40. Lettre de La Rochefoucauld au Père René Rapin. 12 juillet 1664.
Ce n’est pas assez pour moi de tout ce que nous dîmes hier, il me vient à tous moments des scrupules et on ne saurait jamais avoir trop de délicatesse pour un ami du prix de Mr. de la Chapelle. C’est pourquoi, mon Très Révérend Père, je vous supplie très humblement de vous mettre précisément en ma place et de vouloir être mon directeur pour tout ce que je dois à notre ami avec autant d’exactitude que vous en avez pour les consciences. N’ayez, s’il vous plaît, aucun égard à l’intérêt des maximes et ne songez qu’à ne me laisser manquer à rien vers l’homme du monde à qui je veux le moins manquer. Je vous demande pardon de la liberté que je prends, mais Mr. de la Chapelle en est cause en toutes manières et il m’a tellement assuré que j’ai quelque part en l’honneur de vos bonnes grâces que j’espère que vous m’accorderez celle que je viens de vous demander et de me croire à vous avec toute l’estime et le respect imaginables.
La Rochefoucauld
À Paris, le 12 de juillet.
Je ne veux pas même écrire à M. de La Chapelle afin que ce soit vous seul qui me répondiez de ses sentiments.
Encore une fois, mon Très Révérend Père, comptez, s’il vous plaît, les maximes pour rien, et croyez que j’aime mille fois mieux qu’elles ne parussent jamais que de faire la moindre peine à ceux qui en ont pris la protection.
41. Lettre de La Rochefoucauld à Mme de Sablé. 1664.
Je vous envoie cette manière de préface pour les maximes; mais comme je la dois rendre dans deux heures, je vous supplie très humblement, Madame, de me la renvoyer par le même laquais qui vous porte ce billet. Je vous demande aussi de me dire ce que vous en trouvez.
Ce samedi.
42. Lettre de Mme de Sablé à La Rochefoucauld. 18 février 1665.
Je vous envoie ce que j’ai pu tirer de ma tête pour mettre dans le Journal. J’y ai mis cet endroit qui vous est si sensible, afin que cela vous fasse surmonter la mauvaise honte qui vous fit donner au public la préface sans y rien retrancher, et je n’ai pas craint de le mettre, parce que je suis assurée que vous ne le ferez pas imprimer quand même le reste vous plairait. Je vous assure aussi que je vous serai plus obligée si vous en usez comme d’une chose qui serait à vous, en le corrigeant ou en le jetant au feu, que si vous lui faisiez un honneur qu’il ne mérite pas. Nous autres grands auteurs sommes trop riches pour craindre de perdre de nos productions. Mandez-moi ce qu’il vous semble de ce dictum.
Le 18e février 1665.
«C’est un traité des mouvements du cœur de l’homme, qu’on peut dire lui avoir été comme inconnus jusques à cette heure. Un seigneur, aussi grand en esprit qu’en naissance, en est l’auteur; mais ni sa grandeur ni son esprit n’ont pu empêcher qu’on n’en ait fait des jugements bien différents.
Les uns croient que c’est outrager les hommes que d’en faire une si terrible peinture, et que l’auteur n’en a pu prendre l’original qu’en lui-même; ils disent qu’il est dangereux de mettre de telles pensées au jour, et qu’ayant si bien montré qu’on ne fait jamais de bonnes actions que par de mauvais principes, on ne se mettra plus en peine de chercher la vertu, puisqu’il est impossible de l’avoir, si ce n’est en idée.
Les autres au contraire trouvent ce traité fort utile parce qu’il découvre les fausses idées que les hommes ont d’eux-mêmes, et leur fait voir que sans la religion ils sont incapables de faire aucun bien; qu’il est bon de se connaître tel qu’on est, quand même il n’y aurait que cet avantage de n’être point trompé dans la connaissance qu’on peut avoir de soi-même.
Quoi qu’il en soit, il y a tant d’esprit dans cet ouvrage, et une si grande pénétration pour connaître le véritable état de l’homme, à ne regarder que sa nature, que toutes les personnes de bon sens y trouveront une infinité de choses qu’ils auraient peut-être ignorées toute leur vie si cet auteur ne les avait tirées du chaos du cœur de l’homme pour les mettre dans un jour où quasi tout le monde peut les voir et les comprendre sans peine.»
IV. Lettres concernant la rédaction des maximes (3e, 4e et 5e éditions)
43. Maximes adressées par La Rochefoucauld à Mme de Sablé, 1667.
«Les passions ne sont que les divers goûts de l’amour-propre.»
«La fortune nous corrige plus souvent que la raison.»
«L’extrême ennui sert à nous désennuyer.»
«On loue et on blâme la plupart des choses parce que c’est la mode de les louer ou de les blâmer.»
«Ce n’est d’ordinaire que dans de petits intérêts où nous consentons de ne point croire aux apparences.»
«Quelque bien qu’on nous dise de nous, on ne nous apprend rien de nouveau.»
44. Maximes adressées par La Rochefoucauld à Mme de Rohan, abbesse de Malnoue. Période 1671-1674.
19 L’accent du pays, où l’on est né demeure dans l’esprit et dans le cœur, comme dans le langage. (Max. 342.)
Pour être grand’homme, il faut savoir profiter de toute sa fortune. (Max. 343, var.)
20 La plupart des hommes ont, comme les plantes, des propriétés cachées, que le hasard fait découvrir. (Max. 344.)
30 Les occasions nous font connaître aux autres, et encore plus à nous-mêmes. (Max. 345.)
Il ne peut y avoir de règle dans l’esprit, ni dans le cœur, des femmes, si le tempérament n’en est d’accord. (Max. 346.)
31 Nous ne trouvons guère de gens de bon sens que ceux qui sont de notre avis. (Max. 347.)
Quand on aime, on doute souvent de ce qu’on croit le plus. (Max. 348.)
Le plus grand miracle de l’amour, c’est de guérir de la coquetterie. (Max. 349.)