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Je vous avoue, Monsieur, que, quoique vos maximes soient très belles, ces trois-là me paraissent incomparables et qu’on ne sait à qui donner le prix, ou au sens ou à l’expression. Mais comme vous m’avez engagée à vous parler franchement, trouvez bon que je vous dise que je n’entends pas bien votre première maxime où vous dites: «L’accent du pays où on est né demeure dans l’esprit, et dans le cœur, comme dans le langage.» Je crois que cela est fort bien et fort juste; mais je ne connais point ces accents qui demeurent dans l’esprit et dans le cœur. Je crois que c’est ma faute de ne les entendre ni de ne les pas sentir, et cette maxime me fait connaître ce que vous dites dans la quatrième, que les occasions nous font connaître aux autres et à nous-mêmes.

Cette autre maxime où vous dites que l’on perd quelquefois des personnes qu’on regrette plus qu’on n’en est affligé, et d’autres dont on est affligé quelque temps et qu’on ne regrette guère, n’est pas à mon usage; car la mesure de ma douleur serait toujours la mesure de mon regret, et j’ai grand peine à comprendre que je puisse séparer ces deux choses, parce que ce qui aurait mérité mon attachement mériterait également et mon regret et mes larmes et ma douleur.

La maxime sur l’humilité me paraît encore parfaitement belle, mais j’ai été bien surprise de trouver là l’humilité. Je vous avoue que je l’y attendais si peu qu’encore qu’elle soit si fort de ma connaissance depuis longtemps, j’ai eu toutes les peines du monde à la reconnaître au milieu de tout ce qui la précède et qui la suit. C’est assurément pour faire pratiquer cette vertu aux personnes de notre sexe que vous faites des maximes où leur amour-propre est si peu flatté. J’en serais bien humiliée en mon particulier, si je ne me disais à moi-même ce que je vous ai déjà dit dans ce billet, que vous jugez encore mieux du cœur des hommes que de celui des dames, et que peut-être vous ne savez pas vous-même le véritable motif qui vous les fait moins estimer. Si vous en aviez toujours rencontré dont le tempérament eût été soumis à la vertu, et les sens moins forts que la raison, vous penseriez mieux que vous ne faites d’un certain nombre qui se distingue toujours de la multitude, et il me semble que Mme de La Fayette et moi méritons bien que vous ayez un peu meilleure opinion du sexe en général. Vous ne ferez que nous rendre ce que nous faisons en votre faveur, puisque malgré les défauts d’un million d’hommes nous rendons justice à votre mérite particulier, et que vous seul nous faites croire tout ce qu’on peut dire de plus avantageux pour votre sexe. Etc.

46. Réponse de La Rochefoucauld à la lettre précédente

Quelque déférence que j’aie à tout ce qui vient de vous, je vous assure, Madame, que je ne crois pas que les maximes méritent l’honneur que vous leur faites. Je me défie beaucoup de celles que vous n’entendez pas, et c’est signe que je ne les ai pas entendues moi-même. J’aurai l’honneur de vous en dire ce que j’en ai pensé, dans un jour ou deux, et de vous assurer que personne du monde, sans exception, ne vous estime et ne vous respecte tant que moi. Etc.

47. Lettre de La Rochefoucauld à Mme de Sablé 2 août 1675.

Je vous envoie, Madame, les maximes que vous voulez avoir. Je n’en ai pas assez bonne opinion pour croire que vous les demandiez par une autre raison que par cette politesse qu’on ne trouve plus que chez vous. Je sais bien que le bon sens et le bon esprit convient à tous les âges, mais les goûts n’y conviennent pas toujours et ce qui sied bien en un temps ne sied pas bien en un autre. C’est ce qui me fait croire que peu de gens savent être vieux. Je vous supplie très humblement de me mander ce qu’il faut changer à ce que je vous envoie. Mme de Fontevrault m’a promis de m’avertir quand elle irait chez vous. Je me suis tellement paré devant elle de l’honneur que vous me faites de m’aimer qu’elle en a bonne opinion de moi. Ne détruisez pas votre ouvrage, et laissez-lui croire là-dessus tout ce qui flatte le plus ma vanité.

Ce 2e d’août.

1. La confiance fournit plus à la conversation que l’esprit. (Max. 421.)

2. L’amour nous fait faire des fautes comme les autres passions, mais il nous en fait faire de plus ridicules. (Max. 422. var.)

3. Peu de gens savent être vieux. (Max. 423.)

4. La pénétration a un air de prophétie qui flatte plus notre vanité que toutes les autres qualités de l’esprit. (Max. 425, var.)

5. La plupart des amis dégoûtent de l’amitié, et la plupart des dévots dégoûtent de la dévotion. (Max. 427.)

6. Il y a plus de vieux fous que de jeunes. (Max. 444, var.)

7. Il est plus aisé de connaître tous les hommes en général que de connaître un homme en particulier. (Max. 436, var.)

8. On ne doit pas juger du mérite d’un homme par ses grandes qualités, mais par l’usage qu’il en sait faire. (Max. 437.)

9. Ce qui fait que la plupart des femmes sont peu touchées de l’amitié, c’est qu’elle est fade quand on a senti de l’amour. (Max. 440.)

10. Les femmes qui aiment pardonnent plus aisément les grandes indiscrétions que les petites infidélités. (Max. 429.)

11. Ce qui nous empêche d’être naturels, c’est l’envie de le paraître. (Max. 431. var)

12. C’est en quelque sorte se donner part aux belles actions que de les louer de bon cœur. (Max. 432.)

13. La plus véritable marque d’être né avec de grandes qualités, c’est d’être né sans envie. (Max. 433.)

14. La faiblesse est plus opposée à la vertu que le vice. (Max. 445.)

15. Ce qui fait que la honte et la jalousie sont les plus grands de tous les maux, c’est que la vanité ne nous aide pas à les supporter. (Max. 446. var.)

48. Réponse de Mme de Sablé à la lettre précédente

C’est votre complaisance, plutôt que la mienne, qui vous oblige à me faire part de vos maximes, parce que je n’en suis pas digne. Je vous dirai pourtant, Monsieur, comme si je ne disais rien, qu’il me semble que dans

la Ière maxime, il faudrait expliquer quelle sorte de confiance, parce que celle qui n’est fondée que sur la bonne opinion que l’on a de soi-même est différente de la sûreté que l’on prend avec les personnes à qui l’on parle;

la 4e est merveilleuse, et il n’y a rien de mieux pénétré;

sur la 8e, il n’y a point de vraies grandes qualités si on ne les met en usage;

sur la 10e, il n’y a rien de mieux trouvé;

la IIe est bien vraie, car le naturel ne se trouve point où il y a de l’affectation;

la 12e, il n’y a rien de si beau ni de si vrai;

la 13e est très belle;

la 14e est bien vraie, car le vice se peut corriger par l’étude de la vertu et la faiblesse est du tempérament, qui ne se peut quasi jamais changer;

sur la cinquième, quand les amitiés ne sont point fondées sur la vertu, il y a tant de choses qui les détruisent que l’on a quasi toujours des sujets de s’en lasser.