.

49

Qu'une femme est à plaindre, quand elle a tout ensemble de l'amour et de la vertu!

50

Le sage trouve mieux son compte à ne point s'engager qu'à vaincre.

51

Il est plus nécessaire d'étudier les hommes que les livres.

52

Le bonheur ou le malheur vont d'ordinaire à ceux qui ont le plus de l'un ou de l'autre.

53

On ne se blâme que pour être loué.

54

Il n'est rien de plus naturel ni de plus trompeur que de croire qu'on est aimé.

55

Nous aimons mieux voir ceux à qui nous faisons du bien que ceux qui nous en font.

56

Il est plus difficile de dissimuler les sentiments que l'on a que de feindre ceux que l'on n'a pas.

57

Les amitiés renouées demandent plus de soins que celles qui n'ont jamais été rompues.

58

Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux que celui qui ne plaît à personne.

5 Maximes fournies par des témoignages de contemporains

59

L'enfer des femmes, c'est la vieillesse.

60

Les soumissions et les bassesses que les seigneurs de la Cour font auprès des ministres qui ne sont pas de leur rang sont des lâchetés de gens de cœur.

61

L'honnêteté [n'est] d'aucun état en particulier, mais de tous les états en général.

Réflexions diverses

I. Du vrai

Le vrai, dans quelque sujet qu'il se trouve, ne peut être effacé par aucune comparaison d'un autre vrai, et quelque différence qui puisse être entre deux sujets, ce qui est vrai dans l'un n'efface point ce qui est vrai dans l'autre: ils peuvent avoir plus ou moins d'étendue et être plus ou moins éclatants, mais ils sont toujours égaux par leur vérité, qui n'est pas plus vérité dans le plus grand que dans le plus petit. L'art de la guerre est plus étendu, plus noble et plus brillant que celui de la poésie; mais le poète et le conquérant sont comparables l'un à l'autre; comme aussi, en tant qu'ils sont véritablement ce qu'ils sont, le législateur et le peintre, etc.

Deux sujets de même nature peuvent être différents, et même opposés, comme le sont Scipion et Annibal, Fabius Maximus et Marcellus; cependant, parce que leurs qualités sont vraies, elles subsistent en présence l'une de l'autre, et ne s'effacent point par la comparaison. Alexandre et César donnent des royaumes; la veuve donne une pite: quelque différents que soient ces présents, la libéralité est vraie et égale en chacun d'eux, et chacun donne à proportion de ce qu'il est.

Un sujet peut avoir plusieurs vérités, et un autre sujet peut n'en avoir qu'une: le sujet qui a plusieurs vérités est d'un plus grand prix, et peut briller par des endroits où l'autre ne brille pas; mais dans l'endroit où l'un et l'autre est vrai, ils brillent également. Épaminondas était grand capitaine, bon citoyen, grand philosophe; il était plus estimable que Virgile, parce qu'il avait plus de vérités que lui; mais comme grand capitaine, Épaminondas n'était pas plus excellent que Virgile comme grand poète, parce que, par cet endroit, il n'était pas plus vrai que lui. La cruauté de cet enfant qu'un consul fit mourir pour avoir crevé les yeux d'une corneille était moins importante que celle de Philippe second, qui fit mourir son fils, et elle était peut-être mêlée avec moins d'autres vices; mais le degré de cruauté exercée sur un simple animal ne laisse pas de tenir son rang avec la cruauté des princes les plus cruels, parce que leurs différents degrés de cruauté ont une vérité égale.

Quelque disproportion qu'il y ait entre deux maisons qui ont les beautés qui leur conviennent, elles ne s'effacent point l'une l'autre: ce qui fait que Chantilly n'efface point Liancourt, bien qu'il ait infiniment plus de diverses beautés, et que Liancourt n'efface pas aussi Chantilly, c'est que Chantilly a les beautés qui conviennent à la grandeur de Monsieur le Prince, et que Liancourt a les beautés qui conviennent à un particulier, et qu'ils ont chacun de vraies beautés. On voit néanmoins des femmes d'une beauté éclatante, mais irrégulière, qui en effacent souvent de plus véritablement belles; mais comme le goût, qui se prévient aisément, est le juge de la beauté, et que la beauté des plus belles personnes n'est pas toujours égale, s'il arrive que les moins belles effacent les autres, ce sera seulement durant quelques moments; ce sera que la différence de la lumière et du jour fera plus ou moins discerner la vérité qui est dans les traits ou dans les couleurs, qu'elle fera paraître ce que la moins belle aura de beau, et empêchera de paraître ce qui est de vrai et de beau dans l'autre.