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Je tiens. Ma poitrine se solidifie. Mon cerveau prend feu. Ah !

Que dis-je : Ooooh !

* * *

Et si j’étais une source ?

Pas seulement une source d’inspiration, mais une vraie source ruisselante, partant dans l’aventure de la pente pour rencontrer d’autres sources, composer des ruisseaux qui deviennent rivières ?

Je me sens non pas ruisseler, mais ruissellement, c’est-à-dire que je n’ai pas l’impression de « restituer » de l’eau mais de « l’engendrer ».

Des grondements me malmènent, des vomissements impétueux m’arrachent.

Toutes ces opacités se clarifient. Mac-Mahon me sourit à travers des incertances.

Il murmure, dans un drôle de français plein d’accent pas commode à définir :

— Ça ira ?

La Carmagnole ! Bien le moment !

Les aristocrates à la lanterne !

D’accord, s’ils sont tous comme le comte Fornicato, la basse ordure !

Je voudrais lui répondre que oui, ça ira, ça ira, ça ira… Mais je gargouille trop fort.

— Croyez-vous en Dieu ? me demande le président Mahon.

Mais s’agit-il de Mac-Mahon ? Il n’a pas de barbe, cézigue. Tout juste une fine moustache de faux jeune premier américain d’avant-guerre.

Je regarde le ciel avec ses nuages vaporeux, dans les tons rose pâle.

— Car si vous n’y croyez pas, il va falloir vous y mettre, mon vieux. J’avais une chance sur combien de millions de vous tirer de là ?

Comment, de me tirer de là ? Entend-il qu’il l’a fait exprès ? Comment aurait-il pu le faire exprès ? Il se fout de ma gueule après m’avoir sauvé ! Pas gentil !

— Votre veine, c’est que j’aie fait mon service dans les Marines, je sais me repérer sur la mer.

Un temps, je continue de jouer les sources intarissables, généreuses. De l’eau, il m’en sourd de partout : des yeux, des oreilles, de la bouche, du fion, et sans parler de mes fringues, bien of course !

— Vous devez vous demander qui je suis, hé ? John Perruchieri, de la C.I.A.

Poum ! la comprenette branche une fiche sur ma prise multiple. Cet homme n’est autre que le gussier que les Ricains devaient dépêcher pour prendre ma relève. Car, t’as peut-être omis de t’en souvenir, mais je ne suis intervenu dans cette affaire qu’au titre d’intérimaire.

J’essaie un acquiescement qui accroît mon débit de flotte.

— Je suis arrivé à Venise dans la nuit. Mais débarqué, me voici comme un âne sans maître. Comment aurai-je de vos nouvelles ? Où allez-vous me contacter ? Je descends à tout hasard au Danielli et appelle Paris. On me répond qu’on n’a rien de nouveau vous concernant. Alors j’entreprends la virée des hôtels. J’en fais dix, j’en fais vingt. Et puis comme je me rends au Tiro a Volo, j’assiste à un drôle de micmac…

Il aime parler, ce type. Curieux pour un homme dont le métier consiste avant tout à être discret. Sans doute tient-il à bien m’expliquer le cheminement de son intervention, pour me mettre en confiance. S’il agit de la sorte, c’est qu’il a besoin de moi.

— Des policiers pénètrent dans l’hôtel. Il y a du remue-ménage, poursuit Perruchieri…

Tiens, mais au fait, il a un nom italien, cécolle. Faut dire que l’Amérique est bourrée de gens made in Europa. C’est comme ça qu’on fignole les grandes nations nationalistes : avec des pèlerins surgis d’ailleurs. Un pays choisi est un pays vénéré.

— Voilà que vous débarquez d’une courette et pénétrez dans l’hôtel. Aussitôt, je vous reconnais, ayant eu l’occasion de compulser votre dossier.

Mon dossier !

J’ai un dossier chez les Ricains ! Le bouquet ! Y en a un peu classe de cet univers fiché dans lequel on vit. Tout est répertorié, catalogué. A peine au monde, les hommes sont plongés dans le bain redoutable des ordinateurs. On est programmés, les gars. On ne peut plus échapper au système. Finitas : la société t’a, te tient, te garde. Tu lui appartiens pour la consommation des siècles et des siècles. Moi, je vais te dire, si je procrée un jour, j’irai pas déclarer mon chiare à l’état civil. Je veux qu’il aura sa chance. Qu’il reste clandestin toute son existence. Qu’il se démerde à demeurer marginal, faux fafs afin qu’il puisse bouger, bouffer, baiser, mais inscrit pour de vrai nulle part. Pour pouvoir vivre à peu près normalement, s’agit de prendre le maquis. Seulement, au point de merde qu’on se trouve, y a qu’au niveau des parents que la chose est envisageable. Si ces cons t’ont fiché, tu l’as dans le babuche. Te reste juste le droit d’avoir des droits et des devoirs. Le droit de filer droit, de filer doux, de ne pas te défiler.

Bon, alors il m’a reconnu, et ensuite ?

Il poursuit peinardement. Son barlu danse sur l’onde crépusculaire comme… Comme quoi, t’aimerais ? Pas une coquille de noix, non, merde, j’ai ma dignité d’auteur ; disons pour varier, comme une coquille de cacahuète.

Est-ce ce mouvement ou bien l’eau que j’ai ingurgitée qui me flanque la nausée ?

Perruchieri a une tête hybride. Un peu latine, un peu yankee. Plus un air passe-partout qui doit l’aider dans son boulot. Il fait cadre moyen en vacances. Et j’imagine d’ici sa petite maison blanche sans étages, posée sur un bout de pelouse à côté d’autres maisons toutes pareilles.

— A peine veniez-vous d’entrer dans l’hôtel que j’ai aperçu Marika Way, la copine de Spontinini. Elle semblait attendre, guetter plutôt. J’étais content d’avoir recollé au peloton en un temps record. Faut dire que j’ai du pif, c’est ce qui m’a permis de me bricoler un bout de carrière honorable dans ce boulot à la manque. Bon, vous êtes sorti de l’hôtel en compagnie d’un gros lard et vous sembliez pressés d’aller autre part. La fille vous a emboîté le pas. Et alors, elle a mis entre ses lèvres un long fume-cigarette sans cigarette. Je l’ai vu souffler à deux reprises. Vous vous êtes arrêtés, tous les deux. Elle vous a rejoints et pris chacun par un bras. Ne me restait plus qu’à vous suivre.

« Ce qu’il y a de bien dans cette putain de ville, c’est qu’il n’est pas difficile de surveiller des suspects pour peu qu’on possède un bateau. Lorsque j’ai eu repéré le palais du comte Fornicato où l’on vous conduisit, je m’empressai d’en louer un, rapide, capable d’aller partout, y compris en haute mer si besoin était. Quand je vous dis que mon nez est plus creux que l’estomac d’un fakir ! »

Il se marre blanc. Un rire sans le rire, c’est-à-dire sans la joie jaillissante qui doit le motiver. Sa menteuse ne chôme pas, car il poursuit, sans tarir :

— Un bateau est venu chercher Spontinini et ses amis. Je les ai filés à distance. Le reste, vous le savez. De loin, de très loin, j’ai surveillé à la jumelle (j’en ai toujours sur moi, elles sont peu encombrantes mais très puissantes) les agissements de ce beau monde. Je les ai vus vous ficher à l’eau lesté de ce fourbi, puis faire des cartons et enfin partir. C’est là que mon sens de la mer m’a servi. J’ai retrouvé l’endroit sans trop de mal. Des débris de caoutchouc flottaient à la surface de l’eau. En outre, des bulles montaient des profondeurs. J’ai tenté de vous apercevoir à l’aide de mes jumelles, mais vous étiez déjà trop profond. Je n’ai pu cependant me résoudre à repartir, à cause de ces garceries de bulles. C’était votre souffle qui venait vers moi, et l’on ne quitte pas le souffle d’un collègue sans rien tenter. Alors j’ai baladé l’ancre de ce rafiot le plus profondément possible autour de vos belles bulles, mon vieux San-Antonio. Qu’est-ce que vous dites de ça ? Un sacré repêchage, non ? Je ne l’oublierai jamais.