277
Les femmes croient souvent aimer encore qu'elles n'aiment pas. L'occupation d'une intrigue, l'émotion d'esprit que donne la galanterie, la pente naturelle au plaisir d'être aimées, et la peine de refuser, leur persuadent qu'elles ont de la passion lorsqu'elles n'ont que de la coquetterie.
278
Ce qui fait que l'on est souvent mécontent de ceux qui négocient, est qu'ils abandonnent presque toujours l'intérêt de leurs amis pour l'intérêt du succès de la négociation, qui devient le leur par l'honneur d'avoir réussi à ce qu'ils avaient entrepris.
279
Quand nous exagérons la tendresse que nos amis ont pour nous, c'est souvent moins par reconnaissance que par le désir de faire juger de notre mérite.
280
L'approbation que l'on donne à ceux qui entrent dans le monde vient souvent de l'envie secrète que l'on porte à ceux qui y sont établis.
281
L'orgueil qui nous inspire tant d'envie nous sert souvent aussi à la modérer.
282
Il y a des faussetés déguisées qui représentent si bien la vérité que ce serait mal juger que de ne s'y pas laisser tromper.
283
Il n'y a pas quelquefois moins d'habileté à savoir profiter d'un bon conseil qu'à se bien conseiller soi-même.
284
Il y a des méchants qui seraient moins dangereux s'ils n'avaient aucune bonté.
285
La magnanimité est assez définie par son nom; néanmoins on pourrait dire que c'est le bon sens de l'orgueil, et la voie la plus noble pour recevoir des louanges.
286
Il est impossible d'aimer une seconde fois ce qu'on a véritablement cessé d'aimer.
287
Ce n'est pas tant la fertilité de l'esprit qui nous fait trouver plusieurs expédients sur une même affaire, que c'est le défaut de lumière qui nous fait arrêter à tout ce qui se présente à notre imagination, et qui nous empêche de discerner d'abord ce qui est le meilleur.
288
Il y a des affaires et des maladies que les remèdes aigrissent en certains temps; et la grande habileté consiste à connaître quand _il est dangereux d'en user.
289
La simplicité affectée est une imposture délicate.
290
Il y a plus de défauts dans l'humeur que dans l'esprit.
291
Le mérite des hommes a sa saison aussi bien que les fruits.
292
On peut dire de l'humeur des hommes, comme de la plupart des bâtiments, qu'elle a diverses faces, les unes agréables, et les autres désagréables.
293
La modération ne peut avoir le mérite de combattre l'ambition et de la soumettre: elles ne se trouvent jamais ensemble. La modération est la langueur et la paresse de l'âme, comme l'ambition en est l'activité et l'ardeur.
294
Nous aimons toujours ceux qui nous admirent; et nous n'aimons pas toujours ceux que nous admirons.
295
Il s'en faut bien que nous ne connaissions toutes nos volontés.
296
Il est difficile d'aimer ceux que nous n'estimons point; mais il ne l'est pas moins d'aimer ceux que nous estimons beaucoup plus que nous.
297
Les humeurs du corps ont un cours ordinaire et réglé, qui meut et qui tourne imperceptiblement notre volonté; elles roulent ensemble et exercent successivement un empire secret en nous: de sorte qu'elles ont une part considérable à toutes nos actions, sans que nous le puissions connaître.
298
La reconnaissance de la plupart des hommes n'est qu'une secrète envie de recevoir de plus grands bienfaits.
299
Presque tout le monde prend plaisir à s'acquitter des petites obligations; beaucoup de gens ont de la reconnaissance pour les médiocres; mais il n'y a quasi personne qui n'ait de l'ingratitude pour les grandes.
300
Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses.
301
Assez de gens méprisent le bien, mais peu savent le donner.
302
Ce n'est d'ordinaire que dans de petits intérêts où nous prenons le hasard de ne pas croire aux apparences.
303
Quelque bien qu'on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.
304
Nous pardonnons souvent à ceux qui nous ennuient, mais nous ne pouvons pardonner à ceux que nous ennuyons.
305
L'intérêt que l'on accuse de tous nos crimes mérite souvent d'être loué de nos bonnes actions.
306
On ne trouve guère d'ingrats tant qu'on est en état de faire du bien.
307
Il est aussi honnête d'être glorieux avec soi-même qu'il est ridicule de l'être avec les autres.
308
On a fait une vertu de la modération pour borner l'ambition des grands hommes, et pour consoler les gens médiocres de leur peu de fortune, et de leur peu de mérite.
309
Il y a des gens destinés à être sots, qui ne font pas seulement des sottises par leur choix, mais que la fortune même contraint d'en faire.
310
Il arrive quelquefois des accidents dans la vie, d'où il faut être un peu fou pour se bien tirer.
311
S'il y a des hommes dont le ridicule n'ait jamais paru, c'est qu'on ne l'a pas bien cherché.
312
Ce qui fait que les amants et les maîtresses ne s'ennuient point d'être ensemble, c'est qu'ils parlent toujours d'eux-mêmes.
313
Pourquoi faut-il que nous ayons assez de mémoire pour retenir jusqu'aux moindres particularités de ce qui nous est arrivé, et que nous n'en ayons pas assez pour nous souvenir combien de fois nous les avons contées à une même personne?
314
L'extrême plaisir que nous prenons à parler de nous-mêmes nous doit faire craindre de n'en donner guère à ceux qui nous écoutent.
315
Ce qui nous empêche d'ordinaire de faire voir le fond de notre cœur à nos amis, n'est pas tant la défiance que nous avons d'eux, que celle que nous avons de nous-mêmes.
316
Les personnes faibles ne peuvent être sincères.
317
Ce n'est pas un grand malheur d'obliger des ingrats, mais c'en est un insupportable d'être obligé à un malhonnête homme.
318
On trouve des moyens pour guérir de la folie, mais on n'en trouve point pour redresser un esprit de travers.
319
On ne saurait conserver longtemps les sentiments qu'on doit avoir pour ses amis et pour ses bienfaiteurs, si on se laisse la liberté de parler souvent de leurs défauts.